RSS

Archives de Catégorie: peinture

Mexique: l’artiste et activiste féministe Isabel Cabanillas est assassinée à Ciudad Juárez

voilà le  féminicide sur la planète, parce qu’il y a des femmes qui se battent pour leurs droits comme pour ceux de l’humanité et dont nos médias ignorent jusqu’à l’existence, occupés comme ils le sont à surveiller si les gouvernements de gauche respectent bien leurs droits de l’homme à eux, ceux qui aident l’impérialisme à s’implanter. Il n’y a pratiquement aucun médias en France qui ne soit pas en proie à cette tare et qui daigne voir la réalité de l’horreur qu’est le monde tel qu’ils le rêvent. ..Des centaines de femmes torturées, violées qui ont servi de jouet à la classe dirigeante ont été retrouvées mortes dans cette terrible cité,celles qui luttent pour leur vie et pour celle des peuples indigènes ou la défense de l’environnement sont retrouvées mortes avec l’assentiment des Etats-Unis et de leurs valets.qui s’appuient sur des criminels pour tenir les peuples.  (note et traduction de danielle Bleitrach)

La membre du groupe des filles de la mère Maquilera, dédiée à l’art, au militantisme et à la défense des droits des femmes, était portée disparue depuis vendredi, lorsque ses proches ont porté plainte.

Dimanche matin, des proches, des amis, des militants et des voisins de Cabanillas de la Torre ont manifesté sur l’esplanade du monument à Benito Juarez pour exiger que les autorités arrêtent les responsables du crime et arrêtent le féminicide.

Isabel Cabanillas, 26 ans, qui était également créatrice de vêtements, est la quatrième femme tuée à Ciudad Juarez ce mois-ci et la sixième de l’État.

Vendredi, ses proches ont signalé sa disparition devant l’unité des personnes absentes du bureau du procureur général dans la zone nord.

Samedi vers 2 h 45, le personnel de l’unité des homicides pour femmes pour des raisons de genre a reçu un appel d’un opérateur radio au sujet de la découverte du corps d’une femme dans le centre-ville.

Le corps de la peintre et activiste a été retrouvé à côté de son vélo sur un trottoir au croisement des rues Inocente Ochoa et Francisco I. Madero; Il portait plusieurs coups de feu. La femme avait une veste bleue avec des décors noir, un chemisier et des collants noirs et des baskets blanches.

Le bureau du procureur spécial pour les femmes de Chihuahua a déclaré que la mort de la jeune femme était  due à la lacération du bulbe vertébral par un projectile d’arme à feu dans le crâne .

Des dizaines de membres de groupes féministes, des proches de femmes disparues et des proches de la victime se sont rassemblés sur l’esplanade du monument à Benito Juárez pour demander justice et rendre hommage à Cabanillas de la Torre.

Tous portaient des bannières avec des messages comme  Isabel Cabanillas, votre mort sera vengée ,  nous ne sommes pas de la chair à  canon ,  s’ils touchent une de nous répondons à tous!  et pas  une de plus! , ainsi que des photographies de l’activiste, peintre et designer, qui laisse dans le deuil un fils.

Où sont-elles? Nous voulons qu’elles reviennent. Il n’y a aucune raison de se taire ou d’oublier. Ce n’est pas un chiffre de plus; C’est ma sœur Isabel qui n’est plus avec moi , proclamait une autre pancarte..

Ils ont accusé le maire Armando Cabada d’avoir rompu sa promesse d’améliorer l’éclairage public à Ciudad Juarez, ce qui a contribué à l’augmentation des fémicides au cours des quatre dernières années.

Un homme avec un haut-parleur s’est exclamé: «Sa vie lui a été enlevée. Isabel Cabanillas était avec tous les groupes, avec tous les citoyens réunis; Elle l’ a exprimé dans  son art. Par conséquent, les militants, les pères et les mères qui ont une fille disparue ou assassinée sont totalement indignés.

Nous ne savons pas quoi faire pour arrêter cela, pour que les enquêteurs trouvent les criminels .

Cinquante éléments du SSP ont été envoyés pour  protéger l’intégrité des personnes rassemblées et, surtout, pour que la manifestation ne devienne pas incontrôlable , ont rapporté des policiers.

Les militants ont critiqué qu’au lieu de protéger les citoyens, principalement les femmes, les agents soient utilisés pour intimider les manifestants.

Dans le profil Facebook de l’organisation Filles de sa mère Maquilera, il est écrit:  Notre combat est pour vous, soeur, pour vous et pour les milliers de personnes que ce système féminicide assassine quotidiennement .

Lydia Graco, membre du groupe et administrateur du groupe, a déclaré  Je te pleure, Isa. Je te dois tellement, je te dois tout. Vous avez combattu le fémicide, le trafic, les disparitions. Vous avez toujours soutenu les causes. Vous nous avez demandé de vous informer sur la façon de soutenir, que faire. Vous nous avez étreints et nous avez embrassés. Tu étais si pure, tu étais si pleine de vie. Je ne t’ai pas protégée, nous ne t’avons pas protégée. Je ne cesserai jamais d’exiger la justice et de crier votre nom. J’ai perdu une fille. Je n’ai laissé que colère et souffrance. 

Dans la ville de Chihuahua, une femme non identifiée a été tuée alors qu’elle conduisait dans un véhicule à l’entrée du lotissement Senda Real. L’autorité a localisé plusieurs balles  de neuf millimètres.

https://jornada.com.mx/2020/01/20/estados/024n1est

 

DÉCOUVRIR DORA MAAR

Numéro d’automne 2019

Le livre de Brigitte Benkemoun  Je suis le carnet de Dora Maar  adopte une nouvelle approche de l’art de la biographie. Pour le  Quarterly , Benkemoun raconte sa découverte d’un mystérieux carnet d’adresses Hermès, la découverte ultérieure de sa géniale ancienne propriétaire, et sa quête pour en savoir plus sur la vie, les amis et l’art de Dora Maar.Terrible portrait d’une femme devenue folle de souffrance et de solitude mais qui croyait en son génie.Celle qui paraît être l’initiatrice  au communisme, termine comme Céline en encore plus détruite par sa haine, mais cette paranoïa antisémite ne résume pas le personnage qui est d’abord une artiste. Tout au long de ce récit passionnant je n’ai cessé d’avoir devant les yeux le portrait d’elle par Picasso avec cette larme. ‘ danielle Bleitrach)

Dora Maar, Double portrait avec chapeau, v. 1936-1937, épreuve à la gélatine argentique, avec montage à la main sur négatif, 11 ¾ × 9 ⅜ pouces (29,8 × 23,8 cm), Cleveland Museum of Art, Don de David Raymond © Dora Maar / Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris. Image: avec la permission du Cleveland Museum of Art

Dora Maar, Double portrait avec chapeau , v. 1936-1937, épreuve à la gélatine argentique, avec montage à la main sur négatif, 11 ¾ × 9 ⅜ pouces (29,8 × 23,8 cm), Cleveland Museum of Art, Don de David Raymond © Dora Maar / Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris. Image: avec la permission du Cleveland Museum of Art

Brigitte Benkemoun

Brigitte Benkemoun est une écrivaine et journaliste française qui vit entre Paris et Arles. Journaliste qui a longtemps été directrice d’émissions de télévision politique, elle se consacre désormais à l’écriture, d’autant plus qu’elle a acheté par hasard sur eBay un carnet d’adresses incroyable. Je suis le carnet de Dora Maar est son troisième livre.

Avant l’objet retrouvé, il y a eu l’objet perdu: un petit agenda Hermès que mon mari avait depuis des années. Un miracle qu’il l’ait gardé si longtemps; il passe son temps à perdre des choses.  la réponse polie mais définitive du vendeur lorsqu’il a voulu acheter à nouveau le même agenda avait laissé peu d’espoir : « Ils ne fabriquent plus ce cuir. » Un autre homme aurait été satisfait d’un cuir différent – crocodile pleine fleur, strié, crocodile . . . mais mon mari n’abandonne jamais: il a trouvé son bonheur sur eBay sous  le titre «maroquinerie vintage».

Il est arrivé par la poste, bien emballé dans du papier bulle. Même taille, même cuir, un peu plus rouge, un peu plus vieux. Bien sûr, je l’ai ouvert; un petit carnet d’adresses était encore glissé dans une poche intérieure. Je l’ai feuilleté distraitement avant de remarquer un nom: Cocteau. Puis en dessous, Chagall. . . Puis Éluard, Giacometti, Ponge, Poulenc, de Staël. Un retour frénétique à la première page: Aragon, Breton, Brassaï, Braque, Balthus. Vingt petites pages répertorient les plus grands artistes européens de l’après-guerre par ordre alphabétique. Tout à la fin, un calendrier m’a donné une date: 1951.

Évidemment, je voulais savoir: qui avait écrit ces noms  à l’encre brune? Qui aurait pu être l’ami de tous ces génies? Un génie lui-même, sûrement. J’ai perdu plusieurs semaines à essayer de trouver le vendeur. Après une dizaine d’e-mails de va-et-vient avec un commissaire-priseur du sud-ouest de la France, j’ai réalisé que je devais trouver la réponse seule, en soumettant le livre à une sorte d’interrogatoire.

Comme un enquêteur face à un témoin clé, j’ai commencé par des observations attentives du livre, puis j’ai compilé les informations qu’il était prêt à me donner avec un ancien annuaire téléphonique que j’ai trouvé dans une brocante. Le livre m’a parlé de peintres, poètes, galeristes, mécènes et psychanalyste. J’ai trouvé un coiffeur, un salon de beauté, un fourreur, un vendeur de toile. Les choses commençaient à se focaliser: je soupçonnais une femme, une peintre, selon l’analyse lacanienne, et ayant des liens étroits avec les plus célèbres des surréalistes.

C’est pourtant un illustre inconnu, Achille de Ménerbes, qui a fini par trahir le propriétaire du livre. J’ai passé un temps fou à faire des recherches en ligne, mais tout ce dont j’avais vraiment besoin, c’était d’une loupe: elle n’avait pas écrit «Achille de», mais « Architecte » – « Architecte de Ménerbes » (architecte Ménerbes). Elle avait donc une maison dans ce petit village du sud de la France et elle avait besoin d’un architecte pour superviser la construction. La page Wikipédia sur Ménerbes note que seulement deux peintres y ont vécu. Le propriétaire du carnet d’adresses n’était pas Nicolas de Staël, car il y figurait. C’était donc Dora Maar! Tout se rassemblaitt, tout avait un sens, même l’absence de son amant Pablo Picasso, qui l’avait quittée en 1945. Le carnet d’adresses que j’avais acheté par accident était celui de Maar.

À l’époque, je ne connaissais que les bases de l’histoire de Maar: les portraits de «femme qui pleure» de Picasso, bien sûr, et les photographies qu’elle a prises de l’artiste, sur la plage ou en peignant Guernica. Bénissez Google! J’en ai appris plus sur elle en vingt minutes que sur vingt ans: «Dora Maar, la grande photographe et peintre française, partenaire de Picasso.» «Une figure influente du XXe siècle.» «Ami d’André Breton et des surréalistes». «L’amant et la muse de Pablo Picasso, un rôle qui a éclipsé son travail dans son ensemble.» «Picasso l’a quittée en 1945 pour la jeune Françoise Gilot.» Et ainsi de suite. Morceaux de vie, éclats de souffrance: institutionnalisation, traitements par électrochocs, folie, psychanalyse, Dieu, isolement. J’ai également lu le récit du galeriste parisien Marcel Fleiss sur ses relations avec Maar, écrit il y a quelques années – c’est Fleiss qui avait organisé la dernière exposition de son vivant, en 1990. Il a répondu immédiatement au courriel que j’ai envoyé à sa galerie : «Venez me voir à la FIAC», le salon d’art annuel de Paris.

