Ma gentille infirmière m’a dit ce matin : depuis que je vous connais ça va mieux, avant je me croyais seule et quand je vous ai connue j’ai su que je n’étais pas folle, maintenant il y a les gilets jaunes, ce sont simplement des gens qui se parlent et ils veulent continuer sans être canalisés dans le « débat » tels qu' »ils »le veulent… Nous ne sommes pas des imbéciles. Il faut laisser ce machin et elle a indiqué l’ordinateur… désormais je rentre du boulot et je lis…. Elle me dit ces gens en sont déjà à occuper les étoiles et ils nous laisseront crever dans une planète dévastée par eux, ils sont en train d’inventer des techniques de transformation des corps pour durer mille ans et pour nous on recommencera un mélange de Hiroshima et des chambres à gaz, si nous ne crevons pas assez vite dans des guerres civiles , pour cela il faut qu’ils nous isolent, qu’ils nous laissent penser que nous sommes seuls et qu’ils nous vendent leur politique comme de la publicité trompeuse.
je crois que dans cette volonté de vendre la politique et le communisme comme un « produit sous emballage » il y a une fausse modernité parce qu’il y a la terrible méconnaissance du fait que dans les périodes de transformation, celles où comme nous le dit marx l’inadéquation entre rapports de production et forces production engendre un mouvement puissant qui communique son ébranlement à l’énorme superstructure, représentations, institutions. L’imagination populaire prise dans ce bouleversement invente, rationalise, crée des univers, ce qu’on appelle « complotisme » fait partie de cela. les puissants courent après une légitimité, une orthodoxie et intentent des procès en sorcellerie. Ils s’effraient à l’idée que leur doxa se heurte à l’hérésie, qu’il s’agisse du catéchisme ou des lois du marketing.
ce n’est pas un hasard me semble-t-il si les périodes de développement des forces productives coïncident toujours avec l’obscurantisme et la manière dont il s’agit de canaliser l’imagination populaire, qu’il s’agisse de la période des grandes découvertes et l’inquisition, ses pr, qu’ikocès en sorcellerie (ne pas oublier que Kepler fut issu d’une famille dont on brulait les femmes pour sorcellerie), qu’il s’agisse de la guerre des paysans, de la guerre de trente ans qui vit disparaitre la moitié du continent européen, qu’il s’agisse du XXe siècle et du nazisme comme répression obscurantiste de la rébellion populaire, et aujourd’hui…
mais je vous invite à écouter ce qui se dit… par parenthèse , ce que je vois c’est à quel point autour de moi le communisme est une valeur positive, à quel point tous ceux qui m’entourent le considèrent comme un idéal… A quel point il ne différencient pas l’exigence des gilets jaunes et les valeurs dont je leur parle depuis toujours… je me demande pourquoi je n’arrive pas à convaincre mes camarades que ce chemin existe, il s’appelle la conviction qu’un autre monde est possible, la lucidité face à ceux qui nous exploitent, la folie d’un monde où 26 personnes possèdent la moitié de ce que possède l’humanité, que la fortune de l’homme le plus riche du monde excède le budget de bien des etats qui fournissent d’important contingents à l’immigration, à la mort en méditerranée… Tous les gens que je rencontre et avec qui je discute, je ne m’en prive pas, pensent et doutent, imaginent… Au point que j’ai l’impression que mes propos tombent dans un univers déjà constitué. Il faut aussi lire, beaucoup.
Je suis en train de lire rebelles de EricHobsbawn , un texte sur l’iconographie de la femme et de l’homme dans le mouvement révolutionnaire, je voudrais bien vous le transmettre. pour que vous mesuriez à quel point l’univers du marketing est pauvre en imagination, combien la culture peu apporter, celle issue des rebellions, comme celle des système alternatifs en train de se constituer.
mais voici un texte que vous connaissez peut-être, celui du grand historien italien Carlo Ginzburg, qui vous dira à quel point dans ces temps d’ébranlement un imaginaire est en train de se constituer et comment les inquisitions ont du mal à canaliser de’ telles convictions.
Le fromage et les vers commence à dater un peu et pourtant, c’est comme si le temps sur lui n’avait pas de prise. Sans doute faut-il y voir l’effet de l’indépendance d’esprit de son auteur : son oeuvre semble garder, malgré les années, toute son originalité théorique, méthodologique, épistémologique et même esthétique. Le fromage et les vers est un beau livre et qui se lit avec aisance, avec envie ; mieux, qui se dévore. Beauté de l’écriture et plaisir de la lecture qui, loin de se faire au détriment du contenu, se mettent à son service.
Le fromage et les vers, c’est l’histoire de la petite série des procès intentés au XVIe siècle contre Menocchio, un meunier frioulan, bavard et opiniâtre, remonté contre l’Église et friand de lectures. Au fil du récit, les idées de Menocchio se précisent et traduisent une étonnante vision du monde que Carlo Ginzburg cherche à comprendre et dont il veut trouver les origines.
