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Nature et enjeux des trajets chinois de la psychanalyse en Chine, du temps de Freud. Des questions pour aujourd’hui ? 

03 Fév

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françois Jullien je crois a tenté d’établir des convergences , des points de capiton entre l’attitude recommandée par Freud à l’analyste (« une attention flottante », une opposition qui n’en est pas une pour un chinois dans sa dialectique) et celle si culturellement naturelle au Chinois, Nous sommes devant un monde si énigmatique que personnellement j’ai été tentée de l’aborder par les pratiques divinatoires origine de l’écriture sur les carapaces des tortues… J’avais le sentiment sans doute abusif qu’il y avait là une clé que l’on aurait dû me laisser explorer à mon goût au lieu de m’imposer l’impossible prononciation en prétendant que la langue devait être parlée… C’est un univers dont Olivier Douville nous donne une autre porte mais peut-être n’était-elle que pour lui, à moi qui ne suis que vision il manque l’oreille musicale qui est la sienne pour entendre l’autre mais nous sommes d’accord, il faut refuser l’exotisme, l’orientalisme comme dirait le plus juif des palestiniens E.Said.. (note de danielle Bleitrach)

 

 

Olivier Douville 

(Maître de conférences hors classe des Universités, Laboratoire CRPMS Université Paris Diderot, Association française des anthropologues)

Préambule

Les six séjours que je passa en Chine, dont deux à Taipei, furent le plus souvent consacrés à de l’enseignement, de temps à  autre je menai des supervisions, à Chengdu ou à Shangai d’équipe soignantes en psychiatrie ou de collègues se risquant à la pratique psychanalytique.  Ce fut le professuer Huo Datong, analysant de Michel Guibal puis « passeur » de ce dernier qui m’accueillit en Chine, nou s étions en 2004, et je faisais partie  de toute une palanquée de psychanalystes européens, tous avides de rencontrer un collègue de l’empire du milieu et ses disciples et élèves.

Il y avait de quoi être ému, excité aussi tant la Chine fascine ou  fait peur à l’opinion, tant elle distrait ou occupe un certain nombre  de psychanalystes français. Huo Datong est un personnage obstiné, intelligent, qui est continûment attelé à la tâche de diffuser la psychanalyse en Chine, à partir de l’œuvre lacanienne. Il y parvient.  Psychanalyste et enseignant en philosophie à l’Université du Sichuan, dans la bonne ville de Chengdu, il forme des étudiants  qui, très vite, se mettent à la tâche d’écouter enfants et adolescents en difficultés scolaires graves, le plus souvent,  de plus on les voit fréquenter assidûment les locaux de l’Alliance française où ils apprennent le français pour décrypter Lacan ou Dolto. Ils viennent parfois faire des thèses en France. En retour des psychanalystes français se rendent à Chengdu où ils assurent à chaque fois deux semaines d’enseignement et font quelques supervisions de pratiques aidés par des interprètes dévoués et habiles. Je me suis rendu à l’invitation de Huo Datong en décembre 2006 pour exposer deux semaines durant mes travaux sur l’adolescence des mondes contemporains. Ce fut l’occasion de discussions amples, denses, urgentes qui galopaient à  travers les jeunes terres de la psychanalyse là-bas naissante. J’étais chez eux, ils étaient chez moi. On avait le sentiment que tout commençait. Nous avions besoin de cette solide naïveté pour nous considérer comme des pionniers, ce qui d

Histoire de la psychanalyse en Chine de temps de Freud 1/ Des prémisses jusqu’aux mouvementx d’émancipation

Mais avant nous, bien avant nous et avant ce centre de Chengdu courageux et un peu marginal, les intellectuels chinois n’étaient pas restés indifférents à la Chine, loin de là. Et c’est une part de cette histoire que j’ambitionne de tracer pour vous. Autant le dire en un mot : du vivant de Freud la psychanalyse s’est rapidement diffusée dans le monde entier et tout particulièrement en Asie. Ce sont surtout les éclosions de mouvements intellectuels voulant s’affranchir des tutelles coloniales ou des servitudes archaïques qui se tournèrent vers le freudisme, tenu pour un mouvement émancipateur du sujet individuel et social ; nuançons, cette réception ne s’est pas toujours accompagnée d’un développement de la pratique psychanalytique ou de la fondation d’institutions. La Chine fut plus réfractaire que ne le fut l’Inde (région du Bengale) ou le Japon, où les principaux théoriciens et praticiens réinterprétèrent la notion de « complexe d’Œdipe » en fonction de leurs cultures, apportant à la controverse sur l’universalité de l’œdipe un matériel original qui fut méconnu en retour par les psychanalystes européens.

