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Archives de Catégorie: LITTERATURE et SPECTACLES

John Heartfield, « la beauté révolutionnaire » disait Aragon

En 1935, l’artiste allemand John Heartfield (1891-1967), co-fondateur du Club Dada de Berlin et célèbre contributeur de l’hebdomadaire communiste Arbeiter Illustrierte Zeitung (couramment abrégé AIZ), fut invité à Paris par l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, alors dirigée par Louis Aragon, pour y présenter la première exposition française de ses œuvres, à la Maison de la Culture (fig. 1). Cette exposition, annoncée par le sous-titre « 150 photomontages politiques et satiriques d’actualité », se tint dans le contexte du vaste débat qui animait alors la scène artistique et culturelle française autour des enjeux du réalisme. Elle donna lieu à quelques affrontements demeurés célèbres entre les tenants de l’autonomie de l’art et les partisans d’un rapprochement avec le réalisme socialiste.

Fig. 1 : Affiche de l’exposition des œuvres de John Heartfield à la Maison de la Culture, Paris, 1935.

© CC-BY.

  • 1 Louis Aragon, « John Heartfield et la beauté révolutionnaire » (1935), Commune, 21, 15 mai 1935, re (…)

2 Dans ce contexte, l’œuvre de Heartfield, issue des expérimentations du Club Dada, mais désormais conforme aux exigences de la IIIe Internationale, pouvait recueillir une certaine unanimité. Dans un texte intitulé « John Heartfield et la beauté révolutionnaire », Louis Aragon identifie l’œuvre du photomonteur comme la synthèse des nécessités de l’art et des nouveaux enjeux politiques dans une Europe menacée par la montée du nazisme. Pour justifier cette légitimité politique, Aragon convoque une référence significative à la tradition satirique, et notamment française. Il établit en effet une filiation dans laquelle se succèdent naturellement Francisco de Goya, Honoré Daumier et Heartfield : « Depuis Les Châtiments et Napoléon le Petit, aucun poète n’avait atteint les hauteurs où voici Heartfield face à Hitler. Car aussi bien, dans la peinture et le dessin, les précédents manquent-ils malgré Goya, Wirtz et Daumier1. » Ce sont les mêmes noms que sollicite à son tour René Crevel dans son intervention à l’occasion de ces débats :

  • 2 René Crevel, fragments d’une conférence donnée le 9 mai 1935 à la Maison de la Culture, publiés dan (…)

John Heartfield a traité, avec la plus exacte violence et la plus péremptoire imagination, les sujets que l’actualité, l’urgence de la lutte, le besoin de savoir, l’indignation qui n’a pas à se contenir, les nécessités révolutionnaires peuvent imposer à l’artiste, pour le plus grand profit de l’art. D’autre part, l’histoire nous montre que des tableaux, des dessins à signification politique précise, des œuvres révolutionnaires, aussi bien par le sujet que par la technique, comme furent celles de Goya, de Daumier, non seulement ont décrit, pour la condamner dans ce qu’elle avait de plus atrocement particulier, leur époque, mais encore ont permis aux artistes à venir de trouver des chemins nouveaux2.

3La réception française de l’œuvre de John Heartfield témoigne de la vitalité des réseaux de l’avant-garde européenne. Elle exprime également la pérennité de certains modèles graphiques véhiculés par la tradition satirique dont il a assuré le renouvellement. Nous proposons d’étudier, à travers son exemple, les mécanismes par lesquels le corpus du dessin de presse français a pu se communiquer à l’avant-garde allemande de l’entre-deux-guerres. Nous identifierons dans un premier temps les principaux acteurs de ce transfert (critiques, historiens d’art, éditeurs et collectionneurs) ainsi que la pérennisation de certains motifs par la tradition du dessin de presse. Nous aborderons alors les spécificités du photomontage envisagé dans son champ d’action politique et sa caractérisation comme « arme ». Enfin, nous proposerons de rapprocher les œuvres de leurs sources afin d’isoler des procédés récurrents et de faire émerger une typologie de motifs.

Transfert et intercesseurs

  • 3 Fedor von Zobeltitz, Chronik der Gesellschaft unter dem letzten Kaiserreich, Hambourg, 1922, cité p (…)
  • 4 George Grosz, Un petit oui et un grand nonSa vie racontée par lui-même (1955), trad. Christian Bo (…)
  • 5 Voir notamment Eduard Fuchs, Honoré Daumier. LithographienMunich, Albert Langen Verlag, 1921.
  • 6 Eduard Fuchs, Der Maler Daumier, Munich, Albert Langen Verlag, 1927, p. 11.

4Les rencontres organisées à Paris en 1935 donnèrent l’occasion de voir s’exprimer des personnalités au rôle déterminant dans le rapprochement entre la tradition satirique française et le combat antifasciste en Allemagne. La Maison de la Culture accueillit en effet deux autres exilés allemands : Eduard Fuchs et Walter Benjamin. Le premier était un francophile convaincu, collectionneur et historien de la caricature, qui avait fréquenté Heartfield et George Grosz dans le milieu des années 1920. Connu depuis de nombreuses années des marchands d’estampes parisiens, il était souvent décrit comme un bibliophile compulsif et génial3. Grosz le qualifia notamment de « scarabée du genre à ramasser tout ce qui se trouvait sur son passage4 ». Il passe également pour avoir fait connaître l’œuvre de Daumier en Allemagne, en lui consacrant de nombreux articles et plusieurs volumes aux éditions Albert Langen5. La double entreprise de Fuchs visait d’une part à abolir la perception de l’œuvre de Daumier en deux ensembles séparés, la grande peinture et l’illustration, et, consécutivement, à encourager une lecture politique de celle-ci. Il fait ainsi valoir que « [le] secret de la puissance de Daumier se trouve justement dans sa conviction politique. […] Et par conséquent, on ne peut, lorsque l’on fait une analyse de son œuvre peint, rejeter le problème politique, comme cela a été fait jusqu’ici par tous ceux qui ont commenté la peinture de Daumier6. »

  • 7 Walter Benjamin, « L’auteur comme producteur » (1934), dans id.Essais sur Brecht, trad. Philippe  (…)
  • 8 L’article avait été commandé par l’Institut für Sozialforschung de Francfort.
  • 9 Walter Benjamin, « Eduard Fuchs, collectionneur et historien » (1937), dans id.Œuvres, t. II, tra (…)
  • 10 Voir l’article d’Ulrich Weitz, « Der Sammler Eduard Fuchs. „Das Wesen der Revolution ist das Wesen (…)
  • 11 Erich Knauf, « Der aktuelle Daumier », Die Front, 8-9, 1930, reproduit dans Christine Hoffmeister e (…)

5Fuchs avait trouvé un ami et exégète en Walter Benjamin, qui était également à Paris au milieu des années 1930. Après son célèbre discours à l’Institut pour l’étude du fascisme, dans lequel il avait identifié en Heartfield le modèle de l’auteur « producteur », à même de donner à sa technique une « valeur d’usage révolutionnaire7 », il était en effet occupé à la rédaction de deux nouveaux articles, dont le fameux « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique ». L’autre texte était précisément consacré à Eduard Fuchs, « collectionneur et historien8 ». Il reconnaissait l’apport significatif de ce dernier à la formation d’une méthodologie marxiste de l’histoire de l’art liée à la singularité de sa position d’historien collectionneur d’estampes, qui l’avait mis en contact avec une production sérielle remettant en cause les principes d’unicité de l’œuvre et de génie. L’autre apport de la méthode de Fuchs consistait en sa capacité à éclairer les œuvres du passé de sa connaissance de la production contemporaine. Benjamin l’avait relevé : « La référence permanente à l’art contemporain fait partie des impulsions les plus importantes du collectionneur que fut Fuchs. […] Sa connaissance incomparable de la caricature ancienne permet à Fuchs d’accéder très tôt aux travaux d’un Toulouse-Lautrec, d’un Heartfield et d’un George Grosz9. » Après avoir été proche de Max Liebermann et de Max Slevogt, il s’était intéressé aux productions les plus radicales de son temps, pour peu que ces dernières affichassent des intentions révolutionnaires10. La lecture marxiste de l’histoire à laquelle s’était prêtée l’œuvre de Daumier donna encore lieu à une autre explication, dans les termes d’une actualisation. C’est celle que proposait le journaliste et critique d’art Erich Knauf, qui pouvait présenter les « dessins politiques » de Daumier comme « toujours actuels », en précisant : « Ses dessins, et les légendes qui les accompagnent, sont d’une telle clarté politique qu’ils s’accordent avec l’analyse la plus claire des phénomènes de l’époque, c’est-à-dire avec les analyses de Marx et Engels11. »

6Si le rapport de Heartfield au dessin de presse français a pu être décrit dans les termes d’une filiation, il apparaît que ce mécanisme linéaire de transmission est assez peu opérant pour comprendre la circulation des modèles graphiques. Heartfield est né en 1891, soit douze ans après la mort de Daumier, et fut actif en Allemagne durant la période comprise entre la guerre de 1914-1918 et l’accession au pouvoir des nazis, c’est-à-dire dans des circonstances politiques extrêmement défavorables aux échanges culturels entre les deux pays. Le lien qui les unit se serait davantage construit a posteriori et selon un principe de recherche de sources et de citations.

  • 12 Cité dans Werner Hofmann, Daumier et l’Allemagne, trad. Thomas de Kayser, Paris, Éditions de la Mai (…)
  • 13 Julius Meier-Graefe, Entwicklungsgeschichte der modernen Kunst. Vergleichende Betrachtungen der bil (…)
  • 14 Erich Klossowski, Honoré Daumier (1908), Munich, R. Piper & Co., 1914.
  • 15 Ibid., p. 119.

7La connaissance de Daumier en Allemagne a bénéficié de plusieurs intermédiaires qui, dès le tournant du siècle, avaient rendu son œuvre accessible à tel point qu’en 1956, Jean Adhémar pouvait dire que l’œuvre de Daumier avait bénéficié d’une meilleure reconnaissance en Allemagne qu’en France12. Dès 1904, le célèbre critique d’art Julius Meier-Graefe avait en effet réservé au peintre français une place de choix dans son Histoire des développements de l’art moderne, un ouvrage plusieurs fois réédité13. Mais c’est en premier lieu à l’historien de l’art Erich Klossowski que l’on doit d’avoir étudié la peinture de Daumier et d’avoir entrepris le premier travail de catalogage en 190814. On peut identifier une première tendance de la réception de Daumier en Allemagne, qui, comme en France, a d’abord accompagné une intention de reconnaissance du peintre et s’est inscrite dans une lecture sensualiste et nietzschéenne qui trouvait un certain écho chez les artistes expressionnistes. Klossowski décrit ainsi Daumier comme « le peintre de l’énergie vitale, le visionnaire d’un chaos dans lequel les forces naissantes gonflent et frémissent avec une puissance terrible et surnaturelle15 ».

  • 16 Hofmann 2005, cité n. 12, p. 43.
  • 17 Walter Serner, « Honoré Daumier »Die Aktion, 46-47, 21 novembre 1914, p. 875-878.

8La réception de l’artiste par les cercles expressionnistes, et en particulier par Ernst Ludwig Kirchner, a été soulignée par Werner Hofmann16. Mais on pourra également relever qu’elle fut plus particulièrement le fait des tendances urbaines et révolutionnaires de ce mouvement qui avaient pu se former à la veille de la Première Guerre mondiale. L’une de ces tendances était représentée par l’hebdomadaire Die Aktion, dirigé par Franz Pfemfert, qui avait reproduit des œuvres de Daumier, en couverture comme au sein du journal, après le déclenchement des hostilités (fig. 2). Au moyen d’un procédé comparable à ceux qu’employait Daumier pour contourner la censure, la revue convoquait une œuvre du dessinateur français éloignée d’un demi-siècle pour dénoncer le nouvel embrasement nationaliste au cœur de l’Europe. La couverture du numéro du 12 septembre 1914 fait en effet référence à un autre conflit en présentant des soldats français au moment de la campagne d’Italie, en 1859. Deux mois plus tard, c’est au tour de l’écrivain Walter Serner, futur contributeur de Dada à Zurich, d’évoquer l’œuvre de Daumier en se référant à la toile Ecce homo17.

Fig. 2 : Die Aktion. Wochenschrift für Politik, Literatur, Kunst, 36-37, 12 septembre 1914.

© CC-BY.

  • 18 Voir Ursula E. Koch, Der Teufel in Berlin. Von der Märzrevolution bis zu Bismarcks Entlassung. Illu (…)
  • 19 Voir par exemple la reproduction du dessin L’émeute dans Jugend, 32, 1913.
  • 20 Dessin paru dans Le Charivari du 3 juin 1850.

9Les revues allemandes telles que Die Aktion ont grandement contribué à la diffusion de ce corpus et à façonner ce qui apparaît comme un modèle satirique français. Fondées pour la plupart dans la période dite du Vormärz, autour de 1848, comme c’était le cas de Fliegende Blätter et de Kladderadatsch, elles revendiquaient une filiation avec les revues satiriques françaises La Caricature et Le Charivari18. Les revues apparues à la fin du xixe siècle, qui constituaient le patrimoine visuel des artistes de la génération de Heartfield, avaient prolongé cette tradition. Jugend avait par exemple publié à plusieurs reprises des planches de Daumier à côté de celles d’illustrateurs contemporains19. On signalera encore le rôle particulier joué par un autre titre, le Süddeutscher Postillon. Cet organe socialiste, dont Eduard Fuchs fut le rédacteur en chef, faisait également référence à la satire française. Comparé aux célèbres « moucherons politiques » de Daumier20, le dessin de couverture du numéro 10, de mai 1898, réalisé par Max Engert, confine au plagiat.

  • 21 « Epouvantés de voir l’Allemagne puis l’Amérique s’emparer de tous les Daumier importants, voici lo (…)
  • 22 Claude Keisch « „Ungeheuer ! “ – Daumier ungeteilt », dans Hofmann 2013, cité n. 10, p. 21.
  • 23 Hofmann 2005, cité n. 12, p. 43.