L’histoire se lit comme un roman. Plus précisément, comme un roman policier. L’analogie n’est pas de moi, Carlo Ginzburg la fait lui-même dans un autre de ses écrits : comme le détective, le chercheur en sciences humaines ne peut atteindre directement les réalités qu’il se propose d’étudier ; aussi doit-il procéder par indices, par traces (Ginzburg, 1989). Et l’auteur invite le lecteur à le suivre pas à pas dans cette quête de connaissance. Il lui expose chacun des « fils » et des « symptômes », chacune des « traces » qui le mettent sur la « piste » de telle ou telle hypothèse. Chaque hypothèse est examinée avec minutie, confrontée aux documents. Les unes sont contredites. Les autres, confirmées, en génèrent de nouvelles. D’autres encore doivent être mises en suspens un temps, le temps d’explorer d’autres voies pour mieux y revenir. Et toujours et sans crainte, l’auteur donne à lire les lacunes de la documentation que le lecteur, qui voudrait en savoir toujours plus, vient à regretter lui aussi.
C’est donc cette quête de connaissance qui constitue la trame du récit ; c’est elle aussi qui en détermine la structure. Ici point de partie ni de chapitre, seulement des points : du point 1 au point 62, chacun marque une étape du cheminement de la recherche. Ici pas même d’introduction ni de conclusion, tout juste une préface qui veut camper à grands traits le décor de l’enquête.
Le livre s’ouvre sur un obstacle : pour l’historien qui veut restituer les cultures des classes « subalternes » ou « populaires », une difficulté majeure : ces cultures, « orales », ne laissent bien souvent de traces écrites que celles, « déformées », laissées par les classes « dominantes » à leur sujet (pp. 7-9). Ainsi notamment des procès de l’Inquisition où la menace de la sanction, les questions, les interruptions et les interprétations des inquisiteurs déterminent largement les dires des accusés. Mais la règle connaît des exceptions qui interpellent le micro-historien, « l’amant des anomalies » qu’est Carlo Ginzburg (Ginzburg, 2006 : 437). Ainsi de la série des procès intentés au XVIe siècle contre Menocchio.
Car si certaines des pages de ces procès sont à lire entre les lignes – quand Menocchio, sur les conseils d’un ami, d’un parent, ou menacé du châtiment de mort, simule son obédience à l’Église – la plupart d’entre elles sont à prendre à la lettre : Menocchio, en toute franchise, nous y livre ses idées, trop entêté, trop désireux qu’il est d’en faire part aux puissants. Et si les questions des inquisiteurs orientent ses réponses, elles sont non seulement toujours prises en compte et rapportées par l’auteur mais elles sont encore réfléchies, reformulées, détournées par Menocchio lui-même qui s’efforce d’y répondre sans trahir sa pensée. Enfin c’est sans compter avec l’intérêt mêlé d’horreur des inquisiteurs qui, par moments, cessent de chercher à le faire avouer des crimes supposés, tentent au contraire de comprendre l’étrange cosmogonie du petit meunier : celle du fromage et des vers.
Au commencement, « tout était chaos, c’est-à-dire terre, air, eau et feu tout ensemble… ce volume peu à peu fit une masse, comme se fait le fromage dans le lait, et les vers y apparurent et ce furent les anges… au nombre de ces anges, il y avait aussi Dieu, créé lui aussi de cette masse en ce même temps » (p. 38). Qu’entendait par là Menocchio et d’où lui venaient de telles idées ? C’est donc pour répondre à ces deux questions que Carlo Ginzburg nous invite à plonger dans la vie du meunier. Nous le situons dans son contexte et dans son entourage, nous le suivons, pas à pas, à la trace, dans ses diverses rencontres, nous lisons ses lectures. Les livres de Menocchio, sources essentielles de son inspiration, semblent s’animer, deviennent comme des personnes qu’il nous faut interroger, comprendre, pour à travers eux comprendre Menocchio. Mais il est encore une autre source essentielle d’où lui viennent ses idées et qui l’amène à s’approprier en le transformant le contenu de ses lectures : la culture orale et paysanne qui est la sienne. Alors pour en saisir les caractéristiques et les significations, l’auteur nous invite au décentrement anthropologique : quand nous serions tentés de comprendre les propos de Menocchio à partir de nos propres catégories d’entendement, il nous amène à les comprendre autrement ; quand à l’inverse, les propos de Menocchio nous échappent, il nous en propose une traduction qui, sans rien perdre de leur sens original, nous les rendent compréhensibles.