L’intérêt de l’intelligentsia chinoise pour le freudisme provient du fait qu’elle y voit une discipline émancipatrice. C’était surtout à la langue japonaise qu’étaient empruntés toutes les notions qui parlent de psychisme et d’inconscient jusque dans les années 1920, Ainsi, en 1912, La revue Dongfanfzashi (Revue de l’Orient) qui a publié l’année précédente un article sur la notion d’inconscient sans le référer au sens qu’il prend en psychanalyse (dans un article « Prospérité et ruine de l’Europe et de l’Amérique »), mentionne cette fois-ci le  nom de Freud dans un texte « L’interprétation psychologique de Roosevelt » qui est la traduction d’un article américain.

Deux années plus tard, Qian Zhixiu (1883- 1948), essayiste et auteur d’ouvrages de vulgarisation sur des grands philosophes occidentaux dont Socrate et des hommes politiques dont O. Cromwell et A. Lincoln, publie dans la Revue Orientale une Etude des rêves. Cet article, tout en confondant les thèses de Freud avec les conceptions traditionnelles des rêves où reviennent les fantômes, dégage toutefois l’intérêt de la thèse selon quoi le  rêve est  réalisation de désir.

La revue Dongfanfzashi (Revue de l’Orient) reconduti sonintérêt pour le freudisme et elle mentionne dans un de ses articles la technique de l’association libre, mais il ne s’agit que d’une traduction d’un texte en anglais du Mc Clure’s Magazine portant sur L’ « Interprétation des rêves ».

Un an après La revue Dongfanfzashi (Revue de l’Orient) mentionne le nom de Carl G. Jung dans un article traduit du Japonais par Paochang et qui porte sur le rêve.

Quelques lettrés bénéficient ainsi de maigres lueurs sur la psychanalyse par le truchement de quelques notations disséminées dans des revues qui se veulent au goût du jour, par quelques de traductions embarrassées et marquées de cela que la langue chinoise qui parle de psychologie ne fait qu’importer à sa sauce  des mots que trouve la langue japonaise pour décrire les processus psychiques.

C’est bien en 1921, et nullement avant, que la présence du freudisme va prendre une importance et elle est liée aux mouvements politiques qui coalisent la colère des jeunes intellectuels encore trop assujettis à une stricte bureaucratie d’allure confucéenne. Cette année-là, Zhang Dongsun (1886-1973) publie, en février, dans la revue Minduo (Le tocsin du peuple) un article, « De la psychanalyse », s’il mentionne Freud et Breuer, il ne dit rien de la collaboration entre eux deux, et repère bien ce qu’est le trauma psychique (qu’il traduit par l’expression « blessure du cœur ») la cure de parole, la théorie du refoulement et la censure ; d’autres psychanalystes sont mentionnés dans la bibliographie de ce texte riche de 17 auteurs, dont Ferenczi, Adler, Jung, et Pfister. Zhang Dongsun sera lié aux  réformateurs sociaux à partir des années trente, et l’onp eut voir en lui  le seul philosophe chinois à avoir créer son propre système de pensée épistémologique puissamment bâti aux confluents du bouddhisme et de la philosophie occidentale, notamment celle de Kant et celle de Bergson. Lors d’une cérémonie qui se tint en la Cité Interdite en 1921, il fut nommé par l’empereur Xuan Tong à l’Académie Chinoise. Zhang Dongsun n’est pas trop égaré devant les textes rédigés en allemand ;  bien que non engagé dans une pratique de soin, il repère finement certaines thèses de Freud. Il souligne que, pour le psychanalyste, il n’y a pas une grande  différence entre le normal et le pathologique, aussi écrit-il que «  Freud est parti de la psychiatrie et des traitements pour s’avancer jusqu’à une science  psychologique pour gens normaux ». L’article qui connaît un grand succès est, en revanche, très critique par rapport aux thèses concernant la sexualité infantile. Zhang Dongsun est lié à l’un des inspirateurs du mouvement du 4 mai 1919, Liang Qichao (1873-1929), le plus important chef de file des lettrés réformistes de son époque à qui le philosophe Zhang Junmai (1886-1969) le présenta. Les deux Zhang avaient suivi les enseignements d’un Maître Bouddhiste, Di Xian, à Tokyo, en 1907. Ensuite, et de retour en Chine ils fondent dès 1912 avec Liang Qichao plusieurs revues dont Jiefang Yu Gaizao (Libération et réforme). Ils fondent, au cours de l’automne 1918, l’Association des Nouvelles Etudes qui a pour objectif d’étudier les expériences politiques et idéologiques avancées de l’Europe. Zhang Junmai et Liang Qichao partent en Europe en 1918, après la défaite électorale du  candidat de son parti à l’élection présidentielle. Lors de cet exil, ils étudient les formes politiques de l’état, et projettent d’inviter en Chine des intellectuels, dont B. Russel, H. Bergson, Keynes, Tagore (qui se rendra en Chine en 1924). Le mouvement de mai, initié par des intellectuels progressistes avides de connaissances modernes, met fin à la dynastie mandchoue, prône une forme de patriotisme éclairé pour une Chine moderne tout en se montrant réceptif et même  avide des savoirs occidentaux. La jeunesse chinoise qui s’y implique est également prise par un sentiment d’indignation nationaliste, le traité de Versailles ayant, en 1919, accordé aux Japon les anciens territoires allemands du Shandong et de la Mandchourie au lieu de les restituer à la Chine.