10Le rôle des collectionneurs privés et publics fut également décisif. Certains d’entre eux permirent de constituer des corpus importants, voire exhaustifs, dans le domaine de l’estampe satirique, à tel point que certains commentateurs, comme par exemple Claude Roger-Marx, s’inquiétèrent de voir l’Allemagne « s’emparer » de l’essentiel des œuvres de Daumier21. Parmi eux, l’entrepreneur et assureur berlinois Otto Gerstenberg, très grand collectionneur de l’art français du xixe siècle et en particulier de l’impressionnisme, qui, avant 1914, avait acheté plus de trois cents œuvres du dessinateur. Max Liebermann, qui avait également joué un rôle important dans la connaissance de l’œuvre de Daumier, possédait 3 000 de ses lithographies22. Du côté des institutions publiques, on retrouve la figure du grand défenseur de la modernité et de l’art français Hugo von Tschudi. Ce dernier fut à l’origine de l’entrée de nombreuses œuvres de Daumier dans les collections publiques allemandes à Berlin, Munich et Mannheim. Comme l’a souligné Werner Hofmann, l’acquisition par Karl Ernst Osthaus, en 1909, de la toile de Daumier Ecce homo pour le musée Folkwang de Hagen (aujourd’hui à Essen) put aussi être considérée comme un événement23.

Le photomontage comme arme

  • 24 Günther Anders, « Die Kunst John Heartfields » (1938), reproduit dans Wieland Herzfelde, John Heart (…)

11La question de la transmission à l’avant-garde artistique de l’entre-deux-guerres de ces modèles, issus de la stratification des exemples donnés par la presse allemande et du corpus sélectif des collectionneurs, soulève cependant d’autres questions. L’une des plus déterminantes est celle de l’adaptabilité des procédés de la caricature, reposant sur la déformation des motifs traditionnels empruntés à l’enseignement académique, aux recherches d’une avant-garde qui s’est débarrassée de toute tradition naturaliste. Au moment de la fondation du Club Dada, aux lendemains de la Première Guerre mondiale, le langage graphique de Daumier, dont la forme avait pu se transmettre à certains artistes de la Sécession berlinoise, comme Max Slevogt ou Max Liebermann, pouvait sembler parfaitement étranger aux expérimentations de Dada. Daumier était de surcroît associé au goût de la bourgeoisie libérale pour l’art français, qui cristallisait toute l’exécration des jeunes artistes. Dada n’était cependant pas exempt d’une forme de réalisme : sa production, en particulier le collage, passait pour l’expression d’une réalité déconstruite et parcellaire, par analogie avec la société de Weimar et la crise de l’après-guerre. Le philosophe Günther Anders affirme par exemple que Dada n’était « rien d’autre qu’un moyen pour représenter, par le trouble de l’image, le désordre du monde24 ».

  • 25 Sonia de Puineuf, « Manipulation dadaïste de la photographie : caricature de l’art », Ridiculosa, 1 (…)
  • 26 Raoul Hausmann, « Mon Allemagne » (1921), dans id.Houra ! Houra ! Houra ! 12 satires politiques(…)
  • 27 Raoul Hausmann, Le Critique d’art, 1919-1920, collage et lithographie, 31,8 × 25,4 cm, Londres, Tat (…)
  • 28 Hannah Höch, Coupe au couteau de cuisine dans la dernière époque culturelle bedonnante de l’Allemag (…)

12Peu d’observateurs ont cependant relevé la corrélation entre la simplification du photomontage dada et l’adoption plus systématique et plus lisible des procédés satiriques. Sonia de Puineuf a souligné l’importance de la composante caricaturale du photomontage dada, qui combine des éléments de la réalité pour les rassembler dans un dispositif grotesque25. Raoul Hausmann peut par exemple avoir recours à des procédés de déformation ou d’animalisation pour représenter un Ludendorff ou un Hindenburg, dans un ouvrage dont le sous-titre revendiquait une portée satirique26. On peut également observer leur emploi dans son célèbre collage de 1920 intitulé Le Critique d’art : le personnage y est représenté doté d’une tête démesurée, d’une bouche déformée et d’un stylo, attribut lié à sa fonction qui joue également ici un rôle de substitut phallique27. Dans la même veine, Hannah Höch dresse le portrait collectif de la République de Weimar en une série de grands collages envisagés comme des coupes transversales de la société28.

  • 29 Andrés Mario Zervigón, John Heartfield and the Agitated Image, Chicago, University of Chicago Press (…)

13Cette composante satirique apparaît très tôt également dans les montages de Heartfield. La première publication où apparaît son nom, le numéro unique de Jedermann sein eigner Fussball [À chacun son propre football], paru en 1919, en exploite les ressorts. Dans un collage apparemment inoffensif, il se prête au jeu de l’association visuelle. Le portrait collectif des principaux dirigeants de la République de Weimar, présentés en éventail, rapproche en effet des personnalités d’obédiences politiques différentes pour suggérer une certaine collusion : le président social-démocrate Friedrich Ebert se trouve ainsi associé à son ministre répressif, Gustav Noske, ou encore au héros de guerre Ludendorff. L’historien de l’art Andrés Mario Zervigón nota que l’écart entre l’image et le texte, « Lequel d’entre eux est le plus beau ? », ouvre également une brèche satirique qui interroge la validité de la photographie elle-même29.

  • 30 Wieland Herzfelde, « Zur Erführung », dans Erste Internationale Dada-Messe, Berlin, Der Malik-Verla (…)
  • 31 Benjamin (1934) 2003, cité n. 7, p. 133.

14Dans les perfectionnements qu’allait lui apporter Heartfield, le photomontage pouvait encore se rapprocher d’une certaine forme de réalisme social. Parce qu’il intégrait un matériau photographique, dont la qualité supposée objective avait été largement promue par la guerre, il semblait également en mesure de satisfaire aux exigences du combat politique révolutionnaire. En 1920, le promoteur des éditions Malik, Wieland Herzfelde, fait encore valoir cette composante réaliste dans l’activité de Dada : « Les dadaïstes se reconnaissent pour unique programme le devoir de donner pour contenu à leurs images l’événement présent tant sur le plan du temps que du lieu, raison pour laquelle ils prennent comme source de leur production non pas les Mille et une nuits ou les Tableaux indochinois mais les magazines illustrés et éditoriaux de presse30. » Le photomontage présentait l’avantage de pouvoir conserver la puissance réaliste de l’image photographique en lui adjoignant, par la découpe et l’assemblage, les moyens de déformation du dessin satirique. Walter Benjamin relève également qu’une photographie modifiée et augmentée d’une légende peut s’apparenter à « un instrument politique31 ». Il rejoint en cela Sergueï Tretiakov, qui voit dans l’évolution du photomontage développé par Heartfield un potentiel révolutionnaire. Auteur de la première monographie consacrée à l’artiste allemand, il décrit ainsi cette évolution :

  • 32 Sergueï Tretiakov, John Heartfield. Eine Monographie, Moscou, Ogis, 1936, cité d’après Herzfelde 19 (…)

L’épanchement dadaïste dans les travaux de Heartfield n’a pas tenu très longtemps. Il a rapidement renoncé à employer sa force créatrice à ce feu d’artifice inutile. Ses œuvres sont devenues des armes acérées. Bientôt ses montages sont devenus indissociables de son activité pour le parti. Ils sont une histoire du Parti communiste d’Allemagne. Les photomontages de la période dadaïste de Heartfield, consistaient en l’assemblage d’une multitude de détails, mais plus le temps passait, plus son langage devenait laconique, et plus ses montages se construisaient avec une économie de moyens32.

15Le réalisme socialiste auquel avait adhéré Tretiakov requiert en effet un langage unifié et simplifié empruntant aux codes d’une photographie à laquelle il attribue des qualités de véracité et de sincérité. Heartfield s’en était rapproché en augmentant la part photographique de ses collages et en retrouvant une certaine cohérence visuelle par ses assemblages. Sa contribution à l’hebdomadaire Arbeiter Illustrierte Zeitung à partir de 1930 l’amena tout particulièrement à systématiser ces procédés. On observe également que les grands satiristes français, au premier plan desquels Daumier, y sont plus directement cités.

Une iconographie actualisée

  • 33 John Heartfield, Selbstporträt mit Polizeipräsident Zörgiebel [Autoportrait avec le chef de la poli (…)

16La référence à la tradition satirique commence avec l’association de son auteur à l’iconographie de la liberté de la presse. Celle-ci est dominée par le motif de la paire de ciseaux qui, de La Résurrection de la Censure de Grandville à l’Anastasie de Gill, ponctue l’imagerie satirique du xixe siècle français. Si l’on rapproche ici le portrait du chef de la police Zörgiebel33, responsable des répressions contre les spartakistes, du portrait du ministre Antoine d’Argout par Daumier, on trouve dans les deux cas un usage détourné du motif : associée à la censure, la paire de ciseaux se voit ici retournée contre ses instigateurs (fig. 3).

Fig. 3 : Honoré Daumier, « D’ARG… », La Caricature, 9 août 1832.

© CC-BY.

  • 34 Honoré Daumier, Gros, gras et… Constitutionnel, lithographie publiée dans Le Charivari, 19 novembre (…)
  • 35 George Grosz, dessin de jaquette pour le livre d’Upton Sinclair, Sündenlohn, Berlin, Malik Verlag, (…)
  • 36 John Heartfield, Wer Bürgerblätter liest wird blind und taub [Qui lit la presse bourgeoise devient (…)

17La dénonciation de la presse bourgeoise, qui, chez Daumier, était incarnée par le journal Le Constitutionnel, devenu l’organe officiel de la monarchie de Juillet, fournissait un autre sujet de moquerie. Dans une planche de Daumier, Chevassut est représenté aveuglé par son bonnet de nuit34. Plus tard, George Grosz adapte ce principe à l’ensemble de la presse bourgeoise en employant à son tour la métaphore des yeux bandés pour mieux montrer l’aveuglement dont ses lecteurs seraient victimes35. Un procédé repris également par John Heartfield deux ans plus tard, qui emmaillote cette fois complètement le lecteur dans les feuilles de la presse sociale-démocrate, Vorwärts et Tempo36.

  • 37 Nous reprenons ici une comparaison proposée par Roland März dans id. (dir.), Daumier und Heartfield (…)
  • 38 Anders (1938) 1962, cité n. 24, p. 337.

18Un autre motif fut également rendu célèbre au cours d’un xixe siècle qui vit se répéter les scènes de répression politique et les opérations militaires : celui des terres dévastées et des champs de cadavres. En associant à ce paysage une figure identifiée, les satiristes trouvèrent un moyen de pointer du doigt quelque chef de guerre rendu responsable des atrocités. Heartfield puisa également dans ce registre. On pourra s’en convaincre si l’on rapproche le photomontage Der Krieg, paru dans le numéro 29 de l’AIZ en 1933, de la planche de Daumier Voyage à travers les populations empressées, tirée de La Caricature du 14 août 1834. L’analogie entre Louis-Philippe arpentant un champ de morts sur une monture grotesque et Hitler assimilé à l’allégorie de la Guerre du célèbre tableau de Franz von Stuck a été plusieurs fois soulignée37. Les commentateurs de l’époque virent à juste titre dans ce nouveau montage l’exploitation de deux niveaux de lecture : celui, évident, de la dénonciation de la marche à la guerre, et celui, plus subtil, du détournement d’une œuvre qui a pu être associée à une certaine tradition picturale38.

19L’un des procédés les plus populaires du dessin satirique consiste en l’application de traits zoomorphes aux physionomies humaines. C’est ainsi que les « représentants » politiques de Daumier peuvent voir leurs intentions exprimées à travers les caractères de l’animal auxquels ils sont apparentés. Le fouriériste Victor Considérant, dont la généreuse chevelure se prêtait facilement à cette assimilation, est par exemple représenté en fauve dans une lithographie de 1849 (fig. 4).

Fig. 4 : Honoré Daumier, « Victor Considérant », Le Charivari, 24, 22 février 1849.

© CC-BY.

  • 39 John Heartfield, « Zum Krisen-Parteitag der SPD » [Au congrès de crise du SPD], Arbeiter Illustrier (…)
  • 40 On pourra par exemple comparer le photomontage de Heartfield, Gespräch im Berliner Zoo [Conversatio (…)

20Dans une planche décrivant les conclusions d’un congrès du SPD qui s’était tenu non loin du zoo de Berlin en 1931, John Heartfield affuble à son tour un représentant social-démocrate, tenu pour avoir trahi les intérêts du peuple ouvrier, d’un faciès félin39. On relèvera l’intérêt pour le motif du zoo de Berlin, qui put jouer un rôle comparable à celui du Jardin des Plantes parisien au xixe siècle. Les animaux, identifiés à des corps sociaux ou à des types, permettent aux artistes d’exprimer leurs considérations sur la société et la politique40.

21De manière générale, l’imaginaire attaché aux sciences naturelles est régulièrement sollicité dans l’imagerie satirique. Les Métamorphoses du jour de Grandville ou La Ménagerie impériale de Paul Hadol attestent de son empreinte. Parmi ces motifs, les descriptions des mutations biologiques furent entre autres employées pour désigner, par analogie, les transformations de la société (fig. 5).

Fig. 5 : J.-J. Grandville, « La Métaphore de la chrysalide », Le Magasin pittoresque, 8, 1841.

Source : gallica.bnf.fr / BnF.

  • 41 John Heartfield, Deutsche Naturgeschichte [Histoire naturelle allemande], Arbeiter Illustrierte Zei (…)
  • 42 Honoré Daumier, Gargantua, lithographie publiée dans La Caricature le 16 décembre 1831, et John Hea (…)

22C’est bien à cette tradition graphique que Heartfield semble faire référence lorsque, dans le montage Deutsche Naturgeschichte [Histoire naturelle allemande], il décrit la gestation du nazisme41. La chrysalide du social-démocrate Ebert y engendre la chenille Hindenburg, qui elle-même donne naissance au papillon-sphinx Hitler. Une nouvelle fois, les procédés satiriques imaginés par le dessin de presse se prêtent efficacement à la description d’une société en proie aux mutations les plus radicales. Le registre scatologique, largement associé à la tradition satirique, est également réactualisé dans le cadre du combat antifasciste de Heartfield. Là où, dans son célèbre Gargantua, Daumier installe la chaise percée de Louis-Philippe place de la Concorde et décrit le cheminement digestif de l’impôt du roi, Heartfield montre la radiographie de Hitler avalant l’argent du peuple pour le transformer en fer-blanc42.

