Confession du jeudi : je ne suis pas un auditeur régulier des Grandes gueules de RMC.  Horaires peu adaptés à mon rythme de matinaute, coupures pub à la mitrailleuse, rythme speed. Pas ma came. Depuis quelque temps, je voyais néanmoins buzzer des extraits des interventions d’un syndicaliste de Sud Rail, Anasse Kazib.  Tiens tiens ! Inattendu, me disais-je. Mais après tout, dans une période de lutte sociale, il est normal qu’on entende sur le plateau la voix d’un travailleur en lutte.

C’est fini. Enfin, il est vraisemblable que c’est fini. Même si RMC, pour l’instant, ne le confirme pas, Anasse Kazib ne reviendra pas (voir notre enquête). Deux crimes lui sont imputés : il n’a pas condamné assez fort l’interruption par des grévistes d’une émission des GG à Béziers. Et il a participé, dans une délégation SNCF-RATP, à l’occupation du hall de la CFDT. Comme l’a dit le co-animateur Alain Marschall : « Pour moi, c’est motif d’exclusion. » Autrement dit, Kazib devait choisir : on ne peut pas gueuler à la fois « sur » RMC et dans la rue « contre » RMC.  Le coup de gueule de plateau doit rester sur le plateau. La parole doit être déconnectée de tout acte, la bouche détachée du bras. Or, comme l’a résumé le jeune syndicaliste dans une formule qui témoigne d’une grande maturité sur les medias : « On ne peut pas être une grande gueule au micro et fermer sa gueule dans la vie ».

L’exclusion -probable- d’Anasse Kazib a le mérite de dessiner clairement les limites de l’expression des luttes sociales dans les medias dominants. De préférence, il n’y est admis que par l’intermédiaire de porte-paroles, d’intercesseurs, qui jouent souvent le rôle de punching balls. Quant à l’acteur des luttes lui-même, on veut bien dans le cercle enchanté des gueulards raisonnables le recevoir, bien entendu. On y est même, d’une certaine façon, obligé : question de crédibilité. Mais il sera bien avisé de ne pas être trop éloquent, ou plutôt, de se cantonner à l’éloquence assignée aux prolétaires, du type « coup de gueule » (le fameux « vous êtes un faux Gilet jaune »du directeur de Match Bruno Jeudy à Christophe Couderc, un Gilet jaune à l’argumentation trop articulée). On sait maintenant en outre qu’en cas d’affrontement entre ses camarades de lutte et son media, il devra mettre sa grande gueule au service dudit media. Autrement dit, il n’est toléré que traître. Merci pour la démonstration.

olivier truchot et alain marschall

OLIVIER TRUCHOT ET ALAIN MARSCHALL

Capture écran, Grandes gueules, 21 janvier 2020