C’est toujours en 1921, à Shanghaï, que 12 intellectuels forment le parti communiste chinois et scellent une alliance avec le Guomindang, parti nationaliste de Sun Yat Sen qui fut, en 1912, un éphémère premier président d’une non moins éphémère République chinoise.

Zhang Dongsun accompagne Bertrand Russel (1872-1970) dans un cycle de conférences données à Shanghai,  à Pékin et, surtout dans la province de Hunan entre octobre 1920 et juillet 1921. S’il s’agit pour Russel de s’interroger sur la modernisation de la Chine, il lui est demandé de prononcer des conférences devant un public éclairé de développer ses idées et d’apporter des connaissances à propos du développement contemporain des sciences occidentales. Sa venue fait écho au mouvement de mai 1919 mais elle a été préparée bien avant par l’Association des Nouvelles Etudes, rebaptisée Etudes communes  et est par elle financée. Fu Sinian (1896-1950) l’un des leaders de ce mouvement rend un hommage appuyé aux principes de la   logique formelle « fondement de la philosophie pratique que nous avons besoin d’emprunter et d’adopter en Chine », il écrit lui aussi une Introduction à la  psychanalyse mais ne va  pas au-delà de cinq chapitres qu’on ne verra édité à Taiwan qu’en 1952.  Russel, quant à lui,  évoque l’inconscient dans la conférence donnée à propos de son livre L’Analyse de l’esprit et qui est intitulée « L’instinct et l’inconscient ». Elle paraîtra en novembre 1922 dans The New Leader (n° 5). Les conférences de Russel étaient intégralement traduites dans les journaux chinois. Russel, fin lecteur de Rivers, voit dans la psychanalyse une technique de la révélation de la vérité et de la vie instinctuelle de l’humain. Sa théorie du refoulement  fait se confondre ce concept avec la notion de répression, mécaniste, elle classe les instincts avec des valeurs positives ou négatives suivant les circonstances. Ainsi, les guerres donnent le plus d’extension au mécanisme de la répression de la peur, etc. Russel qui a étudié l’article de Dongsun dénie également toute valeur à la théorie de la sexualité infantile.

Histoire de la psychanalyse en Chine de temps de Freud 2/ Des esthètes et des poètes

De son côté, Zhu Guangqian (1897-1966) qui a fondé les études modernes d’esthétique en Chine écrit dans la revue Dong Fang Za Chi L’inconscient et la psychanalyse de Freud.

L’année suivante Pan Guangdan (1899-1967)   étudie le narcissisme d’une femme, poétesse de l’époque Ming, Feng Xiaoqing, au moyen de ses œuvres littéraires et de sa biographie. Pan Guangdan est un sociologue, spécialiste des questions de sexualité.