  • 43 John Heartfield, « Daumier, lebendig wie nie! », Volks-Illustrierte, 33, 1937, d’après trad. Claude (…)

23Après l’accession d’Hitler au pouvoir, l’existence de nombreux artistes allemands jugés subversifs fut menacée et beaucoup d’entre eux durent s’exiler. Heartfield se réfugia d’abord à Prague, où il rejoignit l’équipe éditoriale de l’AIZ, qui put, en empruntant des voies clandestines, continuer de diffuser le journal à travers l’Europe et en Allemagne. Cette situation put conforter encore le sentiment d’identification aux grands satiristes français, menacés et parfois condamnés pour avoir défendu la liberté de la presse. Il semble en effet que Heartfield cultivait largement l’analogie entre les moments héroïques de la biographie de Daumier et sa propre situation. Dans un article paru en 1937, il fait valoir la réactualisation, nécessaire à ses yeux, du message de l’artiste républicain : « Le chef-d’œuvre de Daumier, son crayon sagace, d’une intelligence politique incomparable, a survécu à maintes “œuvres d’art éternelles”, et le combat qu’il menait est encore aujourd’hui notre combat43. »

  • 44 John Heartfield, « Daumier im „Reich“ », Freie Deutsche Kultur, février 1942, dans ibid.p. 137-14 (…)

24En 1942, il reprit cette comparaison pour réagir à l’exploitation, par les autorités nazies, d’un dessin de Daumier paru dans la revue SS Das Reich. Ce nouvel article au ton indigné fournit à son auteur l’occasion d’un inventaire de quelques planches de l’artiste français contre la Prusse de Bismarck, mais aussi d’un hommage à Eduard Fuchs, mort peu de temps plus tôt, et qui se trouvait désormais inscrit dans la même généalogie héroïque des grands opposants à l’obscurantisme44. Davantage que la filiation soulignée par la proposition de Heartfield, nous reconnaîtrons ici une communauté d’intentions dans les stratégies éditoriales d’une presse contournant la censure, dans la reconnaissance du rôle qu’avaient à jouer les artistes dans le combat politique et, enfin, dans la foi, partagée aussi bien par Daumier que par Heartfield, en la capacité de l’œuvre imprimée à se propager et à transformer les consciences. Les mécanismes par lesquels des motifs apparus dans les conditions particulières de la monarchie de Juillet ont pu être transposés dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres ne peuvent être appréhendés qu’au regard de certains éléments de continuité culturelle. Les préceptes républicains qui ont pu servir de référence au socialisme allemand en sont une composante essentielle. Mais ces derniers sont également intimement liés au développement du dessin de presse, qui en est à la fois le produit et le mode d’expression privilégié. Dans ses spécificités techniques, le photomontage apparaît comme la combinaison la plus aboutie des qualités supposées réalistes de la photographie et de la capacité de déformation du dessin. À ce titre, il a pu assurer la continuité de certains procédés satiriques et satisfaire aux exigences d’un réalisme que le premier conflit mondial avait imposé aux arts visuels.

NOTES

1 Louis Aragon, « John Heartfield et la beauté révolutionnaire » (1935), Commune, 21, 15 mai 1935, reproduit dans id.Les Collages (1965), Paris, Hermann, 1980, p. 79-89.

2 René Crevel, fragments d’une conférence donnée le 9 mai 1935 à la Maison de la Culture, publiés dans Serge Fauchereau (dir.), La Querelle du réalisme, Paris, éditions Cercle d’Art, 1987, p. 211.

3 Fedor von Zobeltitz, Chronik der Gesellschaft unter dem letzten Kaiserreich, Hambourg, 1922, cité par Thomas Huonker, Revolution, Moral & Kunst. Eduard Fuchs. Leben und Werk, Zurich, Limmat Verlag, 1985, p. 101.

4 George Grosz, Un petit oui et un grand nonSa vie racontée par lui-même (1955), trad. Christian Boulay, Nîmes, éditions Jacqueline Chambon, 1990, p. 260.

5 Voir notamment Eduard Fuchs, Honoré Daumier. LithographienMunich, Albert Langen Verlag, 1921.

6 Eduard Fuchs, Der Maler Daumier, Munich, Albert Langen Verlag, 1927, p. 11.

7 Walter Benjamin, « L’auteur comme producteur » (1934), dans id.Essais sur Brecht, trad. Philippe Ivernel, Paris, La Fabrique Éditions, 2003, p. 134.

8 L’article avait été commandé par l’Institut für Sozialforschung de Francfort.

9 Walter Benjamin, « Eduard Fuchs, collectionneur et historien » (1937), dans id.Œuvres, t. II, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Gallimard, 2000, p. 189-190.

10 Voir l’article d’Ulrich Weitz, « Der Sammler Eduard Fuchs. „Das Wesen der Revolution ist das Wesen der Daumierschen Kunst“ », dans Werner Hofmann (dir.), „Daumier ist Ungeheuer!“ Max Liebermann. Gemälde, Zeichnungen, Graphik, Bronzen von Honoré Daumier, cat. exp. (Berlin, Stiftung Brandenburger Tor – Max Liebermann Haus, 2 mars – 2 juin 2013), Berlin, Nicolaische Verlagsbuchhandlung, 2013, p. 69-73.

11 Erich Knauf, « Der aktuelle Daumier », Die Front, 8-9, 1930, reproduit dans Christine Hoffmeister et Christian Suckow (dir.), Revolution und Realismus. Revolutionäre Kunst in Deutschland 1917 bis 1933, cat. exp. (Berlin, Altes Museum, 8 novembre 1978 – 25 février 1979), Berlin, Staatliche Museen, 1979, p. 92.

12 Cité dans Werner Hofmann, Daumier et l’Allemagne, trad. Thomas de Kayser, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2005, p. 45.

13 Julius Meier-Graefe, Entwicklungsgeschichte der modernen Kunst. Vergleichende Betrachtungen der bildenden Künste, als Beitrag zu einer neuen AesthetikStuttgart, Hoffmann, 1904.

14 Erich Klossowski, Honoré Daumier (1908), Munich, R. Piper & Co., 1914.

15 Ibid., p. 119.

16 Hofmann 2005, cité n. 12, p. 43.

17 Walter Serner, « Honoré Daumier »Die Aktion, 46-47, 21 novembre 1914, p. 875-878.

18 Voir Ursula E. Koch, Der Teufel in Berlin. Von der Märzrevolution bis zu Bismarcks Entlassung. Illustrierte politische Witzblätter einer Metropole 1848-1890, Cologne, C. W. Leske Verlag, 1991, p. 137.

19 Voir par exemple la reproduction du dessin L’émeute dans Jugend, 32, 1913.

20 Dessin paru dans Le Charivari du 3 juin 1850.

21 « Epouvantés de voir l’Allemagne puis l’Amérique s’emparer de tous les Daumier importants, voici longtemps que nous réclamions une exposition… ». Claude Roger-Marx, Daumier. Peintures, aquarelles, dessins, cat. exp. (Paris, musée de l’Orangerie, 14 mars – 3 juillet 1934), Paris, Musées nationaux, 1934, p. 16.

22 Claude Keisch « „Ungeheuer ! “ – Daumier ungeteilt », dans Hofmann 2013, cité n. 10, p. 21.

23 Hofmann 2005, cité n. 12, p. 43.

24 Günther Anders, « Die Kunst John Heartfields » (1938), reproduit dans Wieland Herzfelde, John Heartfield. Leben und Werk. Dargestellt von seinem Bruder, Dresde, VEB Verlag der Kunst, 1962, p. 317.

25 Sonia de Puineuf, « Manipulation dadaïste de la photographie : caricature de l’art », Ridiculosa, 17, 2011, p. 167-180.

26 Raoul Hausmann, « Mon Allemagne » (1921), dans id.Houra ! Houra ! Houra ! 12 satires politiques, trad. Catherine Wermester, Paris, Allia, 2004, p. 8.

27 Raoul Hausmann, Le Critique d’art, 1919-1920, collage et lithographie, 31,8 × 25,4 cm, Londres, Tate Modern, [en ligne] URL : www.tate.org.uk/art/artworks/hausmann-the-art-critic-t01918.

28 Hannah Höch, Coupe au couteau de cuisine dans la dernière époque culturelle bedonnante de l’Allemagne, 1919-1920, 114 × 90 cm, Berlin, Nationalgalerie.

29 Andrés Mario Zervigón, John Heartfield and the Agitated Image, Chicago, University of Chicago Press, 2012, p. 158.

30 Wieland Herzfelde, « Zur Erführung », dans Erste Internationale Dada-Messe, Berlin, Der Malik-Verlag, juin 1920, n. p., d’après trad. François Mathieu, dans Olivier Lugon (dir.), La Photographie en Allemagne. Anthologie de textes (1919-1939), Nîmes, Jacqueline Chambon, 1997, p. 214.

31 Benjamin (1934) 2003, cité n. 7, p. 133.

32 Sergueï Tretiakov, John Heartfield. Eine Monographie, Moscou, Ogis, 1936, cité d’après Herzfelde 1962, cité n. 24, p. 309.

33 John Heartfield, Selbstporträt mit Polizeipräsident Zörgiebel [Autoportrait avec le chef de la police Zörgiebel], 1929, Houston, The Museum of Fine Arts, [en ligne] URL : www.mfah.org/art/detail/15579.

34 Honoré Daumier, Gros, gras et… Constitutionnel, lithographie publiée dans Le Charivari, 19 novembre 1833.

35 George Grosz, dessin de jaquette pour le livre d’Upton Sinclair, Sündenlohn, Berlin, Malik Verlag, 1928.

36 John Heartfield, Wer Bürgerblätter liest wird blind und taub [Qui lit la presse bourgeoise devient sourd et aveugle], photomontage pour AIZ, 6, 1930.

37 Nous reprenons ici une comparaison proposée par Roland März dans id. (dir.), Daumier und Heartfield. Politische Satire im Dialog, cat. exp. (Berlin, Altes Museum, 18 juin – 30 août 1981), Berlin, Staatliche Museen, 1981, p. 28-29.

38 Anders (1938) 1962, cité n. 24, p. 337.

39 John Heartfield, « Zum Krisen-Parteitag der SPD » [Au congrès de crise du SPD], Arbeiter Illustrierte Zeitung, 24, 1931, [en ligne] URL : www.mfah.org/art/detail/15731.

40 On pourra par exemple comparer le photomontage de Heartfield, Gespräch im Berliner Zoo [Conversation dans le zoo de Berlin], AIZ, 24, 1934, avec certaines planches de Grandville tirées de P.-J. Stahl (dir.), Scènes de la vie privée et publique des animaux, 2 vol., Paris, Hetzel, 1841-1842.

41 John Heartfield, Deutsche Naturgeschichte [Histoire naturelle allemande], Arbeiter Illustrierte Zeitung, 33, 1934, [en ligne] URL : photobibliothek.ch/Photo005/AIZ01.jpg.

42 Honoré Daumier, Gargantua, lithographie publiée dans La Caricature le 16 décembre 1831, et John Heartfield, Adolf der Übermensch, photomontage paru dans AIZ, 29, 1932.

43 John Heartfield, « Daumier, lebendig wie nie! », Volks-Illustrierte, 33, 1937, d’après trad. Claude Riehl, dans Emmanuel Guigon et Franck Knoery (dir.), John Heartfield. Photomontages politiques. 1930-1938, cat. exp. (Strasbourg, musée d’Art moderne et contemporain, 7 avril – 23 juillet 2006), Strasbourg, Éditions des musées de Strasbourg, 2006, p. 136-137.

44 John Heartfield, « Daumier im „Reich“ », Freie Deutsche Kultur, février 1942, dans ibid.p. 137-141.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Légende Fig. 1 : Affiche de l’exposition des œuvres de John Heartfield à la Maison de la Culture, Paris, 1935.
Crédits © CC-BY.
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Légende Fig. 2 : Die Aktion. Wochenschrift für Politik, Literatur, Kunst, 36-37, 12 septembre 1914.
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Légende Fig. 3 : Honoré Daumier, « D’ARG… », La Caricature, 9 août 1832.
Crédits © CC-BY.
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Légende Fig. 4 : Honoré Daumier, « Victor Considérant », Le Charivari, 24, 22 février 1849.
Crédits © CC-BY.
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Légende Fig. 5 : J.-J. Grandville, « La Métaphore de la chrysalide », Le Magasin pittoresque, 8, 1841.
Crédits Source : gallica.bnf.fr / BnF.
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AUTEUR

Université Lyon 2, Bibliothèque des musées de Strasbourg

© Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, 2019

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L’Inde et la mort du Mahatma Gandhi

Le reportage photo classique d’Henri Cartier-Bresson a capturé l’Inde à un moment critique de son histoire. Histoire et photographie, Cartier bresson est un de ces nombreux photographes très influencé par le marxisme et le communisme qui choisissent d’être les témoins de leur temps. J’ai vu travailler Willy Ronis, il  était attiré par la possibilité offerte par un lieu et se plantait là dans une longue attente en attendant l’événement, la manière dont l’humanité allait faire bouger les lignes géométriques du décor. Dans ce cas là, celui de la libération de l’inde suivie de troubles religieux, plus ou mois provoqués par les Anglais, et de l’assassinat de Ghandi. (note de Danielle Bleitrach)

Henri Cartier-Bresson

 

Henri Cartier-Bresson Des foules se sont rassemblées entre la maison Birla et les lieux de crémation sur la rivière Jumna, lors des funérailles de Gandhi. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum

Tout au long de sa carrière, Henri Cartier-Bresson s’est défini comme l’antithèse d’un photojournaliste traditionnel, écrivant de façon célèbre: «Je voudrais souligner mon point de vue: je n’ai jamais été un conteur.» L’influence considérable du surréalisme sur sa pratique est évidente pour lui, la photographie n’a d’utilité que pour le «dessin instantané». C’est son collègue et co-fondateur de Magnum Photos, Robert Capa, qui a encouragé Cartier-Bresson à réaliser davantage de documentaires, et même à visiter l’Inde en premier lieu.

Henri Cartier-Bresson Gandhi à Birla House, la veille de son assassinat. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
Henri Cartier-Bresson Gandhi dictant un message à Birla House, la résidence où il a passé ses derniers jours et dans laquelle il a été assassiné, juste avant de rompre son jeûne. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
Henri Cartier-Bresson Gandhi quittant Meherauli, un sanctuaire musulman. Ce fut l’une de ses dernières apparitions entre la fin de son jeûne et sa mort. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
Henri Cartier-Bresson Une entrevue avec Gandhi à Birla House, la veille de son assassinat. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum

Cartier-Bresson s’est d’abord proposé de créer un essai photographique qui capturerait l’essence du pays, son passé et son présent à une époque de changement social rapide. L’indépendance récente de l’Inde vis-à-vis de la Grande-Bretagne s’est rapidement détériorée en troubles avec la partition du pays en Inde hindoue et au Pakistan oriental et occidental musulman. Au centre de ces bouleversements se trouvait le Mahatma Gandhi, qui, après avoir fait campagne pour l’indépendance de l’Inde, protestait maintenant pour la fin de la violence entre hindous et musulmans. Cartier-Bresson avait un accès exclusif à Gandhi, enregistrant la grève de la faim du militant pour protester contre les émeutes au cours desquelles des millions de personnes sont mortes. Cependant, avec l’assassinat de Gandhi le 30 janvier 1948, le lendemain de la prise de son portrait, il se retrouve de façon inattendue témoin d’un événement historique majeur.