Il a fallu moins de cinq minutes à Fleiss pour authentifier l’écriture de Maar. Il m’a également tout de suite transmis ses souvenirs d’elle, une vieille femme lorsqu’il l’a rencontrée, recluse dans un appartement parisien négligé, acariâtre et méfiante. Il n’oublierait jamais la copie de Mein Kampf dans sa bibliothèque, et ce terrible moment où, avant d’accepter de lui vendre des photographies, elle lui a demandé de jurer qu’il n’était pas juif. 1 Mais qui pouvait résister à l’appel de ces noms: Breton, Louis Aragon, Jean Cocteau, Jacques Lacan, et surtout le fantôme de Picasso. Et donc je me suis retrouvée entraînée dans ce bataillon de femmes qui, depuis des années, s’intéressent passionnément à Maar: biographes, écrivaines, historiennes de l’art, galeristes, etc.

Découvrir Dora Maar

Carnet d’adresses de Dora Maar. Photo: Roxane Lagache

Mon chemin serait différent: outre le fait que je ne l’avais pas choisie, j’avais le carnet d’adresses miraculeux comme guide. Je poserais les mêmes questions de chaque nom: que fait cette personne dans ce livre? Que faisait cette personne dans sa vie? J’ai hésité avant de décider par où commencer, oscillant entre le hasard et l’ordre alphabétique, et j’ai finalement opté pour un ordre chronologique vague: «Lamba, 7 Square du Rhône». Jacqueline Lamba est partout décrite comme la plus vieille amie de Maar. Ils se sont rencontrés en tant qu’étudiants jeunes et ambitieux à l’Union centrale des arts décoratifs, très attachés aux causes de gauche. Leur charme était incroyablement efficace: l’un épousa Breton, le chef des surréalistes; l’autre est devenu le partenaire du plus grand peintre du siècle. Mais alors que Maar, après que Picasso l’a quittée, s’est consacrée à Dieu et est devenue conservatrice,

Je réfléchissais aux étonnantes trajectoires de ces deux femmes du XXe siècle quand un mail de Fleiss mit brutalement fin à mes pérégrinations: «J’ai dîné avec Aube, la fille de Jacqueline Breton. Sa mère n’a jamais vécu à l’adresse indiquée dans le livre. »Encore une fois, bénissez Google! C’était la sœur de Jacqueline, un professeur de piano obscur appelé Huguette, qui avait vécu là-bas. Heureusement, avant sa mort, Huguette Lamba a parlé à une historienne de l’art, que j’ai pu retrouver, du lien entre elle et Dora. En septembre 1940, après la capitulation de la France en Allemagne et l’occupation de la moitié du pays, les Bretons, s’étant réfugiés dans le Sud, obtiennent enfin un visa pour les États-Unis. Du bateau qui leur a permis de fuir la France, Jacqueline a écrit une dernière lettre à Maar, implorant son amie de s’occuper d’Huguette, qui était enceinte et seule dans Paris occupé par les nazis. Maar venait d’apprendre qu’elle était infertile, ce que Picasso lui reprochait sans relâche. Grâce à Huguette, elle connaîtrait désormais une sorte de grossesse par procuration, et lorsque l’enfant est né, elle a naturellement demandé à être sa marraine. Malheureusement, la petite fille n’a vécu que cinq mois, et c’est à ce moment que Maar s’est intéressé à la religion, d’abord au bouddhisme, puis au catholicisme. Pour étoffer l’histoire, j’ai demandé le nom de l’enfant d’Huguette. Ma confidente a hésité, puis a chuchoté «Brigitte». J’ai confirmé avec les archives publiques: la fille avait bien le même nom que moi. Je suis trop rationnel pour voir cela comme autre chose qu’une coïncidence, mais c’était troublant. Oserais-je dire à mon confident que la lettre de Jacqueline a été postée de Ghazaouet (alors appelée Nemours), Algérie? Ghazaouet est une petite ville de pêcheurs à la frontière marocaine, personne ne le sait, mais j’y ai vécu pendant les trois premières années de ma vie.

D’autres coïncidences surréalistes rythmeraient et faciliteraient mon enquête. Une amie, par exemple, s’est souvenue qu’elle connaissait une historienne de l’art travaillant avec un important biographe de Picasso à New York: «Je peux vous mettre en contact si vous le souhaitez.» Et c’est ainsi que, grâce à Delphine Huisinga, j’ai rencontré John Richardson . Je le vois encore, planant sur le petit carnet d’adresses, le portant à ses yeux fatigués et y trouvant des amis: Marie-Laure de Noailles, Balthus, Óscar Domínguez, et surtout Douglas Cooper, le grand collectionneur et expert en cubisme qui était autrefois son partenaire. Richardson est mort avant que je puisse retourner à New York pour le revoir, mais l’une des dernières choses qu’il m’a dites n’a cessé de me hanter: «Vous ne comprendrez jamais Dora Maar si vous ne vous souvenez pas qu’elle était masochiste . « Je n’ai rien trouvé à ce sujet dans les archives de Lacan,

Découvrir Dora Maar

Man Ray, Ady Fidelin, Mary Cuttoli, Man Ray, Paul Cuttoli, Pablo Picasso et Dora Maar au domicile de Cuttolis, Antibes, 1937 © Man Ray Trust / Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris, 2019

En suivant le livre mot pour mot, j’ai également rencontré une vingtaine d’héritiers de divers artistes: à Ménerbes, le fils de Nicolas de Staël; dans la campagne anglaise, le fils de Roland Penrose et Lee Miller; à Paris, la fille de Breton, la fille du poète Francis Ponge, la nièce du peintre André Marchand; et d’autres. J’ai consulté des historiens, des directeurs de musées, des marchands d’art, des experts et des passionnés. Mais je n’ai jamais imaginé que je parlerais directement à l’un des amis de Maar nommé dans le livre; après soixante-huit ans, j’en étais sûr, ils seraient tous décédés. Quand je suis venu voir le cinéaste belge Étienne Périer, j’ai constaté qu’aucune date de décès ne lui était apparue, où que ce soit en ligne. Et pour cause: à quatre-vingt-sept ans, il était bel et bien vivant dans le sud de la France, et il a même répondu au téléphone. Périer se souvient bien de Maar, l’avoir rencontrée à Saint-Tropez en 1950 par l’intermédiaire d’un ami sculpteur. Il n’avait pas encore vingt ans, alors qu’elle avait la quarantaine; il a eu l’impression de quelqu’un de charismatique, sombre, capricieux et égocentrique. Personne n’était autorisé à poser des questions sur Picasso, mais elle parlait parfois de lui: sans vraiment parler de lui, elle avait réussi à se plaindre de lui, insinuant que le génie la laissait vivre dans la misère.

Quelques noms sont restés un mystère pour moi: Katell, Camille, Madeleine, probablement griffonnés pour être lus uniquement par l’écrivain. J’ai également renoncé à des relations qui semblaient trop éloignées: Aragon, Ponge, le compositeur Francis Poulenc, par exemple. D’autres personnages plus inattendus ont émergé: un graphologue, le poète André du Bouchet, le peintre Marchand. Aujourd’hui, Marchand est oublié, mais dans les années 40, il était souvent considéré comme l’un des héritiers les plus brillants de Picasso – et pendant cinquante ans, il a vécu à Arles, cette petite ville provençale où j’ai moi-même grandi. Il était facile de retrouver quelques-uns des vieux amis de Marchand. Ils m’ont dit qu’un jour après une corrida, il s’était presque bagarré avec Picasso, au sujet d’une femme – Marchand a prétendu que Picasso lui avait volé Gilot. Cette version de l’histoire ne correspond pas tout à fait à la version officielle,Magazine Life  , de 1947.

Quelques jours avant de remettre mon texte, j’ai finalement reçu la permission de consulter les archives privées de Maar – huit boîtes de livres, courrier, photographies, et plus, stockées dans le sous-sol d’un généalogiste. Les lettres de Picasso ne peuvent pas être consultées, mais toutes les autres le peuvent, y compris les notables d’un moine bénédictin qui, après Lacan, est devenu son conseiller spirituel et l’a poussée vers une forme de christianisme pratiquement fondamentaliste. Dans une de ces boîtes, je l’ai également trouvée Mein Kampf, avec une carte postale d’Hitler devant la Tour Eiffel cachée comme un signet. Mais après deux ans de recherche, j’ai fini par décider de ne pas réduire le grand artiste Maar aux obsessions d’une femme folle d’années d’isolement, de souffrance et d’amertume. Elle était sûre que son talent de photographe et de peintre serait reconnu à titre posthume. Ce jour est peut-être venu.

1Pour plus d’informations à ce sujet, voir Marcel Fleiss, «De  Guernica  à  Mein Kampf », La règle du jeu , 22 février 2013, https://laregledujeu.org/2013/02/22/12471/dora-maar-de- guernica-a-mein-kampf / .

 

Les communistes têtes de l’art ?

A la suite de l’article paru hier sur ce blog, Pym nous envoie de Kazan ce montage sur la banane et le ruban adhésif, banane scotchée à un mur vendue 120 000 dollars à la foire d’Art Basel… avant d’être mangée…

Mais essayons de prendre au mot cette proposition d’un montage sur le rôle révolutionnaire de l’œuvre d’art…

On sait le rôle joué par Aragon à Argenteuil… Mais aussi la manière dont il entre en conflit avec Dali, quand celui-ci ose dire que Gernica c’est surréaliste… Il le descend de chez Breton à coup de pied dans le cul… Il faudrait tout revoir et à travers son œuvre d’abord.

Dans mon livre de mémoires à propos d’Aragon, je note deux ou trois choses que je crois avoir compris de lui : à la fois la manière dont Aragon refuse Mitterand au point de ne pas vouloir voter pour lui, et les liens d’affection profonde qui l’unissait à Georges Marchais. Sa fidélité au surréalisme…  Il reste tant de choses à connaître de celui qui joua un si grand rôle dans le comité central d’Argenteuil et la manière dont il défendit la liberté de la création… Sa profonde connaissance de Marx mais aussi son souci de se nourrir de l’apport intellectuel et culturel français. Il n’a jamais dénoncé l’idée d’un lien entre avant-garde révolutionnaire politique et avant-garde de la création, l’idée qu’il nous invite à tout gober me paraît en contradiction avec tout ce que je sais de ses exigences politiques, esthétiques, morales.

La question des liens entre le parti de la classe ouvrière, le parti révolutionnaire et les avant-gardes est posée dans tous les partis communistes, c’est pourquoi je pense que pour reprendre Bourdieu, il faut constituer « le champ » dans lequel s’opère un synthèse entre une culture nationale et sa relation aux luttes politiques ou pour adopter un langage plus marxiste, considérer les formations sociales dans lesquelles l’économique est déterminant mais en dernière instance. Dans le cas du monde germanique, on connaît l’apport d’un Brecht, d’un Walter Benjamin, d’un Lukacs, d’Adorno mais aussi d’Ernst Bloch dans la constitution d’un champ à la fois politique et culturel original (1), il y a des rencontres avec les Français, les Russes et bien d’autres, mais aussi de profondes différences Pour l’Allemagne, c’est non seulement à travers l’expressionnisme mais aussi l’influence de Hegel que se développent les réflexions sur l’art et les masses et leur incontestable richesse. De même, en Italie l’influence de Gramsci va créer un autre courant.

Il me semble qu’Aragon va s’acharner sur cette synthèse nationale mais comme une contribution et un échange permanent avec d’autres patrimoines culturels… Et quand on analyse son apport il faut tenir compte de ces deux aspects inextricablement liés : comprendre ce qui a fait la France telle qu’elle est, mais aussi l’échange permanent avec d’autres nations, d’autres peuples en lutte.

C’est pourquoi cette question du lien entre avant-garde politique et avant-garde artistique mériterait un analyse plus approfondie mais je voudrais en rester à la notion même d’avant-garde telle qu’elle apparaît au XIXe siècle, en France. En quoi nous avons un lien particulier entre politique et intellectuels qui n’est pas né avec l’affaire Dreyfus.