Le rêve chinois, l’écriture chinoise fait rêver Freud et quelques-uns de ses élèves

Faisons un saut en retour en Europe, la Chine fait signe aux psychanalystes regroupés autour de Freud. En 1916 Freud de son  côté , lors des années de guerre, rêve à cette immense civilisation chinoise, qui, bien qu’ayant connu de rudes secousses militaires et de virulentes guerres intestines, lui semble un pays immémorial, loin des conflits. Comme bon nombre d’entre nous, il rêve le Chine en sépcualtnsur son système d’écriture. Ainsi écrit-il, en 1916, dans L’introduction à la psychanalyse : « La langue et l’écriture chinoises, très anciennes, sont aujourd’hui encore employées par 400 millions d’hommes. Ne croyez pas que j’y comprenne quoi que ce soit. Je me suis seulement documenté, dans l’espoir d’y trouver des analogies avec les indéterminations des rêves, et mon attente n’a pas été déçue. » Nous n’en saurons guère plus, plus tard Freud eut le bonheure d’entretenir une correspondance avec un chinois et à peu près au même moment un linguiste français, féru de psychanalyse s’inbéressa à l’écriture chinois. J’y reviendrai

Six années plus tard, Karl Abraham apprend au Comité secret qu’un professeur de Pékin envisage de traduire les œuvres de Freud , qu’il connaît dans leurs versions allemandes et anglaises, mais devrait pour cela créer de nouveaux idéogrammes. Ainsi, les idéogrammes chinois qui symbolisent le « cœur » et la « puissance » devraient se combiner pour traduire « l’inconscient ». Ernest Jones écrit, le 15 février : « De ce que nous savons ici de la renaissance de la pensée dans la Chine moderne, j’inclinerais à penser que la psychanalyse pourrait se propager rapidement dans l’ensemble du pays ; le Verlag doit être ouvert à ce genre d’éventualités, bien que nous ne puissions guère nous attendre à ce que Rank ajoute une section de chinois à toutes les autres tâches dont il s’occupe en ce moment. A ce propos, le sens du mot Herz-Kraft (“puissance du cœur ») ne serait-il pas plus proche de celui de la Libido plutôt que de celui de l’Inconscient ? ».

La chine atemporelle fascine, l’actualité de la Chine indiffère.  En 1927, Marie Bonaparte demande à un sinologue, Georges Soulié de Morant (1878-1955, membre du corps diplomatique français en Chine, un des promoteurs de l’acupuncture), d’écrire deux articles concernant la Chine : un sur les Chinois et les rêves, l’autre sur la psychiatrie en Chine. Le premier de ces articles est paru dans le numéro 4 de la Revue Française de Psychanalyse que dirige alors Marie Bonaparte sous le titre : « Les Rêves étudiés par les Chinois ». L’auteur répertorie les rêves mentionnés dans Mémoires du Coffret de Jade rédigé par Siu Tchenn (né en 239 après J.-C.) Ultérieurement, Maurice Bouvet fera suivre ces rêves de notes personnelles concises. Exemple : le rêve « Un aigle vole » (page 743) : La dame Tchou, épouse de Yo Ro, étant sur le point d’accoucher, rêva qu’un aigle volait dans sa chambre et se posait sur sa tête. Elle mit au monde Ioda Fei qui fut Grand Maréchal et reçu le titre de roi. Bouvet retient la mention : « Rêve de puissance ». Autre rêve : « Arracher les cornes d’un bélier » (page 739) : Au moment où le duc de Prei était encore gardien des rues, il rêva qu’il poursuivait un bélier et lui arrachait cornes et queue.Tann-lo expliqua en se servant des idéogrammes : « Un bélier yang dont on enlève les cornes et la queue, cela fait wang, roi. » Et en effet, plus tard, il devient roi de Rann, pour accomplir ce présage. Bouvet signale : « Rêve de castration du père ». En 1932, Soulié de Morant initiera Antonin Artaud (1896-1948) à la culture chinoise et lui fera expérimenter l’acupuncture

Histoire de la psychanalyse en Chine de temps de Freud 3/ Traduire …, « l’événement Lu-Xun »

Le jeu des traductions commence, jeu qui n’est pas terminé loin s’en faut, quelque que soient les qualités de précision et de hardiesse que représnete la traduction du Vocabulaire de Laplanche et Pontalis à Taiwan, en 2000 par  Shen Zhizhong et Wang Weng[1]