Le corps d’Henri Cartier-Bresson Gandhi à la maison Birla, le lendemain de son assassinat. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
Le secrétaire d’ Henri Cartier-Bresson Gandhi regardant les premières flammes du bûcher funéraire. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
La crémation d’ Henri Cartier-Bresson Gandhi sur les rives de la rivière Jumna. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
Henri Cartier-Bresson Les foules attendent de rendre un dernier hommage alors que le cortège funèbre de Gandhi s’approche du lieu de la crémation. Delhi, Inde, 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum

Cartier-Bresson a résisté à l’étiquette de journaliste, mais il était à la fois profondément intéressé et possédait une compréhension approfondie des principes fondamentaux du photojournalisme, qu’il a exposés dans l’introduction de son livre Le moment décisif ; «Pour moi, la photographie est la reconnaissance simultanée, en une fraction de seconde, de la signification d’un événement ainsi que d’une organisation précise des formes qui donnent à cet événement son expression appropriée.» Son reportage photo «La mort de Gandhi» incarne cette double approche, à la fois pour saisir un moment historique significatif et pour exprimer formellement l’angoisse et le chagrin de l’événement.

Henri Cartier-Bresson Gandhi transporte les cendres du Gange pour les disperser. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
Henri Cartier-Bresson Des gens attendent le train transportant les cendres de Gandhi. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
Henri Cartier-Bresson Des foules se sont rassemblées entre la maison Birla et les lieux de crémation, jetant des fleurs. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
Henri Cartier-Bresson Des foules bordent les voies ferrées pour rendre hommage aux cendres de Gandhi. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
Henri Cartier-Bresson À l’intérieur du train transportant les cendres de Gandhi jusqu’au Gange. Des foules se sont alignées sur les voies ferrées pour voir et toucher les cendres de Gandhi, et rendre un dernier hommage à leur chef. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum
Henri Cartier-Bresson Une foule sur les rives du Gange regardant la dispersion des cendres de Gandhi. Delhi, Inde. 1948. © Henri Cartier-Bresson | Photos chez Magnum

Cette histoire a également été publiée dans le livre Magnum Stories , publié par Phaidon , où un extrait détaillé du Moment décisif d’Henri Cartier-Bresson peut être lu. Un nombre très limité d’  exemplaires de Magnum Stories sont disponibles dans la boutique Magnum, signés par des photographes Magnum .

 

A propos d’une épidémie, l’humanité peut-elle apprendre à connaître ?

Cannes 2019 : SÉJOUR DANS LES MONTS FUCHUN

Regardez sur les plateaux de télévision actuellement la différence d’attitude entre les chercheurs scientifiques qui nous parlent de l’épidémie du coronavirus et les politologues qui s’affirment spécialistes de la Chine, sans parler de ceux qui ont lu deux ou trois articles sur ce pays et qui mènent souvent le débat. Ceux-là nous infligent leur vision du « péril jaune » incontestablement aggravé par le fait qu’il est rouge. La manière dont la Chine a mis en quarantaine des villes énormes, le vide qui s’est créé dans les rues et les hôpitaux construits en quelques jours provoquent non pas l’admiration, mais l’inquiétude légitime chez ceux qui ne sont pas informés. Outre le fait qu’ils ont le sentiment d’être confrontés à une fourmilière d’anonymes dirigés par le big brother habituel. Face à ce mouvement spontané d’inquiétude qui est celui de la population, quelles sont les réponses médiatiques?

Il existe une catégorie particulièrement pernicieuse de gens qui se disent informés puisqu’ils occupent les médias et qui en profitent pour faire passer leur haine de la Chine, leur anticommunisme primaire. Ces gens là sont souvent les mêmes qui non seulement s’estiment compétents sur tout mais qui souvent dénoncent le complotisme des réseaux sociaux. Dans cette affaire, comme dans d’autres, ils le pratiquent sans état d’âme en utilisant leur place d’éditorialistes bien vus du pouvoir et des groupuscules médiatiques. Alors que les scientifiques qui souvent sur le même plateau mènent un discours parallèle et ignorent les remarques précédentes des sinologues autoproclamés, donnent le visage d’une véritable collaboration, d’une écoute mutuelle et d’une transmission d’information. Ils annoncent avec joie les résultats en France, en Chine aux Etats-Unis. Ils rationalisent les dangers sans pour autant nous faire baisser notre garde, pour aujourd’hui et pour demain.

Le véritable problème n’est plus la Chine alors, il est le sous développement. Des pays entiers qui ne peuvent être mis en veille sanitaire et qui n’ont pas les laboratoires, les hôpitaux qui peuvent isoler. Les échos de transmission du virus proviennent tous de pays développés, que se passe-t-il dans ceux où la surveillance est insuffisante, les voyageurs dont on ignore tout. On ne peut pas nier les migrations, il faut gérer avec humanité, soigner, prévenir.

L’autre problème est la capacité qu’a un pays à imposer à sa population la discipline extraordinairement contraignante des mises en quarantaine de masse. Certains urgentistes qui font des simulations sont aujourd’hui confrontés à cette inconnue que la Chine traite à une échelle inouïe, celle de l’ensemble de la population française.

Il y a là quelque chose de l’avenir de l’humanité, comment créer chez les êtres humains ce désir véritable et attentif de ce qu’est l’autre, la formation à la connaissance et le contraire de la rumeur destinée à conforter les stéréotypes.

De la méthode, apprendre à lire, à voir, à penser autrement… Et je suis de plus en plus inquiète, il me semble qu’il faudrait apprendre à lire, à voir, à entendre, cultiver nos sens pour les affiner jusqu’à ce qu’ils contribuent à eux aussi s’ouvrir à la mondialisation, en partant de ce que nous sommes. Mais aussi pour provoquer ce que nous avons d’irremplaçablement humain face aux conquêtes de l’intelligence artificielle. S’ouvrir à quelle mondialisation? Peut-être faudrait-il là aussi ouvrir le dialogue avec ce que la Chine tente de nous dire : « Construisons ensemble une communauté de destin », dit Xi Jinping dans ce livre que j’ai le privilège de lire avant qu’il soit diffusé en France. C’est-à-dire, restons ce que nous sommes avec nos valeurs propres, nos mœurs, mais cherchons entre nous les points d’intersection qui garantissent progrès et sécurité pour l’ensemble de l’humanité.

Apprendre à lire par exemple, à se documenter réellement, à la manière de ces chercheurs et a contrario de ces éditorialistes qui n’ont plus le temps que de paraître. « Tirer d’un livre jusqu’à la dernière goutte de substance est un art presque aussi difficile que celui d’en écrire un. Lorsqu’on a appris à le faire, un seul livre profite autant que des centaines. » Henry Miller.

Je suis d’autant plus d’accord avec cette remarque que personnellement je ne connais que deux manières de lire. La première que j’ai pratiquée depuis ma plus tendre enfance consiste à recopier les livres que je lis. Il m’est arrivé dans les bibliothèques de recopier durant des mois des livres et j’en ai encore un doigt déformé avec une boule que même la pratique de la machine à écrire puis de l’ordinateur n’a pas totalement résorbé. L’autre manière qui m’a gagnée à l’adolescence a été de prétendre écrire un livre et de se documenter.

C’est pour cela que j’aimais tellement l’année de maîtrise et la direction de ce premier acte de recherche pour mes étudiants. Je suivais leur propre exploration non seulement sur le terrain mais dans leur sollicitation de documents, d’archives et d’auteurs. Certains apprennent à réellement lire pour la première fois et ils le font à partir d’interrogations sur la réalité d’un terrain, ils ne tentent pas de conforter leurs opinions mais en les construisant, ils se remettent en cause et ils s’enrichissent.

Si je suis obligée de recopier des livres entiers, c’est que je suis une visuelle, le sens me parvient par le sens regard mais ce qui me pousse, moi comme tant d’autres à lire, à me documenter est pourquoi le nier une sorte de transcendance typiquement humaine. Comme le disait récemment François Cheng dans une émission de la grande librairie, la quête du beau est quête du sens. Ce mot français, « le sens » une sorte de diamant à multiples facettes: le sens qui est une direction, un mouvement de votre propre transformation, le sens qui est non seulement un contenu mais l’essentiel de ce contenu, sa substance. Le sens qui est l’instrument privilégié de votre compréhension, la sensualité, et pour moi c’est l’oeil d’abord et après le goût.

La connaissance est recherche et celle-ci est quête de l’autre, de ses potentialités, de l’échange. A partir de cette réflexion de François Cheng, s’impose à moi le film « séjour dans les monts Fuchun », tous ces sens sont magnifiés dans ce film et cela vous permet à la fois de vous ouvrir à une autre civilisation, à son irréductible étrangeté et dans le même temps avoir avec elle le contraire des stéréotypes ambiants, l’hostilité, la peur, la manière de plaquer ce que nous avons de pire sur ce que nous découvrons. Cette manière de croire savoir parce que nous refusons le temps de connaitre.

Il y a là quelque chose de l’avenir de l’humanité, comment créer chez les êtres humains ce désir véritable et attentif de ce qu’est l’autre, la formation à la connaissance et le contraire de la rumeur destinée à conforter les stéréotypes. Ce qu’on trouve à l’état embryonnaire dans l’art, dans la recherche scientifique, malgré les mises en concurrences, les contraintes du profit comment peut-il devenir la communauté de destin de l’humanité?

C’est en quelque sorte le contraire de ce que favorisent les réseaux sociaux, les like après un article dont on a vaguement lu le titre et quelques lignes, parce que c’est le seul intérêt que l’on puisse avoir pour votre interlocuteur que celui d’un post où tout ce qu’il a à vous dire tient en une phrase qui a le bon goût de confirmer vos idées reçues sur la question. Et pourtant il y a un désir de savoir.

J’ai cru longtemps que la politique était la voie royale de cette connaissance qui part de nos intérêts pour atteindre ceux de l’humanité, je pense que telle qu’elle se présente aujourd’hui elle reste incontournable mais mérite d’être considérée aussi dans ses limites actuelles, le fait qu’il existe un état de la science qui a besoin de mondialisation, d’investissements collectifs, la force productive du travail et que celle-ci ne trouve pas les rapports sociaux, les institutions à la mesure de ses avancées potentielles dont l’humanité a besoin pour sa survie. Le fait que lutter contre les entraves a d’abord une dimension nationale, comme la lutte contre l’épidémie, mais que ce qui est recherché en terme de coopération est international. Quelle force politique est en capacité de penser cette contradiction et son dépassement?

Danielle Bleitrach

 

L’histoire falsifiée est comme une vierge de Nuremberg

je pense que j’ai réussi à plus ou moins m’abstraire de la souffrance que m’infligeaient les adhérences à la politique de cette période complexe où se produit un ébranlement général des institutions, des représentations à travers lesquelles vous continuez à percevoir le monde. Cela avait pris la forme obsessionnelle de la torture que représentaient diverses célébrations dans l’année 2020, celle de la victoire sur le nazisme, celle de l’histoire du pCF. J’ai vécu comme une souffrance abominable ce qui était en train de se préparer, la médiocrité, le mensonge comme si ma vie entière était enfermée dans une vierge de Nuremberg…

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J’étais obsédée par des références qui aurait bien étonné mes lecteurs, empruntées à ma studieuse jeunesse, quand j’avais fui à la fois le lycée et des parents en train de divorcer en me prenant plus ou mois en otage de leurs propres interprétations de l’origine de leurs frustrations les plus intimes . je m’étais réfugiée dans la bibliothèque de la place Carli à Marseille, c’était si apaisant, ses boiseries blondes tapissées de livres reliés et des rais de lumière qui tombaient des hautes fenêtres, avec des mouvements de  neige de la poussière qui me faisaient songer au de rerum naturae de Lucrèce que je lisais avec passiin, en découvrant la poèsie du matérialisme (plus tard j’ai lu le texte que marx avait consacré à cet atomisme matérialiste et à Epicure dans sa thèse … )

Mais revenons à la découverte que je fis alors de la partialité de l’Histoire. Il y eut le cas de Néron, je découvris Suétone, la vie des douze césars comme le satyricon de Pétrone, j’en rougis encore, je dois beaucoup de mes connaissances sexuelles (hors normes) à ces ouvrages comme aux Mille et une nuits non expurgées très explicites mais plus traditionnelles.

Mais peu à peu me vint des doutes sur   la manière dont  Suétone, cet archiviste de l’empereur Hadrien avait fabriqué la vie des 12 césars. « À la mort de Pline le Jeune, en 113, Suétone s’attache à un nouveau protecteur, Caius Septicius Clarus, qui lui obtient sous Hadrien l’importante fonction de secrétaire ab epistulis latinis5 (c’est-à-dire responsable de la correspondance de l’empereur en langue latine). Cette charge permit notamment à Suétone d’avoir accès aux archives impériales. Il rédige alors son premier livre, le De viris illustribus (paru vers 113). Entre 119 et 122, paraît la Vie des douze Césars, point culminant de sa carrière. » Il avait donc accès aux sources mais c’était aussi un membre de l’ordre equestre, un réactionnaire qui regrettait le temps archaïque du Sénat et qui voyait dans l’empire romain le triomphe de la plèbe sur l’aristocratie et il avait littéralement fabriquée une histoire salace où les vices des empereurs et de leurs épouses (Agrippine, Messaline, Popée, etc..) de leurs gitons étaient utilisés pour appuyer sa cause.

Cette falsification systématique de l’histoire par des clerc, non seulement appointés par les puissants mais qui nourrissaient en secret   des nostalgies de petits bourgeois fascisants  m’incita à me méfier. Je découvris grâce à une histoire de l’Antiquité publiée aux éditions de Moscou que Socrate pervertissait peut-être effectivement la jeunesse, dans cette histoire je découvris qu’Athènes occupée par Sparte avait été la proue d’un régime de collaboration très durs, les trente Tyrans, dont un certain nombre comme Critias et Alcibiade avaient trahi leur patrie.  Même Platon n’est pas clair. Ensuite je découvris le même travers réactionnaire chez Marc Aurèle et les Stoïciens, bref la plupart des héros que l’on m’apprenait à respecter et dont j’étais gorgée dans mes études classiques s’avéraient des ennemis des petits et des défenseurs d’une élite rapace, quand ils n’étaient pas comme Charles parrain décrit marc Aurèle, de fieffés imbéciles incapables de percevoir la fin du mode de production esclavagiste… Je commençais à traduire des textes mis à l’index par exemple Julien l’apostat et j’ai préparé mon baccalauréat durant deux années seules en fabriquant mon propre programme de lecture. J’ai eu des notes si transcendantes en français, philosophie, histoire, latin et même grec, que cela me permit de surmonter les 0,5 ou 0,25 que je recevais fréquemment en maths, physique et anglais.