SAINT-SIMON, L’AVANT-GARDE, L’HERITAGE CONTROVERSE D’UN ULTIME ÉCRIT EN 1824

« La notion d’avant-garde concernant les artistes et surtout leurs liens avec une avant-garde politique en ce qui concerne le mouvement ouvrier est un héritage du socialisme utopique et en particulier de Saint-Simon mais aussi de Fourier (1). Conçu comme un dialogue entre les représentants des « trois grandes capacités » de la société, ce texte fondateur figure comme conclusion à une collection d’essais doctrinaux, consacrés aux questions de philosophie et d’organisation sociale, qui parut en décembre 1824. Écrit quelques mois avant la mort de Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825), et édité sans nom d’auteur, son statut et ses rapports à la doctrine de ce dernier restent controversés. Selon des sources différentes, le dialogue est l’œuvre de Saint-Simon lui-même, aidé de son assistant Léon Halévy (1802-1883), ou de son disciple Olinde Rodrigues (1795-1851). Néanmoins, la promotion de l’artiste comme figure-clé de la transformation sociale suit l’évolution de la pensée du maître qui, dans ses dernières œuvres, commence à privilégier le pouvoir du sentiment comme moteur du comportement individuel et collectif. Cette mise en valeur du sentiment, éclipsée pendant un certain moment parmi les premiers successeurs de Saint-Simon qui se regroupaient autour du Producteur (1825-26), est renforcée par l’élévation de Prosper Enfantin comme chef de l’école vers 1829. »(2)

Largement indifférents aux questions d’esthétique, Saint-Simon et ses premiers disciples (pour lesquels l’art lui-même est un terme désignant une large gamme d’activités, de la musique à la rhétorique) envisagent les artistes de l’avenir exclusivement du point de vue de leur valeur sociale. Ainsi compris, ils constituent une « avant-garde » dans la mesure où ils ont assimilé les idées favorisant le progrès social, idées rationnelles et discursives conçues en concert avec les savants et les industriels, et qu’ils les traduisent en des formes accessibles et entraînantes pour gagner l’adhésion du peuple.

Les disciples de Saint-Simon firent fructifier l’idéologie du philosophe utopiste pendant tout le XIXe siècle, le mouvement saint-simonien exerça son influence sur les élites pendant tout le XIXe siècle, influence qui atteint son apogée, avec une génération de financiers, de polytechniciens et de journalistes, sous le Second Empire, période qui fut « l’âge d’or d’une industrialisation à la française ». Ce furent les disciples de Saint-Simon qui apportèrent des réalisations concrètes dans le domaine technique et économique, qui contribuèrent à faire entrer la France dans l’ère industrielle. Parmi ceux-ci les frères Péreire, par ailleurs grands collectionneurs de tableaux anciens et contemporains, avec le développement du chemin de fer et la création de la première banque d’affaires, le Crédit Mobilier. Le saint-simonisme avance des idées telles que l’égalité des sexes, la fin de « l’exploitation de l’homme par l’homme »

Mais ce n’est pas nécessairement en reprenant le texte controversé de 1824 qu’ils s’imposèrent dans l’élite industrielle du XIXème siècle.

FOURIER , LE PHALANSTÈRE ESTHÉTIQUE ET LA PÉDAGOGIE RÉPUBLICAINE

Mais la thèse de 1824 sur le programme de l’engagement social de l’artiste ébauché par Saint-Simon ou par ses disciples dissidents fut reprise dans les années 1840. Ce furent surtout Charles Fourier et ses adeptes qui diffusèrent largement les idées saint-simoniennes, en particulier dans la bourgeoisie et chez des jeunes artistes, les artistes deviennent alors le symbole de la concorde sociale, l’harmonie collective et aussi un idéal de vie, un phalanstère qui génère l’harmonie. La Villa Médicis en Italie avec ses prix de Rome abritait, parmi les élèves, plusieurs partisans de Fourier.

On peut considérer qu’en dehors du texte de 1824, Fourier en matière d’art est aux antipodes de Saint-Simon, mais il est proche des surréalistes, il insiste sur le fait que l’art doit « faire rêver », qu’il « engage à désirer, à espérer » en « glorifi[ant] le luxe ». C’est ainsi, souligne-t-il, que l’artiste jouera un rôle capital dans l’avènement d’une société caractérisée par le bonheur et la solidarité, et excitera un juste dédain des maux de la « Civilisation ». Donc l’artiste à son insu libère l’humanité et il s’enthousiasme pour Delacroix. Avec son insistance sur la rêverie, son enthousiasme pour Delacroix et sa manipulation des analogies, on mesure bien sa relation avec les surréalistes et leur vision de la Révolution (3).

Comment ce phalanstère du rêve peut-il se concilier avec non seulement le saint-simonisme industriel mais aussi « l’esthétique républicaine » de la troisième République qui enrôlait l’art comme les sciences, l’histoire dans l’instruction du peuple, simplement en montrant que les sujets sociaux, ceux qui dépeignaient la misère du peuple et son exploitation étaient interdits par le marché, et les institutions académiques allaient à l’encontre de la liberté de l’artiste.

L’allégorie et l’interprétation idéologique à partir des convictions de chacun règnent en maître.

LES UTOPISTES ET MARX

Le seul point commun entre les utopistes était de penser que l’art pouvait contribuer à changer pacifiquement la société en éliminant à la fois la terreur révolutionnaire et la dictature de la bourgeoisie.

Ce qui évidemment n’était pas dans la pensée de Marx tout à fait convaincu qu’à la violence de la bourgeoisie, il fallait opposer la violence de la dictature du prolétariat.

Marx et Engels ont critiqué l’école des socialistes dits utopistes mais ils s’en sont nourris. Dans ses Manuscrits de 1844, Marx se réfère à Saint-Simon, Fourier, Pecqueur, Proudhon et Cabet.

Marx a indéniablement une sensibilité esthétique, il est proche de Heine et il faut relire les pages de la Sainte famille où il critique le roman d’Eugène Sue Les Mystères de Paris pour mesurer à quel point le sensualisme ne lui est pas étranger, mais il ne théorise pas sur ces questions. En revanche, il mène un combat idéologique pendant plus de 40 ans contre les socialistes utopistes non sans les avoir étudiés et parfois s’en être inspiré.

C’est en particulier le cas pour leurs idées sur l’éducation. Marx se réfère beaucoup à Owen (du fait des expériences de celui-ci à New-Lanark), à Saint Simon, à Morelly. C’est chez eux que Marx trouve certaines idées sur le travail des enfants, s’il dénonce les conditions du travail des femmes et des enfants dans la grande industrie, il y voit aussi la base d’une émancipation et il s’intéresse à une formation des enfants où la scolarité serait menée avec un rôle social dans la production dès l’âge de 10 ans, idée qu’il développe avec Engels dans le Manifeste.

Mais Marx se dégage assez vite de nombre d’idées de Saint-Simon, comme il s’est dégagé de Proudhon, et le présente notamment comme un doctrinaire et non le scientifique qu’il prétend être.

L’analyse de Marx, la manière dont il dénonce les socialistes utopistes est d’abord un obstacle et ses critiques contre Saint-Simon, mais aussi Proudhon et Blanqui ne convaincront qu’après la Commune de 1871. La Commune de paris avec sa semaine sanglante après les illusions de fraternisation universelle mais aussi toute une réflexion sur l’éducation, sur les institutions, témoignent de la violence réelle de la classe dominante et de l’impossible foi en sa bienveillance devant le changement révolutionnaire. C’est cela qui pour Marx souvent irrité par les Français, « cette nation d’émeutiers », leur reconnait la capacité d’aller jusqu’au bout dans la lutte des classes et donc de démontrer malgré eux la nécessité de répondre à la violence du capital par la violence du prolérariat.

POURQUOI ARGENTEUIL ET LE RETOUR A L’UTOPIE ?

Est-ce un hasard si au moment où le PCF s’engage dans un modèle de socialisme sans dictature du prolétariat tablant donc sur un passage pacifique au socialisme on voit surgir Argenteuil et le retour à la pensée utopiste française que quelqu’un comme Aragon connait parfaitement. Les influences ne sont pas les mêmes que celle de la démarche parallèle d’un retour à Gramsci, mais il faudrait certainement fouiller les conséquences d’un choix et la manière dont celui-ci va être encore infléchi par la fin de l’URSS et la crise du communisme européen.

Je n’ai pas de réponse à cette question mais il me semble que le contexte dans lequel s’élabore la question du rôle des avant-gardes alors même que le PCF renonce à son rôle d’avant-garde et que le mitterrandisme avec son accompagnateur Jack Lang pèsent lourdement sur ce qui s’est amorcé dans les années soixante et dix et qui se heurte de plein fouet à la contre offensive du capital. Ce qui est de fait au centre de mes mémoires, l’idée d’une stratégie inadaptée à ce qui va vers l’usure de la démocratie et donc la parodie de la citoyenneté dans l’individualisme vide. Le penseur Ivan Illich faisait à la fin des années 60 ce constat : « La faculté de jouir des stimulants faibles décroît. Il faut des stimulants de plus en plus puissants aux gens qui vivent dans une société anesthésiée. » et faute de stimulants puissants on joue avec l’impuissance, la régression… A disparu cette idée que le communisme a porté et qui consiste à élargir toujours plus un public de connaisseurs et dont la dernière véritable conquête a été la décentralisation sous la direction de créateurs… Qu’est ce donc que le mitterrandisme sinon le renoncement à cet élargissement d’un public de connaisseurs devenus les badauds comme dans tous les académismes ?  Jack Lang se contente des strass et paillettes, de la flatterie courtisane et de l’événementiel…

Est-ce qu’il n’y a pas une soumission de fait aux formes les plus institutionnalisées de l’art en particulier par le marché et les médias, une absence de vision critique aux antipodes de la capacité d’Aragon de percevoir ce qui était en train de naître dans les sensibilités d’une époque, de voir dans la rue elle-même la créativité d’une époque avec le travail de l’artiste pour porter cette créativité? Qu’est qu’un peuple éduqué ? Être élitaire pour tous selon une expression consacrée ? Jamais Aragon n’a conseillé de gober tout et n’importe quoi.

Ce ne sont que quelques idées jetées, mais c’est un énorme champ de recherches qui permettrait de comparer les réalisations, ne pas se contenter des idées toutes faites mais bien tenter de comprendre comment partout les communistes à partir de leur propre histoire, de leurs luttes politiques ont tenté de poser ces questions. L’exemple de Cuba là aussi mérite d’être pris en compte et avec J.F. Bonaldi, nous avons esquissé quelques traits, la part en revient à J.F. Bonaldi qui maîtrisait beaucoup mieux que moi cette histoire et il existe à Cuba une abondante littérature sur le sujet avec des gens comme J.M. Heredia (4).

Danielle Bleitrach

(1) J’ai proposé une méthode d’étude des liens entre la création intellectuelle et artistique et la politique d’une époque dans mon livre « Brecht et Lang, le nazisme n’a jamais été éradiqué » qui porte sur l’originalité du champ esthétique allemand. lettmotiv 2015.

(2) Henri de SAINT-SIMON, « L’Artiste, le savant et l’industriel », Œuvres complètes de Saint-Simon et d’Enfantin, vol. 10, 1875, p. 201-258. Extrait p. 209-

(3) Aragon est un lecteur de Fourier, dans la bibliothèque du Moulin, outre toute une collection de cartes postales qui lui ont servi de support à l’écriture de la semaine sainte, un tableau représentant Géricault, le peintre héros de la semaine sainte, il avait toute l’œuvre de Fourier.