Nus sommes maintenant en 1924 et faisons la rencontre du romancier romancier Lu-Xun. C’est d’abord en tant que traducteur qu’il se rapproche de la psychanalyse. Il  traduit et commente le texte  Kumon no shôchô (Les symboles du désespoir) du critique littéraire et romancier japonais Kuriyagawa Hakuson (de son vrai nom Kuriyagawa Tatsuo 1880-1923) qui lui fera connaître les textes de Freud. Lu Xun traduira ultérieurement un autre roman de Kuriyagawa, Hors de la tour  d’ivoire, ces deux textes traitant de la création littéraire à partir des conceptions modernes de l’Occident. politique, Kuriyagawa qui se réfère à Freud affirme que l’art prend sa racine dans la souffrance et dans ce qui contrarie l’expression immédiate de la force vitale. Dans une société qui voyait dans l’expression graphique et plastique l’expression d’un équilibre harmonieux entre l’homme et son monde, l’idée que l’art pouvait exprimer une lutte et une souffrance psychique était une affiramtion novatrice et troublante. La traduction de Lu Xun aura un impact sur la jeunesse chinoise lettrée

Lu Xun, écrivain,  cherche une réponse à ses questions de « post-lettré » en brisant les modèles traditionnels de la sagesse et de l’initiation, plus exactement en prenant acte de leurs brisures, d’où une revisitation de la cosmogonie et du mythe d’origine, et une adresse à la psychanalyse qui sera  grandement déçue. De son  œuvre littéraire, le moins que l‘on puisse en dire est que  les textes qui la composent fonctionnent  comme un ensemble de questions posées aux nouvelles modalités de subjectivation dans la Chine dont il est contemporain.  Lu Xun est l’exemple même (quoiqu’il soit bien appauvrissant de le réduire ainsi) du sujet en prise avec l’Histoire, avec le temps historique et traumatique des guerres et des défaites, des révolutions et des trahisons mortifères. La vie de Lu Xun est traversée par les premiers bouleversements que connaît La Chine et qui vont la transformer radicalement. Dans sa préface à deux textes de Lu Xun : « Le journal d’un fou » et « La véritable histoire de Ah Q », Jean Guiloineau nous rappelle que Lu Xun est âgé de 19 ans quand éclate la révolte des Boxers, qu’il a 30 ans quand chute l’Empire, 38 ans lors du « Mouvement du quatre mai », et 40 ans à la fondation du Parti communiste chinois[2]. En octobre 1936, il meurt, un an après la fin de la Longue Marche qui se conclut par l’arrivée de Mao Zedong à Yan’an.

Par ailleurs, il est clair que la démarche intellectuelle de Lu Xun – et sa façon même d’aller au-devant de ce que l’Occident bouleversait en son sein, en donnant jour à des savoirs nouveaux, dont la psychanalyse – ne participe pas d’une volonté d’assimiler simplement l’Occident et de le rendre inoffensif pour un chinois « classique ». Pas d’indifférence chez lui, du moins au début. Mais, au contraire, la recherche d’un possible point d’appui dans des savoirs autres et dans des modes inédits de parler de l’étranger intime et du réel pulsionnel. Lu Xun cherche une réponse à ses questions de « post-lettré » en brisant les modèles traditionnels de la sagesse et de l’initiation, plus exactement en prenant acte de leurs brisures, d’où une revisitation de la cosmogonie et du mythe d’origine, et une adresse à la psychanalyse qui sera, on le sait, grandement déçue. Il y aurait donc là pas mal de problèmes ou de malentendus à faire valoir et à travailler encore

Histoire de la psychanalyse en Chine de temps de Freud 4/ La réception des psychologues

La réception de la psychanalyse en Chine va aussi suivre des voix bien plus académiques, où elle a souvent couru le risque d’être réddutie à une technique psychothérapeutique ou à une psychologie simplifiée. En 1925, Le psychologue Gao Juefu (1886-1968) fait paraître un survol critique des thèses de Freud. Gao Jeufu, qui a enseigné à Chengdu après avoir été envoyé étudié la pédagogie à Hong Kong, travaille comme psychologue à Shanghai et Nanjing. On lui doit la première traduction d’un texte de Freud, la conférence « Origine et développement de la psychanalyse », prononcée à la  Clark University. Cette traduction sera publiée en deux fois dans Jiao

La fin des années 1920, est un temps fort, de la traduction de l’œuvre freudienne en chinois. En 1929 paraît la raduction de la Selbsdarstellung (Présentation par moi-même)  de Freud par Hsia Fu-Hsin, souvent tenue à tort pour la première traduction de Freud en chinois. La même année paraît également une traduction de Psychologie des masses et analyse du moi par Xia Fuxing, à Shanghai, ce qui s’explique aussi par  l’estime en laquelle sont tenus en Chine les travaux du sociologue Le Bon, une source importante de cet essai de Freud.