Ce long détour pour vous expliquer les conditions personnelles dans lesquelles je prenais position en Histoire. la découverte de marx fut un bonheur de chaque moment parce qu’avec les immenses moyens intellectuels qui étaient les siens, il procédait de même et mieux me fournissait une méthode pour classer les faits sociaux.

pendant très longtemps le pCF fut le lieu où j’alimentais mon goût pour l’histoire et la lutte contre le révisionnisme des puissants.Mais depuis vingt ans ce temps est terminé et j’ai vécu jusqu’au paroxysme de ces dernières semaines la souffrance de me retrouver aussi seule, aussi démunie que quand adolescente j fuyais l’incompréhensible folie des adultes dans les bibliothèques…

Je me disais, ils vont réussir à inventer comme Suétone, et il créeront des Lorent deutsche et des Stéphane berne pour faire de Staline la même monstruosité qu’Hitler… Tout m’était douloureux y compris ces phrases jetées sans y penser à propos de macron, quand gérard Miller croit devoir nuancer le propos en expliquant qu’il n’est certes pas Hitler Mssolini … et Staline… de la part d’un ancien mao qui n’est pas le pire quelle acceptation.

Le pCF, y compris la nouvelle direction était devenue massivement inculte, considérant comme secondaire ce trafic des mémoires contre lequel se rebellaient heureusement les Russes.

Mon propre livre de mémoires avait disparu dans la tourmente, il ne m’intéressait plus beaucoup, je l’avais peut-être écrit pour des gens qui n’existaient plus. Je n’avais même plus envie d’en assurer la promotion tant je le considérais comme mal ajusté à l’état réel de la situation…

J’ai décidé alors d’aller jusqu’au bout, je me suis remise comme au temps où j’allais dans la bibliothèque de la place Carli de recopier des livres (je crois qu’à cette époque en une année j’ai recopié des volumes entiers… Le dialogue est beaucoup plus fructueux quand on recopie la pensée de quelqu’un, quand chaque mot est ainsi pesé.

Puis j’ai retrouvé le cinéma, en particulier des films chinois. Il y avait le début de l’épidémie, les énormités qui se disaient, les Chinois qui prenaient des mesures de quarantaine légitimement accusés de « totalitarisme »,ce qui était d’une incroyable stupidité… et il yavait dans le même temps la découverte de la société, mieux de la sensibilité individuelle et collective chinoise d’abord dans « l’adieu » de wang lu, ensuite le magnifique « Séjour dans les monts Fuchun » de Gu xiaogang.

Magnifique bien sur parce que comme tout cinéma, il est espace et temps et celui-ci nous est une découverte, celle d’une peinture classique, un rouleau du XIIème siècle (le jour de Qinming au bord de la rivière) un perspective sans pont de fuite ou des points de fuite multiples (montagne et eau) avec de longs travelling sans fin, mais aussi le déroulement de civilités multiples depuis la vieille dame dont l’on célèbre les 70 ans jusqu’à son enterrement, avec ses enfants, plutôt de la classe ouvrière que de la classe moyenne confrontés à un monde en pleine transformation. Et ce monde chinois dans lequel le drame surgit et s’interrompt au rythme de l’histoire et de ses répercussions nous décrit des être humains complexes dans lesquels le mal et le bien coexistent. L’être humain n’est ni bon, ni mauvais, il est enserré dans des rapports sociaux et seul le collectif donne le sens global comme la relation à la nature apporte le sens véritable qui toujours  échappe.

C’était exactement le contraire des imbécillités déversés sur les plateaux de télévision… de ces commentaires superficiels qui nous rayent le coeur tant ils parlent faux, mais les nôtres sans doute ne valent pas mieux… Autant vaut s’épargner mutuellement.

Puis il y eut ce camarade qui me téléphona et me proposa de venir me chercher pour le débat de Reillanne… Nous avons parlé de l’histoire qui fut la nôtre comme déjà sur la route vers la Haute-Provence. je repensais en l’écoutant à cette remarque de genet dans Notre Dame des fleurs « ce n’est pas ta vie que tu me racontes, mais une part de la mienne que j’ignorais »… Rien ne me choquait, on riait… Puis il y eut le jeue homme rencontré dans le train au retour de béziers qui m’a recherchée, ce soir il vient chez moi avec son amie… est-ce que le moment privilégié reviendra?

Ce fut le début de l’apaisement avec la conscience que j’étais dans une zone périphérique d’un monde en train de basculer dans une nouvelle ère, qu’heureusement ou malheureusement ceux qui contribuaient volontairement ou involontairement à une révision de l’histoire  contre-révolutionnaire (il ne s’agit pas de vérité, mais bien de savoir au profit de qui se joue la ré-interprétation) n’ont pas beaucoup plus de pouvoir que moi. Ceux qui vont jusqu’à m’insulter sans m’avoir lue n’ont aucune importance, moi non plus… Mais il y a quelque chose qui nous pousse vers des valeurs qui sont encore les miennes et qui me font apprécier ces films, parce que l’être humain aura toujours besoin de vivre matériellement, de vaincre ce qui l’en empêche mais aussi de beauté comme une transcendance, le sens d’une vie qu’il doit défendre âprement en terme de survie.

je crois que par les temps qui courent il y a peu de gens pour avoir comme moi une vision non simplificatrice de ce qu’est la géopolitique et pour au contraire revendiquer une réflexion qui dépasse les personnages historiques auxquels on cherche à nouveau à ramener l’Histoire. Si l’on prétend comme c’est le cas aujourd’hui retourner aux temps de la « vie des douze Césars » ou les malheurs de Marie Antoinette, on a toute chance de se retrouver dans les aspects les plus médiocrement réactionnaires, les plus stupides de ce que nous devrions connaitre en nous engageant politiquement. Ceux justement où l’on peut limiter l’histoire d’Hitler à la folie monstrueuse et paranoïaque d’un individu sans jamais s’intéresser à ceux qui ont choisi de le porter au pouvoir, les magnats de la Rhur alors qu’après avoir connu un triomphe en juillet 1932, il avait connu un terrible reflux en décembre 1932, sans jamais avoir la majorité absolue. Et en ayant gommé ce qui donne sens à l’histoire l’identifier à son antthèse historique que l’on a fabriqué lui aussi comme un monstre sans assise sociale.

Voilà cette semaine de réflexion a consisté à retrouver les enjeux réels de ce qui fait une vie.

Voilà, ce furent huit jours importants et il faut poursuivre encore dans cette solitude attentive à ce qui surgit…

danielle Bleitrach

 

Introduction du livre de Frances Stonor Saunder sur la CIA et la guerre froide culturelle(1)

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Ce livre est épuisé et quasiment introuvable, il s’achète sur le net à des prix prohibitif(700 euros), et les droits de ré-édition sont encore plus prohibitifs. Aussi j’ai décidé dans la mesure du possible de vous le faire connaître gratuitement, dans ce temps de vacances du blog, pendant lequel je lis et relis pas mal d’ouvrages. Celui-ci   est un travail de recherche universitaire dont les résultats sont saisissants ? Il décrit  l’emprise de la CIA sur le monde intellectuel, durant la guerre froide, les déclassifications corroborent cette analyse comme celles plus récentes et d’aujourd’hui témoigneront de la même vassalité pire encore . A cette époque là, la France, grâce au PCF et au travail politique et culturel de grands créateurs comme Aragon échappa à l’emprise plus que le monde anglo-saxon, mais aujourd’hui ce temps est révolu et la situation intellectuelle en France est pire que dans le mode anglo-saxon. il est clair que le pCF n’est plus en état d’un tel combat, affaibli, il lui même vérolé depuis pas mal d’années… Je recopie ce texte et en même temps je lis la chronique qu’Aragon tenait en 1938 et en 1939 dans le journal Ce Soir. Edifiant. on s’y croirait à la différence près qu’aujourd’hui c’est le pCF qui me parait payer les gens qui poursuivent l’oeuvre de la CIA en son sein. Peut-être un jour est-ce que j’écrirais la véritable histoire de l’eurocommunisme, histoire que j’ai à peine esquissée dans mes mémoires, seulement pour ceux qui savent lire et ils sont rarissimes. L’hebdomadaire Révolution a été un bon lieu d’observation et son mode de financement mériterait une analyse fine. Mais le véritable fait de notre époque est que cette emprise n’est plus celle d’une Amérique triomphante mais d’une fin d’ère destructrice toujours « totalitaire » mais de moins en moins « légitime ». Voici donc l’introduction qui décrit plus qu’une époque, des mécanismes:(note de Danielle Bleitrach)

 

INTRODUCTION

Le moyen de faire de la bonne propagande est de ne jamais avoir l’air d’en faire.
Richard Crossman

Au plus fort de la guerre froide, le gouvernement des Etats-Unis consacra d’énormes ressources à un programme secret de propagande culturelle en Europe occidentale. Un trait essentiel de cette propagande était de prétendre qu’il n’existait pas. Il était dirigé, dans le plus grand secret, par le bras armé de l’espionnage américain, l’Agence Centrale de renseignement, la CIA. Au coeur de cette campagne secrète était le Congrès pour la liberté de la culture, dirigé par l’agent de la CIA Lichael Josselon, de 1950 jusqu’à 1967 Son oeuvre – pour ne pas parler de sa longévité- fut considérable. A son apogée, le Congrès pour la liberté de la culture possédait des bureaux dans trente-cinq pays, employait des douzaines d’équipes, publiait plus de vingt magazines de prestige, organisait des expositions artistiques, possédait un service d’information et de presse, organisait des conférences internationales de grand renom et récompensait musiciens et artistes par des prix et des spectacles. Sa mission était de détourner l’intelligentsia de l’Europe occidentale de sa fascination persistante à l’égard du marxisme et du communisme et de favoriser une vision plus engageante du « mode de vie américain ».

Tirant sa force d’un réseau très influent d’agents de renseignement,stratèges politiques, ainsi que de l’Etablissement institutionnel et de la camaraderie d’école des universités de Ivy League (les huit grandes universités privées du Nord-Est), la CIA naissante commencça en 1947 à bâtir un « consortium » dont la double tâche était de vacciner le monde contre le communisme et de faciliter l’introduction à l’étranger des intérêts américains en matière de politique extérieure. Le résultat fut un réseau remarquablement serré de gns qui travaillaient à côté de l’agence- la CIA- pour promouvoir l’idée que le monde avait besoin d’une pax americana, d’un nouvel âge des Lumières wqui serait appelé le Siècle américain.

Le consortium édifié par la CIA – qui consistait en ce que Henry Kissinger a appelé « une aristocratie dévouée au service de la nation au nom des principes au nom des principes qui dépassent l’esprit partisan »- fut l’arme secrète de la bataille américaine de la guerre froide, une arme qui dans le domaine culturel, eut des répercussions considérables. Qu’ils le veuillent ou non, rares étaient les écrivains, poètes, artistes,historiens, scientifiques ou critiques de l’Europe de l’après-guerre dont le nom ne fut pas d’une manière ou d’une autre lié à cette entreprise secrète. Sans être contestéé, sans être détectée, pendant plus de vingt ans, l’institution d’espionnage américaine anima un front culturel complexe et richement financé à l’Ouest, pour l’Ouest, au nom de laliberté d’expression. Définissant la guerre froide comme une « bataille pour conquérir l’esprit des hommes », cette insitution accumula un vaste arsenal d’armes culturelles: périodiques, livres, conférences, séminaires, expositions, concerts et prix.

Parmi les membres de ce consortium,il y avait un assortiment d’anciens radicaux et intellectuels de gauche dont la foi dans le marxisme et le communisme avait été ébranlée par la preuve du totalitarisme stalinien. Née de la « Décennie rose » des années trente- dont Arthur Koetsler parle mélancoliquement comme d’une « révolution avortée de l’esprit, une Renaissance ratée, une fausse aurore de l’Histoire »- leur désillusion s’accompagnait d’un empressement à partager une nouvelle opinion unanime, à affirmer un ordre nouveau qui se substituerait aux forces épuisées du passé. La tradition de la dissidence radicale où les intellectuels entreprenaient eux-mêmes d’approfondir les mythes, de remettre en question les prérogatives institutionnelles et de s’en prendre à la suffisance du pouvoir, prit fin et fut remplacée par le soutien à la « proposition américaine ». Sanctionné et financé par de puissantes institutions, ce groupe nob communiste devint autant un cartel dans la vie intellectuelle occidentale que l’avait été quelques années auparavant le communisme (et il incluait beaucoup des mêmes gens).

« Il vint un temps[…] où apparemment la vie perdit la capacité de s’arranger, dit Charlie Citrine, le narrateur de Don Humboldt de Saul Bellow. Il fallait absolument qu’elle soitarrangée. Les intellectuels s’y attelèrent. Depuis, disons l’époque de Machiavel jusqu’à la nôtre, cet arrangement a été le grand et magnifique projet désastreux, tentateur et trompeur. Un homme tel que Humboldt, inspiré, malin astucieux,débordait d’enthousiasme à la découverte que l’entreprise humaine, si grandiose et infinment variée, devait désormais être dirigée par des êtres d’exception, et donc remplissait les conditions requises pour accéder au pouvoir; Et bien pourquoi pas? » A l’exemple de Humboldt, ces intellectuels qui avaient été trahis par la fausse idole du communisme se retrouvaient à présent en face de la possibilité de construire une nouvelle République de Weimar, une République de Weimar américaine. Si le gouvernement – et sa branche d’action secrète la CIA- était prêt à aider ce projet, eh bien pourquoi pas?