(4) Danielle Bleitrach, J.F.Bonaldi. « Fidel, le Che ou l’aventure du socialisme. Le temps des cerises. 2006

 

Le bilan de l’URSS en Asie centrale, socialisme et héritage colonialiste, contradictions…

Voici une autre expérience qui porte sur la question de socialisme et colonialisation avec ici aussi comme en Bolivie un modèle étatique qui se préoccupe de sortir de la misère mais aussi de la diversité culturelle avec la difficulté de faire s’exprimer ceux qui n’ont jamais eu le droit à la parole, les indigènes mais aussi les femmes. Les bolcheviks avaient hérité d’un immense empire des Romanov et les effets de 1917 ont été ressentis à des milliers de kilomètres de Pétrograd, mais comme l’a très bien vu Moshe Lewin, il y a eu interaction, création originale. À ce jour, les nations d’Asie centrale sont façonnées par ce qui s’est passé il y a un siècle. Alors, que peuvent-ils nous dire de l’histoire de la Révolution et de ses revendications d’émancipation? cet article est passionnant parce qu’il est loin des raccourcis sur ce que fut l’Union soviétique, la manière dont elle organisa une rupture avec le passé colonial avec l’empire tsariste, mais peut-être le fit dans une relation complexe avec les populations, de sorte que la nostalgie ici aussi à l’œuvre reste réactionnaire selon ce spécialiste de l’art et de la culture et il faut la dépasser pour retrouver ce que fut réellement l’élan révolutionnaire et sa créativité (note et traduction de Danielle Bleitrach).

19 septembre 2019
Texte: Samuel Goff

La révolution russe n’était pas seulement russe. L’État impérial tsariste  dont  les bolcheviks s’emparèrent  régnait de l’Arctique au Bosphore et de l’Europe centrale au Pacifique. Pour le jeune État soviétique assiégé , ces propriétés impériales représentaient un cauchemar logistique et idéologique; parcourir les listes de minuscules et obscures Républiques et Oblastes autonomes autonomes , dont beaucoup ont surgi et ont été démantelées ou fusionnées en l’espace de quelques années seulement, donne une idée de l’hétérogénéité de la Révolution.

En tant que centre politique de cet ensemble, la «Russie» en est venue à représenter un éventail de peuples et d’histoires distinctement non russes. Cette sorte de myopie russo-centrique a fini par disparaître dans les anciens États européens de l’Union soviétique – personne ne risque de confondre si facilement l’Ukraine et la Russie. Cependant, de nombreux angles morts persistent, et le plus important d’entre eux est l’Asie centrale: la masse terrestre qui s’étend de la mer Caspienne à la Chine et qui comprenait cinq républiques soviétiques, désormais connues sous le nom de «stans»: Kazakh, Kirghize, Turkmène, Tadjik et Ouzbek .

Le Turkestan, l’émirat de Boukhara et le khanat de Khivan ont été envahis et conquis par la Russie dans la seconde moitié du XIXe siècle. Si les arguments au sujet de la révolution permettent souvent de déterminer si les modernisations politiques et politiques qu’elle a déclenchées étaient moralement justifiables compte tenu de la violence en jeu, l’Asie centrale a alors mis en scène ces questions à grande échelle.

 
 

Pour comprendre les effets de la révolution sur différentes cultures d’Asie centrale, je m’adresse à Georgy Mamedov, codirecteur artistique de ShTAB , une plateforme culturelle et militante régionale basée à Bichkek, la capitale du Kirghizistan. Avec Oksana Shatalova, Mamedov a récemment édité une collection d’essais intitulée Concepts du soviet en Asie centrale , qui aborde des questions qui ont longtemps celles  des tentatives visant à donner un sens à l’héritage révolutionnaire.

L’Asie centrale soviétique était-elle un projet colonial? A-t-il émancipé les femmes ou leur a-t-il simplement imposé de nouvelles normes sociales? At-il créé un nouvel art audacieux ou juste une décoration de fenêtre exotique?

« Il est très difficile de parler de l’Asie centrale dans son ensemble à cette époque », a-t-il averti. «Les territoires étaient vraiment vastes, avec différents mouvements nationalistes pro et anti-communistes. Tachkent était une très grande ville, avec une architecture européenne dans la partie coloniale. Samarkand était un grand centre islamique médiéval avec une belle architecture. Ce qui est maintenant Bichkek était alors une très petite ville, plutôt un fort militaire, principalement peuplé par les Russes. Alma-Ata [maintenant Almaty au Kazakhstan] était aussi un fort appelé Verny. ”

La propagation de l’idéologie bolchevique sur ce vaste terrain était loin d’être uniforme. Tachkent, le bastion militaire de l’ancien Empire, avait une population russe puissante et reprenait les idées de Pétrograd beaucoup plus rapidement. «À Tachkent, le premier musée public a été créé dès 1918, à partir des collections d’un duc exilé», explique Mamedov. «Un artiste ouzbek très célèbre, Aleksandr Volkov, travaillait déjà avec le commissariat soviétique sur l’éducation artistique des enfants en 1918.»

D’autres centres urbains ont rapidement été gagnés: «Au début des années 20, de sérieux projets d’industrialisation ont été initiés, les villes sont devenues plus internationales. Comme partout dans l’ancien empire russe, la vie était très dynamique. Le processus institutionnel était peut-être plus chaotique ici, mais l’idée que la situation politique était quelque peu figée en Asie centrale et en attente d’un ordre envoyée d’en haut n’est pas correcte.  »

 

Quand le pouvoir politique soviétique s’est consolidé dans les anciens territoires impériaux, l’attention s’est tournée vers l’art et son rôle dans les nouvelles structures sociales provisoires. Manquant des infrastructures nécessaires à une industrie cinématographique autochtone – le cinéma d’Asie centrale n’a pris son envol qu’après la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle les principaux studios de cinéma soviétiques ont été évacués vers le Kazakhstan – des militants du parti locaux se sont tournés vers la peinture pour diffuser leur message.

«Le principal défi [de l’art soviétique] était de représenter ceux qui n’avaient jamais été représentés auparavant: le prolétariat», affirme Mamedov. «Je pense que la peinture en Asie centrale, en Ouzbékistan et au Kirghizistan en particulier, dans les années 1920 et 1930, consiste à essayer d’élaborer de manière théorique et visuelle le nouveau sujet auquel la révolution a donné naissance. Non seulement l’ouvrière, mais aussi le sujet national et les femmes. ”L’art le plus connu de l’Asie centrale avait été produit par des tournées russes telles que Pavel Kuznetsov. «Une grande partie de la production exotique et dépolitisée de ces sujets. Le défi était sérieux: comment préserver et même célébrer les particularités, tout en évitant de faire de ces personnes, de ces sujets et de ces cultures une simple décoration. ”

Le principal défi de l’art soviétique était de représenter ceux qui n’avaient pas été représentés auparavant.

Mamedov met en vedette deux artistes représentatifs de son Kirghizistan natal qui ont contribué à inverser cette tendance: Semen Chuikov et Gapar Aitiev. «Chuikov était très fidèle à la vie», dit-il. «S’il peignait des yourtes, il ne peignait que les yourtes des pauvres. Étrangement, ces œuvres ne sont pas très favorisées par les historiens de l’art soviétiques et post-soviétiques, car elles ne sont pas très professionnelles, ni très avancées, pour ainsi dire. Mais ses premières œuvres sont importantes dans le débat sur la représentation des sujets d’Asie centrale. »Né à Bichkek au début du siècle, de parents de souche russe, Chuikov a grandi à une époque de tension raciale croissante et a étudié à la célèbre avant école vKhutemas à Moscou, mais est revenue pour se jeter dans la cause kirghize soviétique. «C’est intéressant, il trahit en quelque sorte son origine russe et se tient du côté des rebelles, ”Note Mamedov. Aitiev était plus jeune, un bénéficiaire plus direct de la politique soviétique: il était le premier Kirghiz à recevoir une éducation artistique nationale.

L’exemple le plus clair de l’évolution rapide de l’art soviétique en Asie centrale a eu lieu à Frunze en 1936 (lorsque les bolcheviks ont été implantés à Bichkek). Pour marquer le 20e anniversaire des manifestations de masse anticoloniales de 1916, l’Union des artistes de Frunze a organisé une exposition présentant le meilleur de l’art kirghize soviétique et de l’Asie centrale. Présentant 140 peintures d’artistes professionnels et amateurs, l’exposition a réuni 20 000 personnes en quelques mois seulement, un chiffre remarquable qui a prouvé à quelle vitesse la culture soviétique s’était développée dans la région. «Je ne peux pas imaginer qu’une exposition attirerait 20 000 personnes à Bichkek aujourd’hui», admet Mamedov. «Si nous regardons maintenant ces peintures, nous les considérerions comme radicales dans leurs critiques explicites du colonialisme et du chauvinisme dit« des grands russes ». »
 

Les représentations  de Chuikov constituent un élément important de toute réévaluation critique de l’héritage ambigu de la révolution en Asie centrale. L’Union soviétique n’était pas la continuation de l’Empire tsariste et s’est même présentée de manière explicitement anticoloniale; dans le même temps, les républiques d’Asie centrale ont été construites conformément aux principes élaborés dans les régions lointaines de Moscou et de Léningrad. Mamedov explique: «C’est ainsi que les nations modernes d’Asie centrale se sont créées. Et pourtant, il y a cette aliénation qui est rarement reflétée, du moins sérieusement. Pouvons-nous simplement parler de colonial et mettre fin à l’histoire? Non, il faut l’explorer différemment. Parce que la plupart des analyses ont été faites en Russie et en russe, où l’aspect colonial est généralement ignoré. ”

«Pour tenter de conceptualiser cette aliénation, nous l’appelons« émancipation sans sujet ». La révolution était émancipatrice, mais c’était une émancipation imposée aux sujets de l’Asie centrale. Cherchons donc ces sujets, pour  comprendre ces processus. Nous ne sommes pas si naïfs d’imaginer que tout a été imposé de l’extérieur et que les gens ont obéi en silence. Nous devrions rechercher les voix sur le terrain.  »

 
 

Tout cela est aussi pertinent aujourd’hui que jamais auparavant. Les liens historiques avec la Russie et jusqu’en 1917 façonnent fondamentalement les «postures» post-soviétiques. Le commerce avec Moscou est toujours crucial et la politique autocratique qui, malheureusement, définit ces pays désormais indépendants s’est développée à partir des noyaux du parti communiste. . Comme l’a souligné l’érudit Sergei Abashin, il est plus facile de dire que l’Asie centrale actuelle entretient une relation postcoloniale avec la Russie que de dire définitivement si l’Asie centrale soviétique était elle-même coloniale.

Les «postures» post-soviétiques sont fondamentalement façonnées par leurs liens historiques et géographiques avec la Russie et jusqu’en 1917.

Le désir de Mamedov de re-conceptualiser cette histoire est lié à son désir d’améliorer les conditions de l’ici et maintenant. Les idéaux progressistes ont-ils été affectés à jamais par leur association avec l’État soviétique? Les aspirations actuelles à l’égalité des sexes, aux soins de santé, aux droits des travailleurs et à l’internationalisme sont-elles équivalentes au projet soviétique abandonné de longue date? Après cent ans de révolution incomplète, Mamedov est convaincu que la simple nostalgie ne suffira pas.

«Les gens ici font appel à l’héritage soviétique de manière réactionnaire», dit-il. «Par exemple, il y a une nostalgie de la ville soviétique de Frounze: à quel point c’était propre, à quel point la population était instruite. Mais ces appels seront toujours contaminés par des sentiments xénophobes vis-à-vis des migrants qui arrivent maintenant à Bichkek en provenance d’autres régions du pays. C’est une déclaration protectionniste, réactionnaire et xénophobe qui en même temps fait appel à l’héritage de modernisation de l’Union soviétique. « 

Pour conclure, a-t-il conclu, la véritable voie à suivre consiste à célébrer les «aspects avant-gardistes» de la période soviétique. Pas pour reconstruire le passé, mais pour construire quelque chose de nouveau, sans avoir besoin de se tourner vers l’étranger pour obtenir des conseils: une émancipation sans aliénation.