De son côté, Zhang Dongsun rédige, après celui de la philosophie européenne son ABC de Psychanalyse où il passe en revue les concepts de base des théories de Freud, de Jung et d’Adler. Les lapsus et les oublis de mots constituaient pour l’auteur des avancées qui « dépassaient le pouvoir explicatif de la psychologie générale ». Zhang Dongsu cite Freud en appui de son propre système moral qui vise à rétablir un équilibre et une harmonie traditionnelle dans le système social de la Chine de son temps, en éradiquant le meurtre et la prostitution par un entraînement à la discipline de la sublimation. Cette collection « ABC » est destinée prioritairement  aux écoles secondaires. Elle est entreprise militante afin de   généraliser et permettre à chacun d’entrer dans ces nouveaux savoirs et d’affranchir ces disciplines de l’emprise de la classe des lettrés ». Le texte de Zhang Dongsun est précis, serré et presque encyclopédique, un glossaire des notions fondamentales de la psychanalyse est proposé en chinois. L’auteur refuse toujours de souscrire aux thèses freudiennes cardinales concernant la sexualité infantile.  Ce livre est dédié à l’âme de Liang Qichao.

Histoire de la psychanalyse en Chine de temps de Freud 5/ le politique à nouveau

Un autre contact chinois se noue avec Zhang Shizhao (1886-1973). Né à Whuhan, cet homme est un lettré et un juriste. Engagé politiquement très tôt, participant aux évènements contre la Russie, arrêté souvent, emprisonné parfois, sa vie est d’errance féconde entre la Chine, le Japon et l’Europe. C’est sur un bateau de retour vers la Chine et quittant l’Europe qu’il  découvre avec passion Totem et Tabou. Il déchiffre Freud avec passion. Nommé en 1924, Premier Ministre, chargé des questions d’éducation, il quitte son poste en 1927 Il a occupé des positions importantes dans le gouvernement chinois avant et après la révolution de 1949. Hautement représentatif de ces intellectuels chinois qui voient dans les sciences humaines occidentales des ferments d’émancipation d’une population et d’une élite enkystées dans des traditions et des modes de pensée pétrifiées,  Il fut le seul chinois à correspondre avec Freud. Il écrit à Freud une lettre enthousiaste, militante où il indique que chaque famille chinoise devrait posséder un livre du psychanalyste et demande ce que la psychanalyse pourrait faire pour la Chine. Sa fille, Zhang Hanzhi, sera le  professeur d’anglais de Mao-Zedong. Réponse de Freud à Zhang Shizhao, en mai :  « Très estimé Professeur, Quel que soit la direction que prennent vos intentions, en frayant une voie pour le développement de la psychanalyse dans votre patrie – la  Chine, ou en donnant  des contributions à notre revue Imago dans  lesquelles vous mesureriez nos hypothèses concernant les formes d’expression archaïques au matériel de votre propre langue, j’en serai fort heureux. Ce que j’ai  cité dans mes travaux sur la Chine provient d’un article de la onzième édition de l’Encyclopedia Britannica. »

Histoire de la psychanalyse en Chine de temps de Freud 6/   Traduire encore ……

En 1930,  Zhang Shizhao, traduit à son tour la Présentation de Freud par lui-même (1925) qui paraît à Shanghai (The commercial Press). Sa traduction s’appuie sur le texte allemand, à la différence des traductions de Gao Juefu qui en passent par les versions anglaises des textes de Freud. La lettre qu’il a reçue de Freud datée du 27 mai 1929  servira de préface à cette traduction.

Zhu Guangqian a quitté Hong Kong où il était étudiant en 1925 pour un périple européen d’études en esthétique (Edimbourg, Londres, Paris et Strasbourg où il est nommé Docteur). D’Europe il écrit deux livres qui sont publiés en Chine, à Shanghaï : Les écoles de la psychologie pathologique et La psychologie pathologique. Il y présente les théories de Janet, Freud, Jung et Adler.

