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Comment la Nouvelle route de la soie peut métamorphoser l’Asie centrale

31 Juil

http://www.novastan.org/articles/comment-la-nouvelle-route-de-la-soie-peut-metamorphoser-lasie-centrale

Les échanges commerciaux et les relations économiques entre l’Union européenne et l’Asie centrale sont, à l’heure actuelle, bien loin de refléter leur réel potentiel. Que ce soit la distance entre les deux régions, l’absence ou l’insuffisance d’intérêt des européens pour l’Asie centrale, les obstacles sont nombreux avant que cette relation tienne toutes ses promesses. Pourtant les choses pourraient changer.

Car si l’Asie centrale est riche en ressources naturelles, les pays de la région possèdent aussi une grande capacité industrielle et des perspectives intéressante en terme de main d’œuvre. Grâce à sa position stratégique — située au carrefour de multiples itinéraires commerciaux — la région pourrait devenir un véritable pont économique entre l’Asie de l’Est et l’Europe de l’Ouest.

L’Asie centrale est apparue depuis 2013 au cœur des « nouvelles routes de la Soie » qui visent à former un réseau d’infrastructures reliant la Chine à l’Europe, permettant l’accroissement de ses relations commerciales avec le continent Européen. Le projet se traduirait par la construction de nouveaux chemins de fers, de centres logistiques et autres infrastructures routières qui sont actuellement en cours de réalisation en Asie centrale. Pékin finance généreusement ces travaux et crée de nouveaux mécanismes financiers en y invitant les pays d’Asie et d’Europe.
C’est une immense opportunité pour le développement économique de l’Asie centrale et pour son intégration à l’économie mondiale, mais la réussite de ce projet colossal dépend bien sûr de l’intérêt qu’y porteront les européens.

Une longue histoire

Permettant de relier la Chine à l’Europe dès le Ve siècle avant J.-C., la Route de la soie a été le plus vaste réseau de transport de marchandises pendant deux millénaires. Avec l’ouverture des grandes routes maritimes, dont celle de l’Inde par Vasco de Gama, les itinéraires de la Route de la soie déclinèrent avant de disparaître.

Route de la soie Asie centrale

Au XXIe siècle, alors que le commerce entre la Chine et l’Europe devient l’un des plus importants au monde, l’idée de la renaissance de ces routes fait son retour dans les discussions, notamment de la part de Pékin.

A la fin de l’année 2013, le réseau de transport ferroviaire de la Chine est devenu le deuxième plus étendu au monde après celui des Etats-Unis : disposant de plus de 100 000 km de voies ferrées, et un réseau à grande vitesse classé au premier rang mondial. En développant son infrastructure ferroviaire pour le transport, mais aussi comme l’un des moteurs-clés de son économie, la Chine ne souhaite pas se limiter à son propre territoire. Pékin a déjà proposé plusieurs projets de réseaux internationaux qui pourraient la rapprocher de ses principaux partenaires. Le projet de lignes ferroviaires de la Chine vers l’Union européenne — son partenaire commercial le plus important — incarne une ambition prioritaire. Ces lignes, qui font partie du projet de la « Ceinture économique de la Route de la Soie », visent à raccourcir le délai de transport des biens commerciaux et faciliter les relations économiques entre les régions asiatiques et européennes.

Cette nouvelle « Route de la Soie » passera par de nombreux pays qui bénéficieront de retombées significatives. Parmi eux, l’Asie centrale obtient un rôle particulier puisque cette région est le voisin occidental direct de la Chine, et représente la principale alternative aux routes qui passent par la Russie. La réalisation de ces projets devrait consolider les relations économiques entre les pays de la région et la Chine qui s’étaient intensifiées ces dernières années. Quant à l’autre extrémité du réseau — l’Union européenne — , elle n’entretient pas de relations économiques particulières avec les pays d’Asie centrale.