Texte: Samuel Goff

 

Cuba : Notes graphiques de la semaine (21)

En général je ressens  une profonde allergie aux caricatures diffusées sur les réseaux sociaux, vulgaires, machistes, elles ne me font pas rire et m’inspirent du dégout, mais là il y a du graphisme, de l’imagination, on sent un peuple éduqué dont le rire est sollicité au-desssus de la ceinture et à travers une intelligence du monde. Bref! Cuba… (note et traduction de Danielle Bleitrach)

Diego Rafael Albornoz (Cuba)

Par Octavio Fraga Guerra

Cette semaine, le peuple cubain a encore une fois remporté une nouvelle victoire à l’Assemblée générale des Nations Unies. La résolution «Nécessité de mettre fin au blocus économique, commercial et financier imposé à Cuba par les États-Unis d’Amérique» a été approuvée par 187 voix pour, 3 voix contre et 2 abstentions. L’artiste cubain Diego Rafael Albornoz prend note de ce fait avec une esthétique sportive. La juste libération de l’ancien président du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva, les trajectoires négatives des nouvelles technologies ainsi que les catastrophes économiques en Argentine, résultat de la politique néolibérale de l’actuel président Mauricio Macri, font partie de l’agenda de cette sélection. Les effets du réchauffement sur la terre ou sur les enfants que certaines régions du monde ont forcés à devenir des soldats de guerre,

Falco (Cuba)

Seyran Caferli (azéri)

Miha Ignat (Roumanie)

Simanca (Cuba)

Normal Gergely (Hongrie)

Marian Kamensky (Autriche)

Luc Descheemaeker (Belgique)

Vasco Gargalo (Portugal)

Mohammad Sabaaneh (Palestine)

Glen Le Lievre (Australie)

Ivailo Tsvetkov (Bulgarie)

Simanca (Cuba)

Emad Hajjaj (Jordanie)

Shahid Atiqullah (Afghanistan)

Emad Hajjaj (Jordanie)

Oguz Gurel (Turquie)

Shahid Atiqullah (Afghanistan)

Mohammad Sabaaneh (Palestine)

Simanca (Cuba)

Partager:

OCTAVIO FRAGA GUERRA

Diplôme en communication audiovisuelle de l’Institut supérieur des arts (Université des arts de Cuba). Spécialiste de la Cinémathèque de Cuba. Film articuliste. Collaborateur des publications de Cubaperiodistas, El Periódico Cubarte et La Jiribilla. Membre de l’Union des journalistes de Cuba. Ses textes sont également inclus dans d’autres médias à Cuba, en Espagne et en Amérique latine. Il a été présentateur, scénariste et directeur de The Lucid Chamber, de Tele K, à Madrid, espace de télévision consacré à la promotion du cinéma documentaire ibéro-américain. En tant que cinéaste, il a produit plusieurs documentaires. Il était directeur des publications Jazz Plaza et Cubadisco. Editeur du blog CineReverso.

 

les leçons de Lula et de Courbet, l’impossibilité de pactiser avec le capital et ses valets et le bonheur immense de la lutte…

L’image contient peut-être : 1 personne, sourit, debout, océan, plein air, eau et nature
L’image contient peut-être : 1 personne, sourit, debout, océan, eau, plein air et nature
L’image contient peut-être : une personne ou plus, océan, eau, plein air et nature
Résultat de recherche d'images pour "courbet le salut à la mer"
la leçon de Lula comme celle de  Courbet est celle que je veux retenir: le capital ne supporte aucune « modération » si le cap reste celui des intérêts de la classe ouvrière et des travailleurs, si au plan national comme au plan international on refuse de désavouer les siens… essayez de vous souvenir pourquoi je compare Courbet à Lula, ce n’est pas seulement à cause de l’image…
S’ils ont  senti le sang , le capital ou minables  comparses, ils  ne vous  lâcheront jamais,inventeront que vous êtes coupables même sans apporter les preuves de leur dires, ils ont le pouvoir, ils disent ce que tout le monde répète, cela suffit pour vous incarcérer, vous refuser le droit à l’existence,  mais il y a chez celui qui choisit la lutte un bonheur d’être « l’homme libre qui toujours cherira la mer » et connaitra le bonheur des élements autant que celui de sentir son coeur se gonfler dans les combats…
danielle Bleitrach
 

Non Picasso n’est pas un peintre français : on lui a refusé la nationalité par deux fois, comme anarchiste et comme communiste

Jugé « anarchiste », Picasso s’est vu refuser la nationalité française
Résultat de recherche d'images pour "picasso guernica"

Lu sur Marseille Solidaire :
« Anarchiste », « rebelle », Espagnol qui « parle à peine le français », « communiste » : c’est ainsi que les autorités françaises ont qualifié Picasso dans les années 30 et 40, a révélé une exposition d’archives de la police nationale.

Le musée de la Préfecture de police, au coeur de Paris, expose une collection de documents inédits qui démontrent les difficultés que les étrangers, surveillés par les autorités, rencontraient en France au début du XXe siècle.

Ces archives, volées par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, ont été saisies par les troupes soviétiques en Allemagne pour être finalement restituées à la France en 2001.

« Il a fallu trois ans pour faire l’inventaire de 140 caisses de documents », a expliqué Claude Charlot, directeur des archives.

Une lettre retient tout particulièrement l’attention des visiteurs. « Monsieur le garde des Sceaux, j’ai l’honneur de solliciter ma naturalisation et m’engage à payer les droits du sceau à cette fin », indique-t-elle. Datée du 3 avril 1930, elle porte l’inimitable signature de Picasso.

Selon les responsables de l’exposition, même la famille du peintre ignorait qu’il avait demandé la nationalité française.

A cette époque, le dictateur Francisco Franco au pouvoir en Espagne était l’allié d’Hitler et l’Espagnol Picasso était citoyen d’une puissance ennemie de la France.

Depuis son arrivée en France en 1901, l’artiste était surveillé par la police. « Arrivé à Paris le 5 mai dernier, il demeure depuis cette date chez son compatriote, l’anarchiste surveillé Manach Pierre qui habite dans ses meubles 130ter, boulevard de Clichy », note ainsi un rapport de police daté du 18 juin 1901.

« Il parle si mal le français qu’on le comprend à peine », souligne un autre rapport.

En 1940, Picasso a de nouveau demandé la nationalité française. Riche et célèbre, il avait alors de nombreux amis. Le commissaire du quartier de la Madeleine avait donné un avis favorable expliquant que le peintre était bien intégré et qu’il avait payé en 1939 quelque 700.000 francs d’impôts, une somme impressionnante à l’époque.

Mais les services du renseignement ont de nouveau refusé sous prétexte que le peintre avait non seulement « conservé ses idées extrémistes » mais qu’il était même devenu « communiste ».

Picasso a, semble-t-il, considéré cette réponse comme définitive : il n’a jamais plus demandé d’être Français.

par Chormou

Ecrit par Cercamon, à 17:23 dans la rubrique « Culture« .
 
1 commentaire

Publié par le novembre 5, 2019 dans France, HISTOIRE, mythe et légendes, peinture

 

Cuba : « IL A LE DROIT, LUI…IL EST NEGRE! « L’OEUVRE MÉTISSE DE WIFREDO LAM

maintenant que je suis un peu rassurée, ce blog peut continuer sa vocation celle de la compréhension aussi des cultures pour enrichir l’échange politique, celui de nos combats communs. On parle avec raison de la musique cubaine mais il est moins fait état de sa peinture, pourtant si vous allez à Cuba ne manquez pas de vous y intéresser en visitant le musée de peinture de la Havane et en découvrant des peintures de Wilfridi LAM, peintre surréaliste, métisse d’africain, d’espagnol et de chinois comme tant de Cubains et qui à propos de son retour à Cuba,  déclarait :  » La seule chose, certainement, qui me restait à ce moment était mon désir ancien d’intégrer dans la peinture toute la transculturation qui avait eu lieu à Cuba entre Aborigènes, Espagnols, Africains, Chinois, immigrants français, pirates et tous les éléments qui formèrent la Caraïbe. Et je revendique pour moi tout ce passé (note de Danielle Bleitrach)

https://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/2011/04/il-a-le-droitluiil-est-negreloeuvre-metisse-de-wifredo-lam6.html

 Annonciation701

Noces670Lam décrit la dynamique des osmoses, des change­ments, des liaisons, des fusions, des avatars.. sa peinture apparaît souvent comme un instant de la permanente transformation, un moment dans le cours des mutations, des symbioses. Comme aux origines du monde, lorsque les règnes ne se sont pas encore séparés.la « mise en ordre » n’étant pas encore accomplie, la genèse des choses et des êtres se continuant.  NOCES par exemple a pour sujet l’union de l’humain avec le végétal et l’animal. le tableau nous en fait le récit  selon le déplacement du regard : partant du premier personnage de droite encore humain ,on voit se succéder vers la gauche un muffle (qui pourrait appartenir à un masque Baoulé ou Gouro) puis une tète d’oiseau. un personnage repose sur des sabots de quadrupède et un autre sur des pieds d’homme

Le but de l’artiste est de  créer dans les tableaux un langage dans lequel les fonctionnements du monde sont donnés à lire. Une des caractéristiques essentielles de ce monde pour lui  est le constant retournement d’une valeur dans son autre, voire dans son contraire :AUTEL POUR ELEGUA663 l’image de la dialectique et celle de la révolution. Toute chose, dans sa dynamique, a vocation à devenir son autre. Les symboles ne sont pas fixes, ils existent dans une histoire qui se fait chaque jour et celle-ci utilise leur vocation à la transformation. C’est à ce titre qu’il utilise par exemple la figure justement ambivalente  d’ Eleguâ,  le gardien des portes et des carrefours. Dans ses fonctions, et donc dans les pouvoirs qui le définissent, Eleguâ est aussi bien lié à l’univers intérieur que la porte protège, qu’à ce qui se passe, par-delà le seuil, dans l’infini du chemin et des hasards des carrefours. Deux attribu­tions à bien des égards contradictoires, qui expliquent pourquoi Eleguâ est susceptible de jouer des tours pendables en toutes circonstances. Comme toute chose dans le monde incertain du vaudou, le pouvoir des orishas est marqué par une précarité et une réversibilité qui ne laissent personne en paix.

 

À propos de son retour à Cuba, il déclarait :  » La seule chose, certainement, qui me restait à ce moment était mon désir ancien d’intégrer dans la peinture toute la transculturation qui avait eu lieu à Cuba entre Aborigènes, Espagnols, Africains, Chinois, immigrants français, pirates et tous les éléments qui formèrent la Caraïbe. Et je revendique pour moi tout ce passé.

L'indésirable682
Nativite672L’ensemble, et avec lui les expressions tellement diversifiées des arts des Amériques, résonne el rayonne d’un métissage né à souffrance. Que serait le métissage, dans l’art de peindre ? Peut-être, sculpter la forme bantoue dans l’angoisse insulaire, éclater la joie caribéenne en un carnaval punique, prolonger le silence des dieux mayas par un trait de nuit nilotique. Mais, à chaque fois, pérenniser la rencontre par un imprévisible : Forme, couleur et atmosphère. Le peintre Lam est un énorme producteur de créolisation.

Souches amérindiennes, découpures africaines, empennages ardents du baroque, stridente voltige des modernités sont brassés par un même vent où balancent l’acoma des îles, le palmier de Cuba et les séquoias de Californie, les plantes à guérison et les racines à quimbois poussées au haut des Mornes, les herbes têtues des Andes et les sargasses dérivées vers la mer Caraïbe.