Que ces anciens hommes de gauche se soient associés avec la CIA en vue de la même entreprise est moins vraisemblable qu’il n’y paraît. Il existait une véritable communauté d’intérêt et de conviction entre la CIA et ces intellectuels qui furent employés, mêe s’ils ne le savaient pas, pour livrer la bataille culturelle de la guerre froide. L’influence de la CIA n’était pas « toujours, ou souvent, réactionnaire et sinistre, écrit l’éminenthistorien libéral de l’Amérique Arthur Schlesinger. D’après mon expérience, sa direction était politiquement éclairée et complexe ». Cette vision de la CIA comme havre du libéralisme fonctionnait comme une puissante incitation à collaborer avec elle, ou, à défaut, à accréditer le mythe que l’Agence était bien motivée. Et pourtant cette perception ne s’accorde pas avec la réputation de la CIA, de son interventionnisme sans pitié et de son terrible et injustifiable rôle d’instrument de la guerre froide américaine. C’est cette organisation qui orchestra le renversement de Mossadegh, le premier ministre iranien, en 1953; l’éviction du gouvernement Arbenz au Guatemala en 1954; l’opération désastreuse de la baie des Cochons en 1961; et le tristement célèbre programme Phénix au Vietnam. Elle espionna des dizaines de milliers d’Américains, harcela des dirigeants politiques démocratiquement élus à l’étranger, complota des assassinats, nia l’existence de ces activités auprès du Congrès et, en cela, éleva l’art du mensonge à de nouvelles hauteurs. Par quelle étrange alchimie, alors, la CIA réussit-elle à se présenter à des intellectuels à l’âme noble, tel Arthur Schlesinger, comme le navire d’or du libéralisme bien-aimé?

L’ampleur de la pénétration de l’institution d’espionnage américaine dans les affaires culturelles de ses alliés occidentaux, son rôle inavoué de médiatrice dans un large évantail d’activités créatrices, sa façon de traiter les intellectuels et leur travail comme des pièces d’échec à déplacer dans le Grand jeu, restent l’un des legs les plus provocants de la guerre froide. L’argument invoqué pour leur propre défense par les protecteurs de la période, défense qui repose sur l’affirmation que les importants investissements financiers de la CIA n’étaient pas assortis de conditions, reste à être examiné sérieusement. Dans les cercles intellectuels d’Amérique et d’Europe occidentale, on persite à croire volontiers que la CIA s’intéressait seulement à étendre les possibilités de la libre expression démocratique et culturelle. « Nous aidions simplement les gens à dire ce qu’ils auraient dit de toute façon. »Tel est le « chèque en blanc » de ce système de défense. Si les bénéficiaires des fonds de la CIA ignoraient le fait, dit le plaidoyer, et si leur conduite n’en fut pas modifiée en conséquence, alors l’indépendance de leur pensée critique ne peut pas avoir été affectée.

Mais les documents officiels relatifs à la guerre froide culturelle sapent systématiquement ce mythe de l’altruisme. Les individus et les institutions subventionnés par la CIA étaient censés participer par leurs actions à une vaste campagne de persuasion, à une guerre de « propagande » dans laquelle celle-ci se définissait comme « tout effort ou mouvement organisé pour disséminer des informations ou une doctrine particulière via des nouvelles, des discussions ou des actions particulières destinées à influencer les pensées et les actions d’un groupe donné ». Une composante vitale de cette entreprise était « la guerre psychologique » , définie comme « l’utilisation planifiée par une nation de la propagande et d’activités autres que le combat et communiquant idées et informations destinées à influencer les opinions, attitudes, émotions et comportements de groupes étrangers de façon à leur faire participer à la réalisation d’objectifs nationaux ». De plus, « la propagande la plus efficace » se définissait comme celle où « le sujet va dans la direction que vous désirez pour des raisons qu’il croit être les siennes ». Il ne sert à rien de contester ces définitions. On les trouve partout dans les documents gouvernementaux et ce sont les données de la diplomatie culturelle d’après-guerre.

Manifestement, en camouflant ses investissements, la CIA agissait selon le présupposé que ses offres séduisantes seraient refusées si elles étaient ouvertement offertes. Quel genre de liberté une telle tomperie peut-elle offrir? Il n’y avait sûrement aucune sorte de liberté dans le programme de l’Union soviétique, où les écrivains et intellectuels qui n’étaient pas envoyés au goulag étaient obligés de servir les intérêts de l’Etat. On avait bien entendu raison de s’opposer à une telle privation de liberté. Mais par quels moyens? Comment justifier l’hypothèse que les principes de la démocratie occidentale ne pouvaient renaître dans l’Europe d’après-guerre grâce à des mécanismes internes? Ou l’hypothèse que la démocratie pouvait être plus complexe que ne le laissait supposer la glorification du libéralisme américain? Jusqu’à quel point était-il admissible qu’un autre Etat intervienne secrètement dans les processus fondamentaux du développement intellectuel essentiel,de la libre discussion, et du courant non réfréné des idées? Ne risquaiton pas de produire, au-delà de la liberté, une sorte de sur-liberté, où les gens pensent qu’ils agissent librement alors qu’en réalité ils sont liés à des forces sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle?

L’engagement de la CIA dans la guerre culturelle soulève d’autres questions troublantes. L’aide financière n’a-t-elle pas faussé leprocessus de progressio des intellectuels et de leurs idées? Les gens étaient-ils sélectionnés pour leurs propositions plutôt que sur la base de leurs mérites intellectuels? Que voulait dire Arthur Koetsler quand il brocardait le « cricuit universitaire international de call-girls » qu’étaient les conférence et les symposiums intellectuels? Les réputations étaient-elles acquises ouaccrues par l’appartenance au consortium culturel de la CIA? Combien parmi ces écrivains et penseurs dont les idées acquirent une audience internationale furent-ils en réalité d’éphémères agents de publicité de second ordre dont les oeuvres furent condamnées aux sous-sols des librairies d’occasion?

En 1996, parut dans le New-York Times une série d’articles révélant un vaste échantillon d’actions clandestines entreprises par l’appareil d’espionnage américain. Les récits de tentatives de coups d’Etat et d’assassinats politiques (généralement manqués) s’étalant sur les premières pages firent que la CIA finit par ressembler à un éléphant solitaire qui fonce à travers la brousse de la politique internationale, affranchi de tout sens de la responsabilité. Parmi ces plus sensationnels romans de cape et d’épée étaient révélés des détails sur la façon dont le gouvernement américain avait compté sur les brahmanes de la culture occidentale pour donner un poids intellectuel à son action.

L’idée que beaucoup d’intellectuels avaient obéi aux ordres des politiciens américains plutôt qu’à leurs critères personnels suscita un dégoût général. L’autorité morale dont avait joui l’intelligentsia au plus fort de la guerre froide était à présent gravement amoindrie et frequemment moquée. La « consensocratie » s’écroulait, le centre ne pouvait plus tenir. Et pendant qu’il se désintégrait, l’histoire également devenait fragmentée, partielle et modifiée- parfois de manière extrême- par les forces de droite et de gauche qui souhaitaient altérer la vérité à leur avantage. Ironiquement, les circonstances qui rendirent possibles ces révélations firent que leur signification s’obscurcit. Au moment où la campagne obsessivement anticommuniste au Vietnam amenait l’Amérique au bord de l’effondrement social, accompagné par les scandales de l’ampleur des dossiers secrets du Pentagone et du Watergate, il était difficile de conserver de l’intérêt et de l’indignation pour les affaires du Kulturkampf, qui en comparaison avaient l’air de pécadilles.

« L’Histoire écrit Archibald Mac Leish, ressemble à une salle de concert mal construite[avec] des angles morts où l’on ne peut pas entendre la musique ». Ce ivre tente de présenter ces angles. Il recherche une acoustique différente, une mélodie différente de celle jouée par les virtuoses officiels de l’époque. Il raconte une histoire secrète dans la mesure où il croit à l’importance du pouvoir des relations personnelles, des contacts et contacts « non tendus », et au rôle de la diplomatie de salon et de la politique de la tasse de thé. Il met en question ce que Gore Vidal décrit comme « ces fictions officielles sur lesquelles se sont mis d’accord trop de partis intéressés, chacun avec ses mille jours pour élever ses propres pyramides et obélisques trompeurs censés indiquer l’heure du soleil. » Toute histoire qui cherche à inerroger ces « faits acceptés » doit devenir comme le dit Todorov, « un acte de profanation ». Il ne s’agit pas de contribuer au culte des héros et des saints. Il s’agit de s’approcher autant que possible dela vérité. Cela participe de ce que Max Weber appelait « le désenchantement du monde »; cela existe à l’autre extrémité du spectre de l’idolâtrie. IL s’agit de racheter la vérité pour la vérité, pas de retrouver des images jugées utiles à l’heure présente ».

(1) Frances Stonor Saunders Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle ,editions de Noël. 2003, traduit de l’anglais par Delphine Chevalier. Original anglais : Who paid the Piper? Granta book. 1999.

 

à suivre….

 

« Aujourd’hui, il y a moins d’espoir et plus de résignation que sous Tito »

cet interview est intéressant à plus d’un titre: alors que l’intervieweur s’obstine à vouloir faire de Bora Ćosić ce qui lui a valu son succès en occident à savoir un dissident critique du titisme, celui-ci proteste et dit que le capitalisme est bien pire, il n’est pas loin d’Ernst Bloch qui ayant fui la RDA continuait à affirmer que le pire des régimes socialistes valait mieux que le meilleur des régimes capitalistes parce qu’il y demeurait l’espérance. Autre aspect intéressant de son interview, après être revenu du capitalisme, l’auteur conserve l’idéologie titiste concernant l’URSS. Alors qu’il décrit la liberté Yougoslave opposée au soviétisme pour qui connait un peu la production soviétique on peut constater à la même époque la même créativité impertinente, comme dans beaucoup de pays ex-socialistes. Quant à la « nostalgie » dont est empreint ce texte elle est également partagée par ceux dans ces pays qui n’ont jamais voulu de la fin du socialisme mais simplement ont cru ceux qui leur ont vendu le capitalisme comme le meilleur des socialismes (note de Danielle Bleitrach)

« Aujourd’hui, il y a moins d’espoir et plus de résignation que sous Tito »

 

© Guillaume Narguet

© Guillaume Narguet

Bora Ćosić, écrivain serbo-croate né à Zagreb en 1932, a passé la plus grande partie de sa vie à Belgrade, qu’il quitte en 1992 pour protester contre les dérives du régime de Slobodan Milosevic. Auteur prolifique, il a écrit une quarantaine de romans, d’essais et de recueils de poèmes ; or, seul un roman a été traduit en français : le Rôle de ma famille dans la révolution mondiale[1], critique satirique du socialisme yougoslave et du régime de Tito. Sa publication lui a alors valu les foudres du pouvoir, ce qui n’a pas empêché l’ouvrage d’obtenir un franc succès et de remporter le prix NIN, lui octroyant de fait un statut d’œuvre culte. Zone critique est partie à la rencontre de cet auteur encore trop méconnu en France, dont l’œuvre colossale ne demande qu’à être traduite, publiée et découverte.  

– Zone Critique adresse ses chaleureux remerciements à Mme Ivana Velimirac pour la traduction lors de l’entretien ainsi que la Librairie Polonaise pour la mise à disposition de ses locaux – 

000351919Votre roman est une chronique familiale satirique qui fait une critique acerbe du socialisme yougoslave et pour lequel vous montrez une grande liberté de ton. Ecrit en 1969 au moment du dégel politique en Yougoslavie, comment a-t-il été reçu par les autorités ?

Je n’ai pas conçu ce roman comme une œuvre satirique mais plutôt une œuvre joyeuse, une sotie au sujet d’une famille dans un contexte historique, politique et social particulier. Je suis ainsi parti de l’histoire d’un foyer classique de trois générations (le grand-père, les parents, oncle et tantes et le petit garçon, qui est en même temps le narrateur) qui évolue dans la Belgrade de la Seconde Guerre mondiale puis de la dictature. On peut dire que la petite histoire est finalement révélatrice de la grande Histoire, avec ses drames et tragédies.

Imaginez cela comme une moquerie, celle d’une classe moyenne bourgeoise et de leurs valeurs dans un environnement difficile. De ce fait, mon roman a acquis involontairement, par la suite, une dimension satirique que je ne recherchais pas au départ.

Vous avez évoqué la notion de liberté. Mais il faut savoir qu’il ne s’agissait pas d’une liberté que je m’octroyais, pour moi-même. Après la guerre, il était permis, en Yougoslavie, d’écrire dans un style moderne, contrairement aux pays du bloc soviétique (Roumanie, Albanie etc.). On pouvait donc produire ce qu’on voulait, les interdictions étant rares et très ponctuelles. Il n’y avait pas d’autodafés et les écrivains ne risquaient pas la prison pour leur littérature. J’ai ainsi pu publier trois romans surréalistes dans les années cinquante ainsi que de la poésie, dite futuriste, sans rien craindre de la part des autorités. On peut affirmer que le vent de la modernité a soufflé sur la Yougoslavie de ces années-là.

D’où la possibilité dont vous avez bénéficié d’adapter dans les années 60 la comédie musicale américaine Hair pour la scène de Belgrade, ce qui était osé.

Il y avait à l’époque, à Belgrade, deux grands festivals : BITEF (le Festival international de théâtre de Belgrade, créé en 1967), et FEST (le Festival international du film de Belgrade, créé en 1971), et qui existent toujours. C’étaient des événements culturels majeurs pour l’époque et auxquels se rendaient des metteurs en scène et des acteurs de toute l’Europe et du monde. Ces manifestations étaient emblématiques de la volonté d’ouverture du régime et de la liberté qu’il souhaitait infuser.

C’est d’ailleurs grâce au festival BITEF, et sous la direction de la grande dramaturge Mira Trailović, que Bob Wilson, pratiquement inconnu à ce moment-là, a pu acquérir une renommée mondiale en étant récompensé du grand prix du festival en 1977 pour Einstein on the Beach. Idem pour Peter Handke qui, alors qu’il n’était qu’un jeune dramaturge autrichien inconnu, y a présenté ses pièces Le Pupille veut être tuteur (1969) et La Chevauchée sur le lac de Constance (1971). La scène belgradoise constituait finalement une sorte de tremplin permettant à des débutants de rayonner ensuite sur la scène mondiale.

La parution de votre roman précède de deux ans le début du Printemps croate, en 1971, et les grandes manifestations étudiantes qui ont eu lieu. Peut-on voir un lien de cause à effet entre ce contexte particulier et la parution de votre roman ?

Je ne vois pas de lien, sauf à considérer ce souhait très marqué de pouvoir s’exprimer de façon plus libre, plus ludique et presque plus provocatrice ou irrévérencieuse. J’ai écrit de nombreux essais et textes théoriques sur les manifestations qui ont eu lieu durant cette période (1968 notamment), comme mon Esthétique temporaire des manifestations. D’un côté, vous avez un véritable engagement politique et de l’autre, une appréhension par la littérature de ces mouvements sociaux. Par conséquent, cette littérature, qui fictionnalise la réalité objective brute, acquiert une dimension politique et engagée.