Route de la soie Asie centrale

La dynamique chinoise

Ces projets sont articulés dans la feuille de route de la Commission nationale pour le développement et la réforme (NDRC) publiée en mars 2015, le ministère des Affaires étrangères et le ministère du Commerce de la République Populaire de Chine :

« Le Président chinois Xi Jinping a successivement lancé l’initiative de construire conjointement une Ceinture économique de la Route de la Soie et celle sur une Route de la Soie maritime du XXIe siècle (ci-après dénommées la Ceinture et la Route), initiatives attirant beaucoup l’attention de la communauté internationale… La Ceinture et la Route traversent les continents asiatique, européen et africain, reliant à l’est la zone économique dynamique de l’Asie de l’Est et à l’ouest la zone économique développée de l’Europe, et couvrant nombre de pays avec un grand potentiel de développement économique. La Ceinture économique de la Route de la Soie vise notamment à assurer la liaison économique entre la Chine et l’Europe (mer Baltique) en passant par l’Asie centrale et la Russie, celle entre la Chine et le Golfe persique voire la Méditerranée en passant par l’Asie centrale et l’Asie de l’Ouest, et celle entre la Chine et l’Asie du Sud-Est, l’Asie du Sud et l’océan Indien. (…)
Sur terre, on s’appuie sur de grandes artères internationales et des métropoles riveraines, et on prend pour plates-formes de coopération les principaux parcs économiques, commerciaux et industriels, en vue de créer ensemble des couloirs internationaux de coopération économique, dont le nouveau pont continental eurasiatique, le couloir Chine-Russie-Mongolie, le couloir Chine-Asie centrale-Asie de l’Ouest, et le couloir Chine-Péninsule indochinoise. »

Le projet « La  Ceinture et La Route » (One Belt and One Road) se compose d’un réseau terrestre – la Ceinture économique de la Route de la Soie  — et d’un réseau maritime — la Route de la Soie maritime du XXIe siècle. On parle aussi de « Nouveau pont terrestre eurasiatique » (The New Eurasian Land Bridge) pour désigner les chemins de fer reliant la Chine et l’Europe. Le terme de « nouvelles routes de la soie » est souvent utilisé officieusement pour l’ensemble de ces projets.

L’Asie centrale, partenaire de choix

Singulièrement, c’est la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures qui émerge comme le principal mécanisme financier des projets d’infrastructures au sein de la Ceinture économique de la Nouvelle route de la Soie. Reflétant le caractère régional de la Banque, ses membres régionaux (asiatiques) seront les actionnaires majoritaires, détenant environ 75 pour cent des actions. L’ensemble des pays d’Asie centrale (sauf le Turkménistan) ont signé le Statut de la Banque et sont considérés comme les membres fondateurs. On trouve aussi trois pays européens — l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne — parmi les 10 plus grands contributeurs de la Banque. Cette institution financière est pour l’instant la seule institution qui unit la Chine, l’Asie centrale et l’Europe et son but principal est de financer les projets d’infrastructures mentionnés ci-dessus.

Route de la soie Asie centrale

Pour la Chine, qui est l’initiateur de ces projets, il est essentiel de les réaliser sans rupture et vite, non seulement pour faciliter ses échanges avec l’Europe, mais aussi dans la perspective de former une nouvelle architecture économique et financière à l’échelle mondiale. La vitesse d’exécution jusque-là est impressionnante : l’initiative a été annoncée en automne 2013 et Pékin déjà participe aux grands projets ferroviaires et routiers dans trois pays centrasiatiques — au Kazakhstan, au Kirghizstan et en Ouzbékistan.

La renaissance du ferroviaire

Ces projets sont aujourd’hui dans leurs phases finales. Depuis fin 2014, une ligne ferroviaire de plus de 10 000 kilomètres — soit la plus longue au monde — dessert la ville chinoise Yiwu et la capitale espagnole Madrid par train de fret, en passant par le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l’Allemagne et l’Espagne. Ce rythme montre bien la détermination de Pékin à mettre en œuvre ces projets.