Wifredo Lam, transmuteur de haut ciel, a ainsi préservé nos mémoires terreuses. Il nous déprend de ce temps en chaos où nous étions forcés de gésir dans la baratte atone des îles et le silence glacé des Hauts-Plateaux. Par son œuvre, Chavin recommence. Il fait surgir aussi, d’un tel sursaut des formes et des tons, une offrande primordiale où toute brise, il n’importe d’où levée, aime à frissonne) pour tous. La peinture de Lam n’est ni nègre, quand même elle a retrouvé la Trace, ni chinoise ni amérindienne ni hindoue, ce serait là tout au plus un beau folklore, ni «universelle», ce serait une plaisante vacuité, une élégante suspension dans un non-lieu sans vertiges. La peinture de Lam lève en nous le lieu commun des imaginaires des peuples, où nous nous renouvelons sans nous altérer. EDOURD GLISSANT 

Ttropiques du capricorne680

Parmi les  grands tableaux produisant des symboles et qui interpellent le spectateur, la JUNGLE(1943),  tient la première place,  œuvre exposée dès l’année de sa création à la galerie Pierre Matisse de New York, et qui sera achetée par le musée d’Art moderne de New York. Le 16 septembre 1943, l’artiste écrit à Pierre Matisse qu’il espère pouvoir présenter La Jungle à sa prochaine exposition, parce que ce tableau contient une synthèse des différentes orientations prises par son travail au cours des dernières années

Jungle (2)

Sur un deuxième plan, constitué d’un alignement serré de tiges végétales épaisses rappelant des cannes sucrières, se détachent quatre personnages, pris dans les feuillages, figures anthropoïdes à têtes de cheval ou de lune, agrémentées de symboles et de figures de masques errants dans la verdure. Des bras, des mains, des seins comme des fruits et des fesses abondantes, caractérisent ces personnages figés sur d’énormes pieds reposant sur la terre. Dans l’angle droit en haut : une paire de ciseaux à tondre. La tonalité sombre du sous-bois invite au mystère sur des coloris verts et bleus tandis que les figures se détachent d’ocrés et de vermillons rares. . Lam667Les hybrides de La Jungle possèdent les particularités anatomiques et les visages-masques que l’on retrouve dans la plupart des œuvres de cette période, et, là encore, l’artiste leur insuffle une vie nouvelle. Le visage lunaire, le masque zoomorphe surmonté d’oreilles pointues, les fesses hypertrophiées, parfois pourvues d’une queue de cheval, le phallus intégré au visage, les naseaux et la crinière, tous ces éléments sont rassemblés ici. Les composantes biomorphes fusionnent avec la végétation qui les entoure, ne font plus qu’un avec la Nature nour­ricière.  On est sur la terre sacrée  de la tradition afro cubaine couverte  de végétation sauvage où se déroulent les pratiques magiques et religieuses. C’est le lieu de naissance des Orishas et le berceau de la religion. L’Afro-Cubain y trouve tout ce dont il a besoin pour les usages magiques et médicinaux. Quand un fidèle pénètre dans cet environnement feuillu, il doit témoigner son res­pect aux esprits et leur faire une offrande de circonstance, comme le rappellent les personnages qui offrent des plantes à même les paumes de leurs mains tendues. Les femmes-cannes à sucre monu­mentales occupent tout l’espace du tableau. L’arrière-plan touffu pousse les formes hybrides vers l’avant, provoquant une sorte d’entassement au premier plan. Il en résulte une tension spatiale, encore renforcée par l’élan ascendant des silhouettes verticales. D’autres conflits sont provoqués par l’hypertrophie des pieds et des mains, et par les formes puissantes des masques, qui contras­tent avec la gracilité des femmes-cannes à sucre. Les mouvements vers l’avant et vers le haut créent une dynamique qui contribue, avec la scansion des pieds énormes, à donner l’impression de formes qui se déplacent dans tous les sens sur le sol. Tous ensemble, ces amalgames d’êtres humains, de plantes et d’animaux exécutent une danse lente et rythmée en l’honneur des forces vitales qui rési­dent dans tous les aspects de la nature.JUNGLE EXTRAIT705

 

D’où provenait surtout la fascination? Du rythme, d’abord, j’imagine. Ce défilé de verticales et d’obliques, d’un bord à l’autre, rapprochées, de jambes rectilignes et de cannes, fait que l’oeil éprouve une cadence, un martèlement impla­cable, qui se transmet à l’oreille, comme de tambours dans l’épaisseur et la touffeur d’une forêt nocturne.

De celle-ci les esprits nous apparurent après. Quatre per­sonnages se dégagèrent alors, moins « devant » le fond vé­gétal que liés encore à lui, leurs membres ressemblant aux stipes, par suite d’un mimétisme presque parodique, étendu à l’ensemble: seins pareils à de lourds fruits tropicaux, croupes à des calebasses, visages à des lunes.

Les faces? Masques destinés à engendrer l’inquiétude, l’effroi même. Pour ceux des figures latérales, nous sommes absents, inexistants. Les deux du centre: leur dessein est de méduser. En tous ces corps aux pieds énormes, étales sur la terre —(et l’on attendrait, du sénestre, des sabots, sa queue, son mufle, sa crinière étant chevalins!)— le cœur a-t-il une place où vraiment se loger? De tels appariteurs nous n’avons à attendre qu’une action d’hypnose, un som­meil, que d’ailleurs ils peupleront.

01_rousseau_foret_tropicale_avec_singes-8288490

L’anatomie imaginaire toujours provoque le malaise. La cruauté de ces êtres me reporte au retable de Grùnewald. La Jungle: lieu de menaces, d’agressions, de périls connus ou inconnus. Poème barbare, monumental, superbe.Jungle.DOUANIER ROUSSEAU

Sur cette oeuvre, il faut écouter Lam: «Quand je la peignais, les portes et les fenêtres de mon atelier étaient ouvertes. Les passants pouvaient la voir. Ils s’écriaient: Ne regardons pas, c’est le Diable! Ils avaient raison. Un de mes amis y découvre justement un esprit proche de certaines figurationsinfernales du Moyen âge. De toute façon, le titre ne corres­pond pas à la réalité naturelle de Cuba, où l’on ne trouve pas de jungle, mais le basque, le monte, la manigua —le bois, la montagne, la campagne—, et le fond du tableau est une plantation de cannes à sucre. Ma peinture devait communiquer un état psychique.»

«Je crois que dès mon enfance j’avais en moi ce qui me conduisait à ce tableau. Le douanier Rousseau, tu le sais, a peint la forêt vierge, la jungle, dans Le rêve, le Lion ayant faim, Les singes, etc., avec des fleurs géantes, des serpents. C’était un peintre formidable! Mais il n’appartient pas à ma chaîne naturelle. Il ne condamne pas, lui, ce qui se passe dans la jungle. Moi, oui. Regarde mes monstres, les gestes qu’ils font. Celui de droite offre sa croupe, obscène comme une grande prostituée. Regarde aussi les ciseaux qu’on brandit. Mon idée, c’était de représenter l’esprit des Noirs dans la situation où ils se trouvaient. J’ai montré, par la poésie, la réalité de l’acceptation et de la protestation.»MAX POL FOUCHET .OP.CITE

Lam690

Cette œuvre défie les interprétations unitaires. Michel Leiris dans sa monographie sur le peintre, a pensé aux quatre éléments des cosmologies classiques, mais aussi, «face aux horreurs de la guerre, à la grande raison d’espérer que ces personnages pouvaient, globalement, incarner: l’ac­tion encore inachevée pour laquelle, dans le domaine social, les quatre Internationales se sont relayées».D’autres critiques ont salué  un manifeste la première déclaration plastique ré­volutionnaire d’un Tiers-Monde qui serait déjà conscient de la nécessité d’une mise en commun de toutes les cultures. La nature, est, et n’est pas, celle de l’Afrique : les éléments sémantiques y jouent un double jeu, le fruit, la feuille, la palme, la tige, articulés dans la densité, restent des signes au sens propre, mais sont ouverts sur une polysémie luxuriante. Ainsi, le fruit est aussi sein, croupe, sexe, parties de greffons anthropomorphes étrangement inquié­tants, dont le poids et la turgescence tendent des volumes prêts à éclater.JUNGLE EXTRAIT704  La feuille devient un fer de lance, puis lame, arme, os acéré, tandis que la palme participe d’une nature empennée qui annonce les flèches futures. Palmes et feuilles sont aussi les éléments d’une nature masquée, tant les stries qui les rythment sont aussi celles de masques d’Afrique centrale, tels que les kifwebe des Songye.

nul n’a peut être mieux parlé de la Jungle qu’Edouard Glissant :

Regardez La Jungle encore. Le détail (net) y est consubstantiel de l’inextricable du tout.

Le détail : Une poétique de l’élancement, de mains qui se cabrent, de pieds bien à plat comme des mains qui latent dans le roc, d’étirements et d’élégantes sécheresses, ou au contraire, de bulbes et de bubons qui sont le relief des corps, seins et fesses haut portés, fécondation qui rehausse les maigres allongements de roseaux et d’argiles sèches, et dans cette extravagance retenue, tissant les mailles des cannes et des boutures, un vertige de masques incurvés ou de lunes qui vous dévisagent, une humanité, prise déjà au jaune bleuté de sa propre sève mûrissante.

 Dans La Jungle aussi, l’ocre et le bleu-vert se marient. L’ocre du fond, le travail à venir et déjà le fécond désert à organiser comme une multiple prière, qui doit être savante. Le bleu partout, tentation disséminée, sève montée en tige, qui oriente notre vision de la totalité. Toute brousse est bleue comme la Terre et l’orange aux yeux de Paul Éluard. Ce qui s’aperçoit d’une seule vue, sans qu’on y mesure, ne peut venir que de la sorte. Toute totalité, quand elle n’est pas totalitaire, est immensément bleue.

Lumiere de la foret668Et voici l’inextricable : Que derrière ces motifs il y ait d’autres motifs encore, à l’infini du monde, et jamais une tentation de surprendre des motivations, c’est-à-dire d’établir une profondeur. Derrière la racine et la feuille, il y a la racine et la feuille. Oui, des fonds, et si vous voulez, des profonds, oui. Là où l’ambition de la profondeur eût épuré, rétréci, élu. Ce réel, l’accumulation le tord au contraire en un seul pan qui gravit la hauteur.

Les « autres lois qui marquent la composition de La Jungle », que nous signalait Pierre Mabille («La manigua», 1944), je les conçois ainsi : Dans la jungle comme dans le champ de cannes, aucune perspective inductrice n’opère. Le temps n’y coule pas en ligne repérable, il s’entasse et entremêle. Je crois que c’est là le secret et en même temps l’usage le plus ordinaire des artistes des Amériques. Dans cette dimension de La Jungle, Wifredo Lam a miraculeusement touché au point où espace et temps se fondent en un ici sans ruses, mais non pas sans devenir. La nouveauté de cette technique (remplir la toile, dominer la profondeur, répandre et concentrer l’étendue) dont les spectateurs ne pouvaient pas repérer les lois ni les sources, a choqué les beaux esprits de l’époque, tout autant que cette atmosphère de magie, cette révélation de réalités insoupçonnées, dont elle témoignait.

Dès lors et pour nous les deux lectures de l’œuvre, détail et totalité, repère fixe et vision globale, le clair et l’inextricable, éclairent un même lieu incontournable.

La Jungle est un objet absolu.

Lam691

La fin de la guerre fut pour l’artiste, synonyme de voyages, de rencontres, de nouvelles découvertes, alors que son œuvré était l’objet d’une reconnaissance grandissante. Lam est devenu un peintre de renom international. Lam_et_LeirisDans la même année 1957, on le trouve à Paris, New York, Mexico, Cuba. En 1958, à Chicago, il est nommé membre de la «Graham Foundation for Advanced Study in Fine Arts». Il reçoit d’autres distinctions: le prix «Guggenheim International Award» en 1964, le prix Mazzoto Valdogno de Milan, ville où il exposera, en 1966, une suite de seize eaux-fortes, Apostrophe-Apocalypse, pour un poème de Ghérasim Luca. Il séjourne à Moscou, à Stockholm.