Mes premiers écrits, tout comme ceux de mon confrère Radomir Konstantinović, étaient surréalistes ; ils interprétaient la réalité du quotidien d’une façon originale et très différente du réalisme soviétique qui était la norme dans les arts de cette époque. Le régime titiste n’a pas réagi comme on aurait pu le craindre dans une dictature soviétique classique et s’est senti moins provoqué par notre littérature abstraite que par des écrits réalistes à dimension sociale et à vocation critique qui étaient, par définition, plus abordables par la population et donc plus dangereux. Paradoxalement, la liberté n’avait rien à craindre là où elle s’exprimait le plus et là où elle laissait libre cours à son inspiration et son imagination les plus folles.

Le roman raconte l’histoire, sur quelques années, sans que la chronologie soit très précise, d’une famille haute en couleurs, partagée entre un père alcoolique, une mère dévouée mais désespérée, un grand-père, un oncle, des tantes, et au milieu un jeune narrateur d’une dizaine d’années, faux naïf, qui observe son environnement. Y a-t-il une part d’autofiction dans ce roman ou cette famille est-elle un archétype ?

Il y a bien sûr un fond autobiographique que je ne peux pas nier. Mais il s’agit plutôt d’une vision archétypale, de lieux communs ou de topoï concernant une classe moyenne en laquelle il est possible de s’identifier ou de reconnaître certains traits de caractère. Des personnes de mon entourage m’avaient d’ailleurs fait savoir, au moment de la publication du roman, qu’elles se trouvaient des points communs avec les personnages de l’oncle ou des tantes, par exemple.

Plus qu’une autofiction réfléchie et assumée, il s’agit avec mon roman d’une envie de jouer avec les clichés.

Le titre est assez ironique : il s’avère que la famille, plutôt dysfonctionnelle, assiste passivement aux événements qui se déroulent sous ses yeux, de l’occupation allemande et le gouvernement de Milan Nedić, à l’instauration du régime communiste de Tito. Pensez-vous que ce rôle passif puisse être généralisé à l’ensemble de la population yougoslave, durant les périodes décrites mais aussi durant les dernières guerres des années 90 ?

Il est vrai qu’on peut faire ce rapprochement et affirmer que cette famille, ce nucleus, reflète bien l’attitude d’une entité beaucoup plus vaste, telle que la société ou l’Etat yougoslave de ces années-là. Dans le même temps, il est aussi possible de considérer qu’un petit Etat se comporte parfois comme une famille. Un parallélisme peut donc s’opérer entre ces deux niveaux.

L’intrigue du roman forme une sorte de boucle : elle commence par la rédaction que le jeune narrateur doit écrire pour son école et qui consiste à raconter le quotidien de sa famille, et s’achève par un rapport que le même narrateur, qui a grandi de quelques années, doit rédiger sur ses proches sur ordre des autorités. Peut-on voir dans ce cercle vicieux une sorte de désespoir, de fatalisme relatifs à la situation du peuple yougoslave ?

Je dirais, au contraire, que malgré toutes ces mésaventures, c’est un roman optimiste. La vitalité de cette famille, les moyens qu’elle trouve pour survivre et s’adapter à cet environnement met en évidence un paradoxe de la vie, qui est de toujours voir le bon côté des choses, y compris dans les situations les plus noires et les plus difficiles. Cette famille, tour à tour ridicule, burlesque et pétrie de clichés, est finalement attendrissante de par ses défauts et sa candeur.

Elle semble être d’ailleurs la seule à croire que les choses puissent prendre une tournure plus favorable. Comme le dit mon jeune narrateur « : « Nous avions une confiance illimitée en la vie, nous considérions l’existence comme un conte de fées, tout ce que nous entreprenions était magnifique ». Bien sûr, l’ironie est de mise ici mais elle s’impose presque par hasard. Cela n’était pas mon intention, je n’ai pas décidé de rédiger un texte ironique à la Voltaire ; j’ai obéi aux circonstances, ce qui en a fait un texte comique. Même des scientifiques très sérieux et d’austères professeurs de littérature germanique m’ont avoué avoir ri aux éclats en lisant mon roman.

La force de votre ouvrage réside dans le fait qu’il est en effet très drôle dans les deux premiers tiers et qu’il devient très triste dans le dernier où le sort s’acharne : le rire devient jaune et l’on finit par se demander si la famille ne va pas connaître un destin funeste. Peut-on dire que la comédie, plus que son rôle d’exutoire, de catharsis, met en évidence l’aspect tragique de l’intrigue mais aussi de la vie en général ?

Tout à fait, surtout dans les situations difficiles. Par exemple, la mère parle, à un moment donné « des gens merveilleux et des tragédies encore plus merveilleuses ».

On peut évoquer ce passage dans mon roman où l’oncle raconte l’histoire d’un fou qui entre dans un café et qui déclare : « Vous allez voir un homme qui est venu à bout de tout, même de lui-même » avant de se tirer une balle dans la tête. Le geste, bien que tragique dans l’absolu, est également comique par son côté absurde.

On note une critique de la déshumanisation imposée par le régime dictatorial : « Nous nous affairions à longueur de journée, quoique cela ne se remarquât guère, et ensuite nous nous couchions et rêvions de la même chose, à savoir que nous continuions à nous activer, telle des machines.» Est-ce un constat qu’on pourrait toujours tenir de nos jours, sur la société de consommation, le capitalisme, la mécanisation des rapports sociaux ?

Peu importe le progrès social, auquel je ne crois pas fortement soit dit en passant. On peut même dire que les circonstances sont encore plus difficiles et féroces actuellement qu’elles ne le furent par le passé. Sans entrer dans la critique superficielle du capitalisme libéral, j’ai l’impression que de nos jours, des ombres oppressantes et une véritable chape de plomb menacent les gens, davantage encore que durant la Seconde Guerre mondiale où, malgré les conditions difficiles et la souffrance, une certaine insouciance, voire la joie et l’espoir, persistaient. Il semble qu’aujourd’hui, cet espoir n’est plus permis.

Une des phrases les plus importantes de votre ouvrage me semble être la suivante : « Notre plus grande richesse, c’est la liberté d’expression, fût-ce pour formuler des pensées stupides.» Quel constat dresseriez-vous de l’état actuel de la liberté d’expression, en Europe centrale ou plus généralement en Occident ?

On peut noter un paradoxe. Aujourd’hui, il est possible de tout dire ; par exemple, en Croatie, certains écrivains critiquent sévèrement le régime et pourtant, rien ne se passe. Aucune sanction ne leur est infligée. Mais la portée même de leurs paroles est nulle, elles n’ont aucune influence, aucun effet, car la population en Croatie ou en Serbie est résignée et passive. Il n’y a ni terreur ni répression car tout acte de violence de cette nature serait inutile. La liberté n’a plus d’importance.

Vous êtes installé à Berlin depuis 1995 et êtes retourné en ex-Yougoslavie en 2005, voyage dont vous avez tiré un livre : Voyage en Alaska. Du point de vue français, il est assez difficile d’appréhender ce pays qui n’en est plus un. Quelles clefs donneriez-vous pour le comprendre ?  

Tout d’abord, je ne me considère pas personnellement comme apatride car je ne me suis jamais senti en exil. Il est vrai que j’ai quitté l’ex-Yougoslavie en 1992 mais je l’ai fait volontairement, sans en avoir été chassé. Je n’étais pas en danger et n’ai subi aucune contrainte. Je l’ai plutôt fait par choix et conviction personnelle, pour protester contre la dérive du gouvernement Milosevic. En fait, le seul vestige de cette vie antérieure que j’aie conservé est la langue, que je n’ai jamais quittée, et je n’ai jamais écrit dans une autre langue que le serbo-croate, bien que je vive en Allemagne. C’est le souvenir que j’ai emporté avec moi. J’y ai toujours été attaché et c’est la raison pour laquelle j’ai signé en 2017, avec d’autres intellectuels, la Déclaration pour une langue commune, qui a pour objectif de mettre fin aux querelles linguistiques entre les quatre anciennes républiques yougoslaves, à savoir la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Monténégro et la Serbie, et de reconnaître au serbo-croate son unicité, qui fonde également un socle culturel commun à ces entités géographiques. Pour la petite histoire, je trouve toujours curieux et assez drôle que la génération postérieure à la mienne, celle qui est née dans les années 70, s’obstine à considérer que j’écris en « yougoslave », alors que la langue yougoslave n’a jamais existé en tant que telle. Miljenko Jergović, écrivain croate de Bosnie parmi les meilleurs, utilise encore le terme serbo-croate pour évoquer la population alors que pour nous, qui sommes de la génération d’avant, il s’agit de la langue.

Comment qualifieriez-vous la situation de la littérature ex-yougoslave actuellement ? Que vous inspirent les nouvelles générations d’écrivains ?

On y trouve des écrivains très intéressants, dont l’esprit est, bien sûr, tout à fait différent par rapport aux anciens et dont les horizons sont encore très nouveaux. Mais permettez-moi de revenir à ma génération et celle qui la suit, c’est-à-dire celles qui cultivent encore l’idée de langue commune. Je voudrais citer par exemple le poète croate Danijel Dragojević ou le romancier Radomir Konstantinović, peut-être le dernier grand romancier serbe de notre temps, une figure majeure, une pierre de touche. Citons aussi Slobodan Šnajder, qui a été traduit en français, et celui que je considère comme mon successeur et que j’ai déjà évoqué, Miljenko Jergović. Ce qui est rassurant, c’est qu’on peut toujours se trouver des disciples pour perpétuer la voie que vous avez empruntée en votre temps.

Vous êtes l’auteur d’une quarantaine de romans, d’essais et de recueils de poèmes. Pourtant, un seul de vos ouvrages est traduit en français. La traduction de vos autres livres peut-elle être envisagée dans un futur plus ou moins proche ?

Cette question tombe à pic, car j’ai un roman dont l’intrigue se déroule en Bretagne et qui s’intitule Propast (« désastre »). Or, il est traduit en allemand et non en français, ce qui paradoxal. Je lance donc un appel aux maisons d’édition françaises qui pourraient être intéressées. Il a fallu vingt ans (en 1989) pour que Le Rôle de ma famille soit édité en allemand ; ensuite, les droits d’auteur ont été vendus dans de nombreux pays, y compris la France qui a publié le livre une première fois en 1995. Je ne perds donc pas espoir.

Mon histoire avec la France et le lectorat français a commencé pendant la guerre, dans les années 90. L’écrivain et universitaire Antonin Liehm, qui vit à Paris, y a fondé en 1984 la revue allemande “Lettre International”. Cette revue, qui paraît dans huit pays et qui comprenait un supplément français, a publié de longs extraits de mon livre Journal d’un apatride, qui a eu un certain retentissement durant la période des guerres de Yougoslavie. Cela a permis à mon œuvre d’être diffusée par ce biais en France. Malheureusement, ce supplément n’existe plus mais je suis devenu, entre-temps, un collaborateur régulier de la revue et cela fait 25 ans que j’écris pour elle.

Vous avez dit dans un entretien que l’Europe est une très belle utopie mais que nous vivons dans un monde laid. Pensez-vous que l’Europe pèche par excès d’optimisme ? Cette vision découle-t-elle de l’échec de l’Europe centrale, ou du moins de l’ex-Yougoslavie, à se rassembler autour d’une identité commune et unificatrice ?

Je ne sais pas si l’Europe est une utopie d’une grande beauté mais elle est certainement une utopie car elle n’est pas uniforme. Elle s’est nourrie d’apports divers, venus de civilisations étrangères et qu’elle a incorporés, qu’il s’agisse de l’héritage chinois, arabe etc. Et cela remonte à la Grèce antique.

Elle est en proie actuellement à une crise de l’immigration très grave. Mais il faut que l’Europe reconnaisse qu’elle est redevable d’une certaine manière à ces étrangers qui ont participé au façonnage de sa culture et que leur accueil en son sein pourrait être facilité au nom de la dette que nous avons contractée. Mais bien qu’elle soit, de mon point de vue, une utopie, je crois en l’Europe et je veux promouvoir fortement l’esprit européen qui doit nous animer.

[1] Ecrit en 1969, traduit une première fois en 1995 et réédité en 2019 aux éditions Robert Laffont.*

Entretien réalisé par Guillaume Narguet et traduit du serbe par Ivana Velimirac

 

Le ministre de la culture aux abonnés absents… par Jacques Gerber

 

« Les conditions ne sont pas réunies » pour la présentation des voeux à la profession du ministre de la Culture (ex-sarkozyste, désormais macroniste) le plus nul depuis le déluge – en compétition avec Fleur Pellerin, qui était Hollandiste – dont acte.
Grève à la Comédie française, à l’Opéra, au Louvre, à la Bibliothèque Nationale, à Radio France, chez les enseignants, et M. Riester, tout ce temps, aux abonnés absents. Ce qui est sans doute sage, mais quand même assez parlant. Le pantin ne peut rien.

Le macronisme dans toute sa splendeur. Un ringard de la politique soudain élevé aux plus hautes fonctions en récompense d’un trahison de son camp (ce qui est le point commun, mais pas tellement ragoûtant, de l’entièreté du personnel politique macroniste, entièrement composé de retourneurs de veste, d’inutiles, de magouilleurs et d’incompétents.)

Le Maire et Darmanin ministres de l’économie ! Riester ministre de la Culture ! Olivier Dussopt, ex-socialiste nommé secrétaire d’état chargé de la Fonction publique alors qu’il avait voté contre le budget présenté par le gouvernement, avant de se reprendre pour tourner casaque et courir à la mangeoire, comme Castaner, réalisant que rester au PS ne lui paierait pas longtemps le loyer. Benjamin Griveaux, le ridicule sorti d’une pièce de Molière ! Richard Ferrand, le grand malin qui se retrouve propriétaire d’un immeuble à un tarif qui ferait blêmir les locataires de HLM ! Muriel Pénicaud, ministre du Travail incapable de prononcer trois phrases sans faire ricaner jusqu’aux journalistes politiques les plus blasés.! Ils et elles sont tous comme ça.