Les écrivains ne sont pas en reste et Guo Moruo (1892-1978, écrivain et homme politique) écrit un livre de  souvenirs d’enfance  Wo de you nian ; mon enfance) qui sera  publié en 1931 à Shanghai  aux Editions de Wenyi. Fait rare, il mentionne la psychanalyse en rapport à son propre vécu enfantin et il parle tout particulièrement des hallucinations  acoustiques de son père, en commentant ainsi : « c’est   l’effet de l’inconscient se projettant en l’extérieur »

En 1931, Gao Juefu traducteur de L’introduction à la psychanalyse et, ultérieurement, – il traduira en 1933, des Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse – rédige  une revue critique sur Freud et   en 1931, un article sur ce dernier « Critique de Freud et de la psychanalyse ». S’il adhère à l’idée d’une causalité psychique, tout comme Zhang Dongsun il critique vivement la théorie freudienne de la sexualité. Pour autant le rôle de Gao Juefu sera important dans la diffusion du freudisme en Chine tant son refus de toute psychologie trop objectiviste, et c’est ce qui lui fait tenir à la psychanalyse, rend possible la pensée de la causalité psychique et le rapprochement entre psychopathologie et vie quotidienne. De plus, sa position de vice-doyen de l’Université de Nankin donne à ce qu’il retient des thèses freudiennes une audience importante. C’est de tous les diffuseurs du nom de Freud celui qui aura la plus vaste audience et la plus ferme autorité.  1933 Gao Juefu publie sa traduction des Conférences sur la psychanalyse

Si les psychologues dont, au premier rang desquels Gao Juefu, tentent d’adapter la portée de la psychanalyse à une psychologie académique, les écrivains souvent penseurs du politique  ou militants, entendent plus finement ce que serait alors la force émancipatrice de la  psychanlyse. Penseurs du conflit politique, ils portent tout leur intérêt à  ce qui surdétermine conflit psychique et lutte politique. Sont-ils en cela des précurseurs d’un Lacan assennat que l’inconscient c’est le politique ? Ils ont en tout cas parfaitement reçus  cette base de la pensée freudienne du moi qui indique que la psychologie individeulel est aussi une psychologie sociale. Ce qu’ils ont compris, bien plus nettement et mieux que bine des doctes universitaires est que certaines des thèses « sociales » ou « anthropologiques » de Freud permettent de situer ce que serait un sujet du politique – modernité du sujet qui émerge et insiste dans l’actuel de leur temps,   et dont ils font une figure de la modernité. Ye Qing, de son vrai nom Ren Zhuoxuan (1896-1990) polémiste et ex-dirigeant des jeunesses communistes en rupture de parti – il rejoindra les rangs du Guomindang – défend les recherches de Freud contre un ensemble de procès issus des représentants de la psychologie behavioriste (dont Guo Renuyan et Huang Weirong). Depuis la création d’une société chinoise de psychologie, en 1921, et d’un Journal chinois de psychologie, où l’on ne dénombre que 4 articles traitant de la psychanalyse en 4 années de parution, et en dépit des efforts de quelques intellectuels et psychologues chinois, la psychiatrie et la psychologie en Chine sont alors étroitement marqués de behaviorisme. Ye Qing renoue avec la façon dont peu de temps avant lui des intellectuels et des figures politiques ont accueilli les thèses de Freud ou, du moins certaines d’entre elles. Il souligne l’analogie entre le rêve et la création littéraire laquelle constitue, selon lui, une suite organisée de rêve et d’hallucination écrite. Il a publié de nombreux textes sur la philosophie occidentale et sur le matérialisme. Défendant la thèse de la réconciliation dialectique de la matière et de l’esprit, il prône la réunification du PCC et du Guomindang et de leurs armées. L’éloignement géographique et intellectuel de ce grand esprit qui suscite la méfiance du pouvoir et de l’opinion ne permet pas une grande diffusion ni une grande influence des prises de positions pro-freudiennes éclairées dont il fait montre.

Histoire de la psychanalyse en Chine de temps de Freud 7/ Des psychanalystes européens s’établissent en Chine

Dès les années trente, il se fait un tournant la Chine accueillera des psychanalystes européens, ce détour par la Chine, s’accentuera avec à la fin des années trente en raison des menaces que nazisme fait peser sur bien des psychanalystes européens

Fany Halpern (1899-1952), missionnaire et médecin allemand fut invitée en Chine en 1933 afin d’enseigner au Collège de Médecine de Chine à Shanghai. Elle fit ensuite des exposés et donna des cours à la St. John University  et au Collège Médical des Femmes Chrétiennes, toujours à Shanghai où, en 1935, elle dirige le premier hôpital psychiatrique moderne de la Chine. Elle introduit dans ses indications thérapeutiques et ses pratiques cliniques un zeste de freudisme très humaniste. Elle développe un Comité d’hygiène mentale à Sahangaï ou des bénévoles  travaillent dans divers lieux de soin psychique et de guidance infantile. Son activité de publication est intense, de loin en loin, quelques mentions sont faites à la psychanalyse.