Malgré ses périples il ne cesse de créer : des toiles monumentales  , mythiques, voire ésotériques, des muraux en céramique, là des gravures. Il s’intéresse à des mouvements artistiques naissants (Cobra,  l’Internationale Situationniste), et fait des rencontres  décisives : John Cage, René Char, Asger Jorn, Alexander Calder) et  surtout Lou Laurin, jeune artiste suédoise, qu’il épouse en 1960. Cuba, après la révolution castriste, lui réserve un accueil triomphal en 1963. Lam y fait de fréquents séjours. En 1966, il peint pour le palais présidentiel le tableau, Le Tiers monde.

Femme assissePendant toutes ces années, Lam n’a cessé de créer. A côté de figures monumentales —celle de 1949, au masque en bou­clier—, La femme assise de 1955, d’un dessin si souple, La fiancée pour un dieu de 1959, où se profile un être mystérieux, L’invité de 1964, surgissant comme à l’improviste, la Figure de 1969, scandée par les courbes et les droites, etc., d’autres œuvres montrent une organisation proliférante, d’une ryth­mique intense, dominées souvent par un graphisme où prévalent les angles. Les personnages, dirait-on, sont sortis de la forêt, ils se profilent sur des fonds unis. De cette manière, Les invités (1966), Le corps est le miroir de rame (1964) est une peinture où la richesse linéaire compose un tissu d’une rare densité. Dans Les invités (1966), le chromatisme se réduit volontairement pour que se dégage une sorte de volubilité des corps et du mouvement. La liaison des formes entre elles se poursuit comme par le passé, mais plus « carrée », plus affirmée. Rarement langage de peintre fut davantage conti­nu. Les découvertes de La Jungle n’ont pas été abandonnées, tant s’en faut, mais menées à la plus haute décision plas­tique, à une « écriture » douée d’évidence et de dynamisme suggestif. Les grands artistes inventent et imposent un uni­vers, une vision neuve des rapports entre l’homme et le monde. Pour cela, sans doute, il leur faut entendre la rumeur émanée de la vie, celle justement que Lam entendit et qu’il traduisit en signes.MAX POL FOUCHETLam700

A partir de 1957, Lam se rend régulièrement en Italie et séjourne à Albissola Marina, petite ville balnéaire de la côte ligure. Il y retrouve de nombreux artistes, un milieu pour lui favorable à la création et  y passe plusieurs mois par an. À partir des années 1960, ce sera son  point d’ancrage pour les vingt prochaines années . » . l’atelier du peintre était habité par une forêt de sculptures. Celles-ci, une partie seulement de l’ample collection que Lam avait répartie entre son appartement de Paris et l’atelier italien, provenaient d’Afrique et des îles de l’Océanie. On y trouvait, entre autres, une de ces fameuses sculptures géantes des Nouvelles-Hébrides, taillée dans la masse d’une fougère arborescente. 

Du haut de la colline écrit max pol fouchet, on voyait le golfe noyé dans une brume de chaleur. Entre de grands totems, dressés dans le jardin, admirables pièces de la collection du peintre, cou­raient les enfants de Lou et Wifredo Lam, Eskil Soren Obini, Jan Erik Timour, Jonas Sverker Enrique, respectivement nés en 1961, 1962, 1969, dont les prénoms réunissent plusieurs peuples, plusieurs races, plusieurs mondes.

C’est la que Jorn l’initie à la céramique qu’il développera à partir de 1975 .A  la fin de 1976 il aura exécuté 500 pièces environ. Il répondait ainsi au vœu des ouvriers spécialistes de l’endroit qui souvent lui demandaient pourquoi il se désintéressait de cette technique. La ville lui accorda le titre de Citoyen d’Honneur.

Lam693

« C’est dans ce contexte particulier que les formes et les volumes, qui avaient disparu de la peinture de Lam, revinrent dans l’œuvre grâce à de nouvelles productions en céramique et en bronze. Puisque l’univers pictural avait rejeté tout mimétisme et que Lam s’en tenait désormais aux dessins de la gravure et du pinceau, il fallait bien que ce fût dans un tout autre registre que la substance du monde fasse un marquant retour. Si la matière devait réapparaître, à ce stade dans son art, ce serait donc comme pure matière.C-75.12

La terre, travaillée entre les mains de l’artiste, sera le nouveau creuset d’où émergeront les formes, elle sera elle-même la parturiente des mystères du feu. La terre malléable, celle dans laquelle se prépare la série des bronzes et des céra­miques de cette époque, cette terre porteuse symbolique de toutes les origines, permet à l’artiste de remonter à ce qu’il y a de plus original dans la vie même des hommes. Le contact direct de la main, en deçà du dessin qui est déjà une distance prise, offre un accès direct à la matrice du monde. Sous le titre Préhistoire, I (1975), une forme enlevée d’un disque de terre aux allures d’assiette indique clairement le chemin. À partir d’une sorte de bain primordial aux contours diffus naissent, en quelques coups de couteau portés dans la masse encore molle du substrat originel, deux poissons. Ces êtres dans le symbolisme desquels se lisent nos destins représentent la forme première de la vie émergeant du tohu-bohu. Plus encore que dans le travail à l’eau-forte, l’incision de la terre illustre la puissance symbolique du retour à l’origine. »

 

 

Lam692

169

Lam produit aussi beaucoup de gravures.

Lam travaille dans son atelier milanais en août 1978, lorsqu’il est terrassé par une attaque cérébrale. Il en sort à moitié paralysé et cloué dans un fauteuil roulant. Ce qui ne l’empêche pas de créer principalement des dessins gravures, céramiques ou sculptures. Par nostalgie du pays natal  il partage ces années entre Cuba et Albissola Marina. Il meurt à Paris le 11 septembre 1982. Des funérailles nationales sont organisées le 8 décembre à La Havane.

Une grande partie de ce  travail est destiné à illustrer des albums de poètes, de ses plus proches amis  : Aimé Césaire, André Breton tristan tzara , René Char, Édouard Glissant. Nous sommes dans l’atelier d’Albisola Mare. Sur les murs, de nombreuses peintures représentent des oiseaux singuliers en vol, et, plusieurs fois répété, Le coq des Caraïbes, thème fréquent des dernières années. Près du peintre, Lou Laurin, sa femme, l’écoute, attentive. Lam685C’est une artiste qui crée, avec des éléments matériels, des oeuvres savoureuses, pleines d’humour. Parfois, le visage de Wifredo devient grave, douloureux: il pense à la peine des hommes, à l’injustice, à l’arbitraire, qu’il n’accepta jamais. Soudain les jeunes en­fants de Wifredo et de Lou entrent dans la pièce. Alors il sourit, puis il rit, comme seul il sait rire, comme rit la jeunesse.

Le poète Lautréamont, auquel son oeuvre fait si souvent son­ger, exprimait, dans ses Chants de Maldoror, la revanche de l’irrationnel si longtemps étouffé par le rationnel. A cette fin, sa prose lyrique employait les symboles du couteau, de la griffe, de la dent, toutes les images agressives. De telles images, nous les trouvons aussi dans la peinture de Wifredc Lam, où surgissent, entre les cannes et les fruits des lames, des ciseaux, des monstres.

Plus encore renaissent dans son oeuvre ceux que tous les hommes portent dans leur jungle ou dans leurs jardins inté­rieurs : les grands Invisibles ». MAX POL FOUCHET

 

FEMME CHEVAL677« Wifredo Lam. Lui rendre hommage s’est imposé comme un désir de filiation, nécessaire.

Lam, l’homme de toutes les terres, réelles ou imaginaires, parcourues avec émois, souffrances et espoirs, Cuba, Chine, Espagne, France. Afrique, terre en partage.

Troubles, étonnements face à ces visages qui ne livrent pas leurs secrets. Et pourtant ils veillent avec leurs yeux mi-clos ou grands ouverts interrogeant les ténèbres. Narines dilatées flairant l’invi­sible danger. Les masques montent la garde. D’une œuvre à l’autre, ils déclinent les formes du sacré. Des têtes rondes, des têtes dont l’ovale se fond progressivement dans la ligne du cou, possè­dent encore une part d’humanité. Des faces creusées, des profils aigus où s’inscrivent tout entiers une pupille, une bouche et un nez, laissent glisser leurs traits vers l’insaisissable.

Végétation dense. Dans l’espace clos surgissent des formes-totems aux membres interminables, rivées au sol, mais armées de ciseaux.Grande composition

Grande Composition : des êtres hybrides envahissent la toile. Leurs grands corps se font face, se retournent à demi, parfois se frôlent, s’entremêlent ou au contraire s’opposent. Des seins volumi­neux alourdissent à peine le buste qui s’étire longuement au-dessus d’un bassin, lui-même ampli­fié par la forte cambrure des reins. Les jambes – parfois une seule -, immenses, se terminent par des pieds larges, énormes, les pieds de ceux, humains, animaux, qui depuis toujours sont habitués à fouler la terre.

Des êtres étranges, indéfinissables, comme noyés dans l’obscurité, franchissent l’autre face du monde. Ils sont hors du temps. L’imbrication des formes brouille toute référence. Les corps des personnages deviennent le lieu d’un dialogue avec des éléments se répondant les uns les autres. PersonnageSur la tête, peut-être vague réminiscence d’un bélier, d’un buffle, pour celui qui regarde, se dres­sent des cornes ; points de lumière, elles semblent se multiplier, hérissées tout au long de la nuque et du dos.

Parfois, comme suspendus, ailes déployées, corps losange, piquant du bec vers le sol, des animaux se transforment en victimes sacrificielles. Peut-être pour Yemayâ, déesse de l’eau et mère des orishas. Peut-être pour Ogûn, toujours muni de son sabre ; celui qui est chez les Yoruba et les Nago, Yorisha des forgerons, des guerriers et de tous ceux qui travaillent et utilisent le fer. Ogun, celui qui forge le couteau des sacrifices. Oggun Ferraille, Autel pour Yemayâ ces titres convoquent immanquablement les dieux avec leur ascendance africaine. Mais ce n’est qu’un seul point de tout un réseau de référents qui sous-tend l’inspiration de Lam. Lam, métis, en un temps où il n’était guère besoin de l’afficher, de l’affirmer.. » CHRISTIANE FALGAYRETTES-LEVEAU dans LAM METIS OP.CITE

 Annonciation702

CONNAÎTRE, DIT-IL 

eh connaisseur du connaître 

par le couteau du savoir et le bec de l’oiseau

eh dégaineur 

par le couteau du sexe et l’oiseau calao .

eh disperseur de voiles 

ici la croupe des femmes et le pis de la chèvre

AIME CESAIRE.

 

Annonciation703

 
Poster un commentaire

Publié par le octobre 29, 2019 dans Cuba, peinture

 

Ma langue au chat : Quel événement marque la vie de Picasso à l’automne 1944 ?

Ma langue au chat : Quel événement marque la vie de Picasso à l’automne 1944 ?
Picasso, Chat saisissant un oiseau (détail), 22 avril 1939, huile sur toile, 81 x 100 cm, Musée national Picasso-Paris © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau © Succession Picasso 2019

Jouons aux devinettes autour des nouveaux catalogues d’expositions comme « Picasso. Au cœur des ténèbres 1939-1945 » au musée de Grenoble.

Jusqu’au 5 janvier, le musée de Grenoble retrace l’histoire de Picasso pendant la Seconde Guerre mondiale. Ses œuvres, violentes et parfois allégoriques, traduisent le tragique des combats et l’espoir de la paix à venir.


QUESTION

Quel événement marque la vie de Picasso à l’automne 1944 ?


.
.
.

RÉPONSE

Le 4 octobre 1944, Picasso adhère au Parti communiste français. Farouche opposant de la dictature franquiste, il incarne alors l’art moderne engagé et libéré. Le lendemain, il expose au Salon d’automne, dit Salon de la Libération, les œuvres réalisées pendant l’Occupation. Le public est choqué par les formes torturées et violentes figurant sur ses toiles.


Toutes les réponses figurent dans le catalogue publié par In Fine Éditions d’art,
disponible sur Amazon ou dans les librairies dont les noms figurent le site www.leslibraires.fr

Picasso. Au cœur des ténèbres 1939-1945 
In Fine Éditions d’art, 320 pp., 32 €
Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition « Picasso. Au cœur des ténèbres 1939-1945 »
organisée du 5 octobre 2019 au 5 janvier 2020 au Musée de Grenoble.

