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Vel’d’Hiv’. Juliette Gréco: «Ma sœur s’est tue à jamais»

27 Juil

Cette histoire venue de temps qu’à l’inverse des moins de vingt ans j’ai connu; explique le destin que nous nous sommes forgés, nous les rescapées de l’atrocité que l’on veut ignorer aujourd’hui. Cela ne passe pas et ne passera pas jusqu’à notre mort et nous ne voudrions pour rien au monde que d’autres enfants revivent cela (danielle Bleitrach)

Paris Match ||Mis à jour le 

Propos recueillis par Caroline Rochmann
 Juliette Gréco et sa sœur Charlotte.
Juliette Gréco et sa sœur Charlotte.DR

Si Juliette Gréco n’a pas connu la rafle, sa mère, résistante, ainsi que sa sœur, ont été déportées au camp de Ravensbrück.

Je me souviendrai toujours de cette journée de 1943, en Dordogne où nous habitions avec notre mère, une résistante très active qui faisait passer des familles juives en Espagne par le chemin de Bordeaux. J’avais 15 ans et je revenais du lycée avec ma sœur Charlotte, mon aînée de deux ans et demi. En arrivant, nous trouvons la maison dévastée.

Aucune trace de maman mais tous les tiroirs, les objets, les lettres sont éparpillés sur le sol. Nous apprenons par une voisine que maman a été arrêtée dans l’après-midi et emmenée directement à la Gestapo de Périgueux. Ma sœur et moi décidons de nous y rendre. Nous lui préparons une valise avec des vêtements chauds et, dans ma naïveté, je lui confectionne même un gâteau! A la Gestapo, nous sommes reçues par un gradé qui prend la valise, nous pose tout un tas de questions et nous laisse repartir.

Dans la rue, nous avons l’impression d’être suivies. Nous nous nous mettons à courir comme des folles en direction de la gare et sautons dans le premier train. Il allait en direction de Paris. Dans un des wagons, nous reconnaissons l’homme qui nous suivait dans la rue. Nous faisons comme si de rien n’était.

«Des hommes embarquent ma sœur à bord d’un véhicule»

Durant nos quatre premiers jours à Paris, l’homme continue de nous suivre. Le cinquième jour, j’ai rendez-vous avec Charlotte pour prendre une orangeade au Pampam, un café de la Place de la Madeleine. Je l’aperçois traversant la rue pour me rejoindre, lorsqu’une Citroën noire pile juste devant elle. Trois hommes descendent en trombe et la précipitent dans la voiture. Je me mets à hurler, cours vers le véhicule et tambourine à la vitre avec une telle violence qu’ils finissent par m’embarquer aussi.

Direction le siège de la Gestapo situé avenue Foch, dans un hôtel particulier qui appartenait aux Rothschild. Je sais que Charlotte va être interrogée et qu’elle a dans son sac des papiers compromettants. Il faut absolument que je tente quelque chose pour la sauver. Au moment de sortir de la voiture, le type sur les genoux duquel je suis assise me pousse vers ma sœur. J’en profite pour subtiliser son sac, qui se trouve à ses pieds, et l’échanger contre le mien. Au moins, on ne trouvera rien sur elle!

On emmène Charlotte à l’interrogatoire. Moi, on me colle dans un petit bureau où une femme tape à la machine. Je lui dis que j’ai mal au ventre et lui demande la permission d’aller aux toilettes. Permission accordée, accompagnée d’un garde. Dans les toilettes, j’enfonce au fond de la cuvette les fameux papiers de ma sœur puis je tire la chasse d’eau. Je sors de là radieuse, satisfaite de mon travail.

«Ma sœur et moi serons torturées»

Me voici interrogée à mon tour. On me demande ma carte d’identité. Le type qui m’interroge me dit: «Vous ne vous appelez pas Gréco mais Grecovitch, et vous êtes juive.» Je lui fiche une claque, que je vais payer cher. Ma sœur sera torturée avec une grande violence. Moi aussi, avec une grande brutalité. Mais, bizarrement, aujourd’hui encore, cette gifle fait partie des grands bonheurs de ma vie. J’éprouvais un tel sentiment de colère que je n’avais pas peur.

Au petit matin, Charlotte et moi nous retrouvons dans un fourgon cellulaire en direction de la prison de Fresnes. Je partage la cellule 324 avec trois prostituées. Ma sœur est dans la 326. Nous ignorons tout du sort qui a été réservé à notre mère. Nous apprendrons plus tard qu’enfermée dans un cachot huit jours de suite, elle a été emmenée au peloton d’exécution et mise en joue pour la faire parler. Mais elle n’a jamais dit un mot.
On finit par me libérer, parce que je suis très jeune et pas juive. Ma sœur est déportée à Ravensbrück où elle se retrouve dans le même block que Simone Veil, Yvonne de Gaulle et, par le plus grand des hasards, notre mère!

Agée d’à peine 16 ans, je me retrouve seule sur un banc de l’avenue Foch, où l’on m’a ramenée. Je n’ai pas un centime en poche, juste un ticket de métro dont seul l’aller a été poinçonné. Je ne sais pas où me rendre et décide de retrouver Hélène Duc, mon ancien professeur de français au collège de Bergerac, qui était aussi une très bonne amie de maman. Elle lui avait dit un jour: «Hélène, Juliette vous aime beaucoup. Si jamais il m’arrivait quelque chose, ce serait bien que vous vous occupiez d’elle.» Elle lui avait d’ailleurs remis des papiers de notaire.

Je débarque donc chez Hélène, qui joue au théâtre de l‘Odéon et habite une pension de famille, rue Servandoni, dans laquelle on me réserve une chambre et où je trouve beaucoup de tendresse. Hélène Duc se comporte avec moi comme une mère. Je n’ai sur le dos qu’une petite robe bleue marine, une veste très légère et mes chaussures en raphia. Les garçons me donnent leurs vieilles vestes et leurs vieux pantalons et Alice Sapritch, une amie d’Hélène, une paire de chaussures. Je suis en train de me créer un style qui, plus tard, deviendra celui de Saint-Germain-des-Prés!

«Le miracle se produit!»

Je vis comme cela jusqu’en 1945, gardant toujours l’espoir qu’un jour, je retrouverai ma mère et ma sœur. Je commence alors à me rendre quotidiennement au Lutetia où arrivent les déportés survivants. Et le miracle se produit. Ce sont elles, elles sont là! Mais ce sont deux mortes vivantes que je retrouve, et cette horrible odeur de la mort qui émane de leur corps. Je sens soudain un papillon sur mon épaule: c’est la main transparente de ma sœur.
A sa sortie du camp, maman parlera volontiers, voyant de temps à autre ses ex-sœurs de douleur. Charlotte, elle, s’est tue à jamais. Aujourd’hui encore, gare à celui qui touchera au moindre de ses cheveux! Quant à Hélène Duc, qui a aujourd’hui 93 ans, je suis liée à elle par un sentiment indicible. C’est à elle que je dois tout.

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Publié par le juillet 27, 2019 dans HISTOIRE

 

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