La liste est longue. Comme celle de leurs oublis de déclaration de patrimoine, de conflits d’intérêt, de déclarations d’impôt. On a déjà vu très bas, mais question personnel politique, on n’a jamais vu pire que cette République en marche, construite en quelques mois de bric et de broc à partir d’ex-partisans de Dominique Strauss-Kahn (la honte déjà en soi), de rebuts des primaires de droite et de gauche, au score ridicule jusque dans leur propre parti, où on les connaissait un peu, mais prêts à tout pour enfin toucher de près le pouvoir, de cadres supérieurs (« DRH » payés au prorata du nombre de licenciés qu’ils pourraient atteindre pour augmenter les dividendes des actionnaires), de pseudo-écologistes comme De Rugy et Barbara Pompili, pseudo-féministes comme Marlène Schiappa… on n’a jamais vu pire aux commandes de l’état.
Franck Riester étant, de toutes et tous, le plus inoffensif, et transparent, et donc à la hauteur de la tâche de ministre de la Culture que le président de la start-up nation, qui n’en a vraiment rien à battre de culture, si elle n’est pas sponsorisée par François Pinault (avec déduction d’impôt) ou Abu-Dhabi, a bien voulu lui accorder, il a donc bien raison d’avoir, au minimum, et c’est ce qui le distingue malgré tout, in fine et de justesse, de ses consoeurs et confrères du gouvernement, eu l’intelligence de renoncer à se présenter devant des grévistes, qui ont toutes les raisons de faire grève contre la politique la plus ennemie de la culture qu’on ait jamais vue en France. (« L’Autre Quotidien »)

 

Mexique: l’artiste et activiste féministe Isabel Cabanillas est assassinée à Ciudad Juárez

voilà le  féminicide sur la planète, parce qu’il y a des femmes qui se battent pour leurs droits comme pour ceux de l’humanité et dont nos médias ignorent jusqu’à l’existence, occupés comme ils le sont à surveiller si les gouvernements de gauche respectent bien leurs droits de l’homme à eux, ceux qui aident l’impérialisme à s’implanter. Il n’y a pratiquement aucun médias en France qui ne soit pas en proie à cette tare et qui daigne voir la réalité de l’horreur qu’est le monde tel qu’ils le rêvent. ..Des centaines de femmes torturées, violées qui ont servi de jouet à la classe dirigeante ont été retrouvées mortes dans cette terrible cité,celles qui luttent pour leur vie et pour celle des peuples indigènes ou la défense de l’environnement sont retrouvées mortes avec l’assentiment des Etats-Unis et de leurs valets.qui s’appuient sur des criminels pour tenir les peuples.  (note et traduction de danielle Bleitrach)

La membre du groupe des filles de la mère Maquilera, dédiée à l’art, au militantisme et à la défense des droits des femmes, était portée disparue depuis vendredi, lorsque ses proches ont porté plainte.

Dimanche matin, des proches, des amis, des militants et des voisins de Cabanillas de la Torre ont manifesté sur l’esplanade du monument à Benito Juarez pour exiger que les autorités arrêtent les responsables du crime et arrêtent le féminicide.

Isabel Cabanillas, 26 ans, qui était également créatrice de vêtements, est la quatrième femme tuée à Ciudad Juarez ce mois-ci et la sixième de l’État.

Vendredi, ses proches ont signalé sa disparition devant l’unité des personnes absentes du bureau du procureur général dans la zone nord.

Samedi vers 2 h 45, le personnel de l’unité des homicides pour femmes pour des raisons de genre a reçu un appel d’un opérateur radio au sujet de la découverte du corps d’une femme dans le centre-ville.

Le corps de la peintre et activiste a été retrouvé à côté de son vélo sur un trottoir au croisement des rues Inocente Ochoa et Francisco I. Madero; Il portait plusieurs coups de feu. La femme avait une veste bleue avec des décors noir, un chemisier et des collants noirs et des baskets blanches.

Le bureau du procureur spécial pour les femmes de Chihuahua a déclaré que la mort de la jeune femme était  due à la lacération du bulbe vertébral par un projectile d’arme à feu dans le crâne .

Des dizaines de membres de groupes féministes, des proches de femmes disparues et des proches de la victime se sont rassemblés sur l’esplanade du monument à Benito Juárez pour demander justice et rendre hommage à Cabanillas de la Torre.

Tous portaient des bannières avec des messages comme  Isabel Cabanillas, votre mort sera vengée ,  nous ne sommes pas de la chair à  canon ,  s’ils touchent une de nous répondons à tous!  et pas  une de plus! , ainsi que des photographies de l’activiste, peintre et designer, qui laisse dans le deuil un fils.

Où sont-elles? Nous voulons qu’elles reviennent. Il n’y a aucune raison de se taire ou d’oublier. Ce n’est pas un chiffre de plus; C’est ma sœur Isabel qui n’est plus avec moi , proclamait une autre pancarte..

Ils ont accusé le maire Armando Cabada d’avoir rompu sa promesse d’améliorer l’éclairage public à Ciudad Juarez, ce qui a contribué à l’augmentation des fémicides au cours des quatre dernières années.

Un homme avec un haut-parleur s’est exclamé: «Sa vie lui a été enlevée. Isabel Cabanillas était avec tous les groupes, avec tous les citoyens réunis; Elle l’ a exprimé dans  son art. Par conséquent, les militants, les pères et les mères qui ont une fille disparue ou assassinée sont totalement indignés.

Nous ne savons pas quoi faire pour arrêter cela, pour que les enquêteurs trouvent les criminels .

Cinquante éléments du SSP ont été envoyés pour  protéger l’intégrité des personnes rassemblées et, surtout, pour que la manifestation ne devienne pas incontrôlable , ont rapporté des policiers.

Les militants ont critiqué qu’au lieu de protéger les citoyens, principalement les femmes, les agents soient utilisés pour intimider les manifestants.

Dans le profil Facebook de l’organisation Filles de sa mère Maquilera, il est écrit:  Notre combat est pour vous, soeur, pour vous et pour les milliers de personnes que ce système féminicide assassine quotidiennement .

Lydia Graco, membre du groupe et administrateur du groupe, a déclaré  Je te pleure, Isa. Je te dois tellement, je te dois tout. Vous avez combattu le fémicide, le trafic, les disparitions. Vous avez toujours soutenu les causes. Vous nous avez demandé de vous informer sur la façon de soutenir, que faire. Vous nous avez étreints et nous avez embrassés. Tu étais si pure, tu étais si pleine de vie. Je ne t’ai pas protégée, nous ne t’avons pas protégée. Je ne cesserai jamais d’exiger la justice et de crier votre nom. J’ai perdu une fille. Je n’ai laissé que colère et souffrance. 

Dans la ville de Chihuahua, une femme non identifiée a été tuée alors qu’elle conduisait dans un véhicule à l’entrée du lotissement Senda Real. L’autorité a localisé plusieurs balles  de neuf millimètres.

https://jornada.com.mx/2020/01/20/estados/024n1est

 

Au Brésil, on peut tuer, mais il y a des limites au franc parler …

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Le ministre de la Culture brésilien Roberto Alvim, en prononçant un discours dans lequel il annonçait le nouveau « Prix national des Arts », s’est inspiré d’un discours de Goebbels, le bien connu ministre de la propagande nazie. Ce qui a provoqué l’indignation de la communauté artistique et politique.

Vu les mœurs du régime face à la dite communauté on se doute que ce n’est pas leur indignation dont tout le monde à commencer par Bolsanaro lui-même se tamponne, qui aurait pu changer quoi que ce soit, même si le marquis Mario Vargas Llosa avait daigné  protester dans Paris-Match, au lieu de vanter les coups d’Etat néo-nazis comme le fin du fin de la démocratie, les jeux sont faits et le monde de la culture n’est plus beaucoup entendu, ni à Brasilia,ni à Rio, ni à Paris où ceux qui ont accès aux médias bénissent les actes de leur police, les éborgneurs de Castaner…

Le président brésilien, a pu se hisser au poste par des manœuvres dignes du IIIème Reich, et de plus en plus il va y avoir ceux qui cautionnent et ceux que l’on met en prison… ceux qui pensent qu’il y a eu un coup d’Etat en Bolivie et ceux qui reprochent au Venezuela, à Cuba de ne pas être assez démocratiques… y compris dans les colonnes désormais ouvertes, voire béantes de l’Humanité… La question est pourquoi ce genre d’humanisme qui a si bien fonctionné durant vingt ans ne marche plus?

Bolsanaro qui est prêt – lui et son délicieux fiston qui en général dit clairement les état d’âme de papa en la matière – à tirer son revolver quand il entend le mot culture a dû se dire que ça faisait un peu désordre face à son soutien indéfectible israélien.  Le gouvernement israélien, les grandes démocrates du likoud, Liberman et les rabbins fondamentalistes et chez nous le CRIF, n’en sont plus à ça près depuis que partout de l’Amérique latine à l’Ukraine, ils font alliance avec les évangélistes et les Etats-Unis de Trump, celui dont la moitié du cerveau est un tiroir caisse et l’autre moitié le klux klux klan, ça devrait pourtant couiner un peu du côté du mémorial des déportés, mais non un silence de mort…

Si on a pu convaincre les juifs de soutenir les nazis sur toute la planète que ne peut-on réussir en matière de propagande?

Alors pourquoi Bolsonaro a-t-il dû libérer Lula, reconnaître le mensonge sur lequel repose son élection?  Pourquoi n’arrive-t-on plus à entretenir la fiction du miracle Pinochet ? ce n’est pas malheureusement parce que les intellectuels médiatiques ont beaucoup changé, à de rares exceptions prêts, mais parce que partout on commence à avoir des doutes sur le fondement de « leur » démocratie. Il y en a qui se révoltent parce que c’est ça ou crever, il suffit au Chili d’un ticket de métro… Et chez nous, c’est le début, on subodore  que l’on ne se contente plus de créer misère et sous-développement dans les terres de mission du tiers monde, mais que ces gens-là, les gros qui ne savent plus que faire de leur pognon, en ont après nous petites gens des pays occidentaux, qu’ils veulent nous priver de nos droits à la retraite, à la santé, à l’éducation… on se dit que ces gros-là devraient rendre gorge ici et là-bas et ils ont besoin du fascisme officiel où celui qui s’installe sous couvert de démocratie…

On apprenait vendredi après-midi le  limogeage de ce ministre de la culture.

Danielle Bleitrach

 

De Rimbaud, poème à la gloire de la renaissance de Jugurtha

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Le 2 juillet 1869 Arthur Rimbaud âgé de 14 ans va écrire son premier grand poème intitulé «Jugurtha». C’était le sujet du concours de l’académie des Ardennes dont ce génie, connu dans son collège pour rafler tous les 1ers prix, remporta la meilleure distinction. Son poème en éloge à l’Emir Abdelkader sera publié dans la revue académique.

Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha…
Du second Jugurtha de ces peuples ardents,
Les premiers jours fuyaient à peine à l’Occident,
Quand devant ses parents, fantôme terrifiant,
L’ombre de Jugurtha, penchée sur leur enfant,
Se mit à raconter sa vie et son malheur :
‘’O patrie ! O la terre où brilla ma valeur !’’
Et la voix se perdait dans les soupirs du vent.
‘’Rome, cet antre impur, ramassis de brigands,
Echappée dès l’abord de ses murs qu’elle bouscule,
Rome la scélérate, entre ses tentacules
Etouffait ses voisins et, à la fin, sur tout
Etendait son empire ! Bien souvent, sous le joug

On pliait. Quelquefois, les peuples révoltés
Rivalisaient d’ardeur et, pour la liberté,
Versaient leur sang. En vain !
Rome, que rien n’arrête,
Savait exterminer ceux qui lui tenaient tête !….’’

Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha…
‘’De cette Rome, enfant, j’avais cru l’âme pure.
Quand je pus discerner un peu mieux sa figure,
A son flanc souverain, je vis la plaie profonde !…
La soif sacrée de l’or coulait, venin immonde,
Répandu dans son sang, dans son corps tout couvert
D’armes ! Et une putain régnait sur l’Univers !
A cette reine, moi, j’ai déclaré la guerre,
J’ai défié les Romains sous qui tremblait la terre !….’’

Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha…
‘’Lorsque dans les conseils du roi de Numidie,
Rome s’insinua, et, par ses perfidies,
Allait nous enchaîner, j’aperçus le danger
Et décidai de faire échouer ses projets,
Sachant bien qu’elle plaie torturait ses entrailles !
O peuple de héros ! O gloire des batailles !
Rome, reine du monde et qui semait la mort,
Se traînait à mes pieds, se vautrait, ivre d’or !
Ah, oui ! Nous avons ri de Rome la Goulue !
D’un certain Jugurtha on parlait tant et plus,
Auquel nul, en effet, n’aurait pu résister !’’

Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha…
‘’Mandé par les Romains, jusque dans leur Cité,
Moi, Numide, j’entrai ! Bravant son front royal,
J’envoyai une gifle à ses troupes vénales !…
Ce peuple enfin reprit ses armes délaissées :
Je levai mon épée. Sans l’espoir insensé
De triompher. Mais Rome était mise à l’épreuve !
Aux légions j’opposai mes rochers et mes fleuves.
Les Romains en Libye se battent dans les sables.
Ils doivent prendre ailleurs des forts presqu’imprenables :
De leur sang, hébétés, ils voient rougir nos champs,
Vingt fois, sans concevoir pareil acharnement !’’

Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha…
‘’Qui sait si je n’aurai remporté la victoire ?
Mais ce fourbe Bocchus… Et voilà mon histoire.
J’ai quitté sans regrets ma cour et mon royaume :
Le souffle du rebelle était au front de Rome !
Mais la France aujourd’hui règne sur l’Algérie !…
A son destin funeste arrachant la patrie.
Venge-nous, mon enfant ! Aux urnes, foule esclave !…
Que revive en vos coeur ardent des braves !…
Chassez l’envahisseur ! Par l’épée de vos pères,
Par mon nom, de son sang abreuvez notre terre !…
O que de l’Algérie surgissent cent lions,
Déchirant sous leurs crocs vengeurs les bataillons !
Que le ciel t’aide, enfant ! Et grandis vite en âge !
Trop longtemps le Français a souillé nos rivages !…’’
Et l’enfant en riant jouait avec un glaive !…

II. Napoléon ! Hélas ! On a brisé le rêve
Du second Jugurtha qui languit dans les chaînes…
Alors, dans l’ombre, on, voit comme une forme humaine,
Dont la bouche apaisée laisse tomber ces mots :
‘’Ne pleure plus, mon fils ! Cède au Dieu nouveau !
Voici des jours meilleurs ! Pardonné par la France,
Acceptant à la fin sa généreuse alliance,
Tu verras l’Algérie prospérer sous sa loi…
Grand d’une terre immense, prêtre de notre droit,
Conserve, avec la foi, le souvenir chéri
Du nom de Jugurtha !…N’oublie jamais son sort :
III. Car je suis le génie des rives d’Algérie !…’’

Poème traduit du latin – Arthur RIMBAUD