+ d’infos

 
Poster un commentaire

Publié par le octobre 23, 2019 dans expositions, HISTOIRE, peinture

 

la dignité des humbles : Le majordome, la vieille dame et les Caillebotte

Le musée d’Orsay vient de recevoir le legs de 5 œuvres du grand peintre impressionniste, via le testament d’une habitante de Levallois récemment décédée, qui n’avait prévenu personne. Cette histoire, cette attitude d’une vieille dame coule comme de l’eau fraiche dans un temps où deux pitres à la recherche d’une audience salissent un des crimes contre l’humanité les pires qui soit, je veux parler de deux clowns immondes que sont Yan Moix et Bernard henry Levy, de quel droit ce dernier ose-t-il une fois de plus faire commerce pour son ego surdimensionné de tant de souffrance? Prenez des leçons, ordures médiatiques, voilà la vraie grandeur et fermez vos gueules (note de Danielle Bleitrach). 

 Musée d'Orsay (Paris), mardi 27 août 2019. Marie-Jeanne Daurelle a légué trois peintures et deux pastels de Gustave Caillebotte au musée des impressionnistes.
Musée d’Orsay (Paris), mardi 27 août 2019. Marie-Jeanne Daurelle a légué trois peintures et deux pastels de Gustave Caillebotte au musée des impressionnistes. LP/Olivier Arandel

Le 1 septembre 2019 à 07h55

« C’était le retour des vacances de Noël », se souvient Laurence des Cars, patronne du musée d’Orsay. Comme un cadeau tombé du ciel. Dans les premiers jours de janvier, on l’informe qu’un notaire a contacté le musée. Dans son testament, une vieille dame qui vient de disparaître, résidant à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), que personne à Orsay ne connaît, a légué trois peintures et deux pastels de Gustave Caillebotte (1848-1894) au musée des impressionnistes, qui ne possède que sept œuvres de cet artiste.

Une aubaine, le mot est faible. Le chef-d’œuvre du peintre « les Raboteurs de parquet » trône en majesté dans les salles impressionnistes d’Orsay. Découvert plus tardivement que Monet, Pissarro ou Sisley, Caillebotte est devenu la coqueluche des marchands et a battu son record de vente aux enchères de Christie’s à New York, début 2019, avec « Chemin montant », acquis pour 22 millions de dollars (19,9 millions d’euros).

L’émotion est telle que six mois après, les responsables du musée s’emmêlent un peu dans les dates. Le service juridique avait été informé le 18 décembre de la succession de Marie-Jeanne Daurelle.

La donatrice, Marie-Jeanne Daurelle.LP/Olivier Arandel
La donatrice, Marie-Jeanne Daurelle.LP/Olivier Arandel  

Et le 10 janvier à 14h30, Sylvie Patry, bras droit de Laurence des Cars, se rend dans l’appartement de la mystérieuse donatrice pour l’inventaire d’après-décès. « L’un des moments les plus forts de ma carrière », se souvient cette femme brillante, qui a dirigé la Fondation Barnes à Philadelphie (Etats-Unis). Elle ouvre la porte de ce petit appartement au sixième étage d’un immeuble bourgeois, près du marché de Levallois.

Dernière de sa lignée

« Tout était plongé dans le noir. Les volets étaient fermés. On sentait encore la présence de toute la vie de cette dame. Du linge… On ouvre, la lumière entre par les fenêtres, et je découvre trois tableaux dans le salon, deux pastels dans la chambre, avec la télévision à côté, au-dessus du radiateur. Le contraste entre ces œuvres et le quotidien très simple d’une vie, le papier peint, un mobilier ordinaire, c’était très émouvant. »

C’est que Marie-Jeanne Daurelle n’est pas du tout une collectionneuse. Cette ancienne secrétaire de direction ne possède aucune autre œuvre d’art que ces Caillebotte. « Ils étaient accrochés un peu comme des photos de famille », lâche Sylvie Patry.

Et pour cause. Deux des trois peintures sont des portraits de Jean Daurelle, l’arrière-grand-père de la donatrice, qui fut longtemps le majordome du peintre. Et les deux pastels représentent Camille, le fils de Jean, et grand-père de Marie-Jeanne. Les œuvres sont restées dans la famille Daurelle de la fin du XIXe siècle au début 2019. Marie-Jeanne, qui vivait avec son frère Jean-Louis, disparu plusieurs années avant elle, tous deux célibataires et sans enfant, dernière de sa lignée, a donné les tableaux à Orsay.

Cette huile sur toile de Gustave Caillebotte représente l’arrière-grand-père de la donatrice : Jean Daurelle, qui fut le majordome du peintre.RMN-Grand Palais (musée d’Orsay)/Patrice Schmidt
Cette huile sur toile de Gustave Caillebotte représente l’arrière-grand-père de la donatrice : Jean Daurelle, qui fut le majordome du peintre.RMN-Grand Palais (musée d’Orsay)/Patrice Schmidt  

« Dans notre musée consacré au XIXe, il existe encore des liens directs avec les artistes. C’est loin et pas si loin. Il y a encore un fil à tirer. C’est si touchant », dit, rêveuse, Laurence des Cars.

Un univers proche de « Downton Abbey »

Un fil qui raconte une France rurale montant chercher du travail à Paris dans les années 1860-1870. Le père de Jean Daurelle était scieur de long, débitant à la scie les troncs d’arbre dans leur longueur, dans la Loire. Ses fils quittent la province pour la capitale où ils sont placés comme domestiques. Jean devient le maître d’hôtel de la famille Caillebotte. Un univers proche de la série « Downton Abbey » dans de grandes propriétés de la région parisienne, de Yerres, où la maison de l’artiste accueille aujourd’hui le public, au petit Gennevilliers.

Gustave apprécie Jean au point de le faire poser en bourgeois, et de saisir les expressions de son fils Camille qui grandit dans la maisonnée, avec sa mère, également au service de la famille. Camille, par l’intermédiaire des Caillebotte, s’élève socialement, commis puis agent de change et fondé de pouvoir.

Les deux pastels représentent Camille, le fils de Jean, et donc grand-père de Marie-Jeanne, à l’époque où il était encore enfant.RMN-Grand Palais (musée d’Orsay)/Patrice Schmidt
Les deux pastels représentent Camille, le fils de Jean, et donc grand-père de Marie-Jeanne, à l’époque où il était encore enfant.RMN-Grand Palais (musée d’Orsay)/Patrice Schmidt  

L’histoire s’accélère en 1994, année de la grande rétrospective Caillebotte au Grand Palais, un siècle après sa mort. C’est, enfin, son triomphe tardif. Et Marie-Jeanne découvre que le peintre qui a portraituré son aïeul est devenu une icône. Elle s’informe, prend alors contact avec le musée d’Orsay. Ses responsables actuels, s’ils n’avaient jamais entendu parler d’elle, ont appris que de brefs échanges avaient existé.

Paul Perrin, jeune conservateur, nous montre des lettres adressées à l’époque par la future donatrice et son frère. Ils y remercient Anne Distel, conservatrice au moment de la rétrospective, pour son attention et ses conseils face « au côté exceptionnel de l’événement dans la modestie de nos vies ».

Passionnée de voyages

La modestie… Les responsables du musée n’étaient même pas certains que la photo qu’ils nous ont montrée était bien celle de Marie-Jeanne. Visage non identifié dans une enveloppe et des documents épars remis avec les peintures. Ils avaient son adresse. Berta, la concierge de l’immeuble où vivait la vieille dame, nous ouvre sa porte, tout émue : « Oui, c’est bien elle sur la photo. Vous savez, sa voiture est encore là… »

La gardienne est souvent montée au 6e étage avec une casserole de soupe maison et des gâteaux pour Marie-Jeanne et son frère Jean-Louis. À la fin de sa vie, elle l’aidait même à ranger. Devant les Caillebotte. « Elle m’avait dit qu’elle en avait juste vendu un, à regret, pour payer les travaux et le toit de sa maison de famille à la campagne. Moi, je ne savais pas qu’ils avaient de la valeur, ces tableaux. J’ai compris quand j’ai vu le camion blindé devant la porte, début janvier. »

Cet « Arbre en fleurs » datant de 1882 fait partie des tableaux donnés au musée d’Orsay.RMN-Grand Palais (musée d’Orsay)/Patrice Schmidt
Cet « Arbre en fleurs » datant de 1882 fait partie des tableaux donnés au musée d’Orsay.RMN-Grand Palais (musée d’Orsay)/Patrice Schmidt  

« Elle était formidable, simple, très ouverte », ajoute Simone, la voisine du troisième, qui considérait Marie-Jeanne comme sa « grande sœur » et nous montre des photos : « Avec plusieurs personnes de l’immeuble, on fêtait nos anniversaires ensemble, à la Planchette, le restaurant à côté. » Marie-Jeanne, vieille fille sans descendance, n’était-elle pas très seule avec ses Caillebotte ? « Mais non ! Sa passion, c’était les voyages, sourit Simone. Elle avait plein d’amis de tous les côtés. »

Comme Jacqueline, copine d’enfance de Levallois, octogénaire qui éclate de rire à notre question sur le célibat : « On était trois amies inséparables, et aucune ne s’est mariée. Les circonstances de la vie… Marie-Jeanne et son frère, qui avait été sous-directeur du cinéma Magic à Levallois, blaguaient beaucoup. Elle était fière de ses tableaux et parlait souvent de son grand-père, Camille. Elle avait beaucoup de livres sur Caillebotte. »

Approchée par des marchands, elle n’a pas cédé

Singulier destin que celui de Mademoiselle Daurelle, née en 1935, sans famille à la fin de sa vie et infiniment reconnaissante aux Caillebotte qu’elle n’a jamais connue. Dans une lettre adressée à Françoise Cachin, directrice du musée d’Orsay dans les années 1990, avant que l’établissement ne reperde sa trace, elle écrit que ses arrière-grands-parents, domestiques, furent « affectivement adoptés » par les Caillebotte.

Elle-même est restée fidèle à cette adoption, à cette amitié d’il y a un siècle et demi. Ces tableaux que le peintre avait donnés à son majordome, elle-même les transmet au musée. Elle aurait pu les vendre tous et très cher.

Comme en attestent des photos et des lettres, les familles Caillebotte et Daurelle ont entretenu des liens affectueux durables.LP/Olivier Arandel
Comme en attestent des photos et des lettres, les familles Caillebotte et Daurelle ont entretenu des liens affectueux durables.LP/Olivier Arandel  

Les deux pastels avaient été exposés lors d’une exposition impressionniste en 1880. Ils font partie d’une histoire mythique. Marie-Jeanne a prêté certains de ses trésors pour des expositions, comme à la Royal Academy de Londres en 1996, ou à Lausanne en 2005, et a été approchée par des marchands. Elle n’a pas cédé. Et elle a fait don de ses autres biens, son appartement et des liquidités, à la fondation des Apprentis d’Auteuil, qui s’occupe de jeunes en difficulté.

N’oubliant jamais le milieu modeste d’où venaient ses ancêtres, ni la destination finale de ces œuvres, dans un grand musée populaire. Elle aurait pu, au crépuscule de sa vie, se faire connaître, léguer les tableaux, être invitée en grande pompe à les découvrir accrochés à côté de Van Gogh et de Manet. Non, elle n’a prévenu personne. Tout était dans le testament. Et elle est partie, dans la plus grande discrétion. « Dans la modestie de nos vies », comme elle disait.

L’ensemble du legs sera exceptionnellement présenté au musée d’Orsay à partir de ce lundi 2 septembre, dans la galerie impressionniste (salle 31), aux côtés des autres œuvres de Caillebotte que le musée possède.

 
Poster un commentaire

Publié par le septembre 2, 2019 dans expositions, peinture