C’est donc partant d’un seul individu – plus précisément de ses quelques fragments de vie, d’idées et de pratiques parvenus jusqu’à nous – que Carlo Ginzburg se propose de reconstruire certains éléments de la culture qu’il exprime. Et cela sans jamais gommer la singularité de Menocchio : son opiniâtreté déjà citée, son « énergie morale et intellectuelle » hors du commun (p. 63), son raisonnement d’une « extraordinaire liberté » (p. 107)… Dans Le fromage et les vers, les singularités individuelles ne constituent pas des obstacles à la connaissance du groupe ; au contraire, elles en sont des outils : ici les traits du fort caractère de Menocchio font apparaître de manière exacerbée les « possibilités latentes » de toute une culture (p. 16). Et ce n’est pas tout : aux perspectives individuelles et culturelles vient encore s’arrimer une troisième perspective : celle du contexte social et général de l’époque. La Réforme récente et la récente diffusion de l’imprimerie, les mouvements religieux et paysans du moment, la position sociale propre aux meuniers d’alors… autant d’éléments de contexte – et j’en passe – qui ont favorisé l’émergence et l’expression des idées de Menocchio. C’est là me semble-t-il le tour de force à la fois méthodologique, épistémologique et théorique de ce travail que d’avoir su croiser les perspectives et les causes pour finalement démêler dans l’écheveau ainsi constitué celles d’entre elles qui doivent particulièrement retenir l’attention. Car l’on pourrait, à première vue, être tenté de voir dans les mouvements religieux dissidents de l’époque la cause, si ce n’est unique du moins fondamentale, des idées de Menocchio. Et l’on pourrait être tenté de s’en tenir là. C’est d’ailleurs, à leur manière, ce que font les inquisiteurs qui veulent à tout prix faire avouer au meunier l’influence de supposés complices. Pourtant jusque sous la torture, Menocchio nie : il n’a jamais eu de complices, ses idées lui viennent pour un peu des livres et pour tout le reste « de [s]on cerveau » (p. 92). Carlo Ginzburg décide de prendre au sérieux cette affirmation sans cesse répétée, martelée, et ce malgré l’horizon proche du bûcher. Alors si la Réforme et ses mouvements ont bien contribué à leur émergence, les idées de Menocchio sont d’abord à comprendre comme fruits de la rencontre, du « heurt entre la page imprimée et la culture orale » (p. 70) du meunier, une culture dont les racines plongent dans un passé qui précède, et de loin, la dite Réforme.
Il ne faudrait pas pour autant s’y méprendre et reprocher à l’auteur de verser dans le culturalisme : Menocchio n’est pas le simple support d’une culture qui s’imposerait à lui comme à tous ses autres membres ; il l’alimente, il la modèle, il la confronte aux livres et la manie avec l’étonnante liberté de raisonnement qui le caractérise ; et cette culture qui est la sienne est loin d’être immuable ni même imperméable ; elle circule, elle bouge en traversant les âges, elle s’inscrit dans des rapports de pouvoir qui la constitue, si ce n’est totalement, du moins en partie. Encore une fois, et contre une conception fixiste de la culture, Carlo Ginzburg articule, entrecroise, les dimensions individuelle, sociale et culturelle. Ici les rapports sociaux de pouvoir sont loin de se résumer à une simple toile de fond : le rapport qui s’établit au fil des procès entre Menocchio et les inquisiteurs forme bien plutôt le nœud même de l’intrigue. Et c’est un rapport complexe où les dires du meunier ne sont ni le seul fruit de sa position sociale minorée, ni non plus celui, autonome, d’une culture détachée de tout contexte ; un rapport où l’indéniable supériorité des inquisiteurs rencontre les résistances de l’accusé qui par moments s’applique à déjouer « le mécanisme de l’interrogatoire » (p. 154), qui par d’autres continue de cultiver à l’intérieur et avec acharnement ce qu’il tait pour l’extérieur (p. 155).
Fine articulation des différents domaines et niveaux de significations, à la croisée des théories de l’acteur et de celles de la détermination, de celles de la résistance et de celles de la domination ; combinaison toute singulière de la forme et du sens, où la structure du texte épouse le mouvement de la pensée ; alliage de rigueur et d’invention pour une conception de la vérité à cheval entre l’ordre de la preuve et celui de la rhétorique (Ginzburg, 2003)… C’est sans doute parce qu’il répond de manière intelligente et originale à des problèmes qui n’ont depuis pas cessé d’animer et de travailler les sciences humaines que ce livre garde, malgré les années, tout son intérêt, toute son actualité.
Bibliographie
Ginzburg Carlo (1989), « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », dans Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, [1986], Paris, Flammarion, pp. 139-180.
Ginzburg Carlo (2003), Rapports de force. Histoire, rhétorique, preuve, [2000], Paris, Gallimard.
Ginzburg Carlo (2006), « Sorcières et Chamans », dans Le fil et les traces. Vrai, faux, fictif, Paris, Flammarion, pp. 139-180.
Pour citer l’article
Duclos Mélanie, « Ginzburg Carlo, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du XVIe siècle », dans revue ¿ Interrogations ?, N°18. Implication et réflexivité – I. Entre composante de recherche et injonction statutaire, juin 2014 [en ligne], http://www.revue-interrogations.org/Ginzburg-Carlo-Le-fromage-et-les(Consulté le 23 janvier 2019).
rhodine
janvier 23, 2019 at 10:21
J’ai découvert il y a peu « Le plancher de Joachim » un magnifique témoignage d’un menuisier qui a laissé ses pensées intimes et témoignages de la vie au XIXe sous les planches d’une maison qu’il aménageait: https://www.gregoiredetours.fr/livres-histoire/revolution-xixe-siecle/jacques-olivier-boudon-le-plancher-de-joachim/