Route de la soie Asie centrale

« Pour la Chine, il s’agit d’un plan stratégique qui vise à réorienter sa géopolitique vers l’intérieur du continent, notamment vers l’Asie centrale et l’Europe, plutôt que vers l’Est et sa côte Pacifique. C’est aussi un projet pour contrecarrer les influences russe et américaine dans la région. C’est en quelque sorte une nouvelle diplomatie chinoise, qu’on peut qualifier de “réalisme institutionnel”, et qui consiste à bâtir de nouvelles infrastructures à l’étranger pour influencer les politiques mondiales», explique Simon Shen, directeur du Global Studies Program, interrogé à l’université chinoise de Hong Kong.

Du côté de l’Asie centrale, la « Ceinture économique de la Route de la Soie » représente une opportunité qui pourrait amener de la croissance économique, une ouverture de nouveaux marchés et une  meilleure intégration à l’économie mondiale. Mais ces avantages sont à contrebalancer avec la crainte de d’une hégémonie économique de la Chine dans la région. Par conséquent, les pays centrasiatiques cherchent aussi à attirer d’autres acteurs de poids pour participer aux processus économiques — l’intensification des relations avec le Japon et l’Inde en sont un exemple. Malgré cette appréhension, les pays de la région s’engagent activement à ces projets afin de recevoir plus d’investissements chinois.

Que fait l’Union Européenne ?

Comme le constate Igor Apokins, spécialiste des relations internationales, l’importance de l’Asie centrale a toujours été définie par son énorme potentiel économique et par sa position stratégique au carrefour d’itinéraires commerciaux. Les pays d’Asie centrale ont une importance émergeante sur la scène internationale et cette région est cruciale pour l’Union européenne parce qu’elle sert de pont économique entre l’Europe et la Chine.

Dans ce modèle tripartite joignant la Chine, l’Asie centrale et l’Europe, l’Union européenne est la moins motivée des trois. Les Européens manifestent leur présence via le projet de Transport Corridor Europe – Caucasus – Central Asia (TRACECA) depuis mai 1993, mais ce programme a largement échoué à transformer les flux régionaux et la connectivité souhaitée entre les pays du Caucase et ceux de l’Asie centrale . D’autre part, un des objectifs essentiels de la Chine pour ce projet – prendre en main le contrôle du transport de ses marchandises vers l’Europe – ne correspond pas aux intérêts européens puisqu’actuellement les itinéraires principaux passent par les zones sous influence européenne ou américaine.

Le développement de grands réseaux de transports en Asie centrale est un dossier  qui touche très directement aux intérêts économiques de l’UE et/ou de ses états-membres. Cela pourrait ouvrir de nouvelles routes alternatives pour les échanges avec son deuxième partenaire commercial, mais aussi aider à l’intensification des relations avec les pays qui se trouvent sur ces routes. Les projets sont déjà initiés par Pékin et la plupart sont en cours, la seule chose est demandée de l’UE – c’est sa participation active à la réalisation de ses projets. L’UE pourrait faire des contributions uniques du côté des investissements, mais aussi des savoirs faires, des technologies et des bonnes pratiques.

La vision européenne de l’Asie centrale est en train d’évoluer vers l’inclusion au rang de « voisins des voisins ». Un tel concept peut aider l’UE à systématiser ses relations avec la région, mais risque aussi de les reléguer à un échelon trop éloigné pour être fructueux — surtout quand on se rappelle que la politique européenne de voisinage n’est pas toujours une politique bien réussie… Cependant, l’engagement de l’UE dans les projets concrets pourrait changer la donne. Dans l’attente d’une décision communautaire, il revient sans doute aux états-membres, intéressés par le projet, de prendre l’initiative et de faire les premiers pas vers sa réalisation.
Sarvar Jalolov
Relu par Alix Ladent et Grégoire Domenach

 

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Publié par le juillet 31, 2016 dans Uncategorized

 

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