Puis, en 1936, Richard S. Lyman (1891-1959), formé à l’Université Johns Hopkins, passe un an à travailler dans le laboratoire de Pavlov en Russie, puis une année à l’Hôpital de la Croix-Rouge de Shangai ; il devint ensuite directeur de l’Unité de neuropsychiatrie au Peking Union Medical College (Pékin), de 1931 à 1937. À Pékin comme à Duke University, il s’assura que ses étudiants lisent Pavlov et peut-être davantage encore Vladimir Mikhaïlovitch Bechterev (1857-1927). Il importa de plus au Peking Union Medical College le savoir neurologique allemand, notamment les travaux de Leo Alexander. En fait, ce savoir médical allemand, autrefois si dominant en Occident, avait déjà été importé au Peking Union Medical College car, selon Bullock en 1920, la bibliothèque de ce collège « comportait 50 000 thèses allemandes » ; mais on peut se demander combien d’étudiants chinois en médecine pouvaient réellement les lire et les utiliser. Un collègue de Lyman, Bingham Dai (1899-1996), fut influencé par la formation psychanalytique qu’il reçut aux Etats-Unis avec Harry Stack Sullivan, avant d’aller au Peking Union Medical College de 1935 à 1939 (même s’il ne devint pas un analyste accrédité) ; toutefois, il avait fait sa maîtrise et son doctorat de sociologie à l’école de Chicago et son mémoire portait sur la dépendance à l’opium à Chicago ! Dai est devenu le premier psychothérapeute chinois formé à la psychanalyse, exerçant à Pékin, il pensait comprendre les problèmes de personnalité en les situant dans leur contexte socioculturel. Il lui fallut quitter la Chine suite à l’invasion japonaise, à la fin des années trente.

En 1939, Adolf Josef Storfer, qui fait partie des dix-huit mille réfugiés germanophones à Shanghai fonde la revue die Gelbe Post, qui, trait d’union entre ces émigrés de fraîche date, donne toutes les deux semaines des nouvelles du Vieux Monde et des sciences humaines dont la psychanalyse et la linguistique et fourmille d’informations sur la vie à Shanghai, l’histoire et la culture de la Chine, la politique au Japon, la situation en Mandchourie. La Chine reste jusqu’en août de cette année le seul pays au monde qui permet aux juifs d’immigrer en ne les soumettant pas à de pénibles et longues formalités administratives  ailleurs, les délais  atteignent au moins deux mois

Histoire de la psychanalyse en Chine de temps de Freud  8/Psychologies et écrivians ont un rapport différent au freudisme

Tout au long de ces années qui voient des psychanalystes ou des soignants européens férus de freudisme s’établir en Chine, l’intérêt des psychologues  et des écrivains chinois pour le corpus freudien ne faiblit pas. férusGao Juefu publie sa traduction des Nouvelles Conférences sur la psychanalyse. Cette traduction et de même l’ensemble de ses versions est indirecte et elle  s’appuie sur la traduction anglaise.

Lu-Xun,  de nouveau,  évoque Freud dans la préface des Contes anciens à notre manière  « Encore n’ai-je utilisé que les théories de Freud pour expliquer la genèse de la création (création de l’homme et création littéraire »). Il semblerait que Lu Xun ait été déçu par des vulgarisations  trop commodes de la théorie de la sublimation réduisant tout à fait celle-ci au confort adaptatif, aux félicités de l’art « bourgeois ». En  hyper-singularisant le destin de la pulsion, un tel affadissement théorique rend peu discernable, voire  incernable, ce qu’il y a de collectif dans le rapport de chacun à l’inconscient.  Lu-Xun, tout comme bien des littérateurs de son époque s’intéressera grandement à la métapsychologie des pulsions et de leur destin sans pour autant souscrire au cœur même du freudisme, soit la théorie de la sexualité infantile

La pièce de théâtre L’Orage, rédigée en 1933 par Cao Yu (de son vrai nom Wan Jia Bao, 1910-1996) et publiée en 1934 dans Wenxue Jikan  (la Revue trimestriele de Littérature), fut interdite pour outrage public à la pudeur par les autorités chinoises car il y était question d’une passion amoureuse entre le héros et sa marâtre. Le théâtre parlé, en opposition au théâtre traditionnel, chanté,  de Cao Yu a pour thème favori est le disfonctionnements de la société et de la famille chinoise. Traduite en japonais et jouée à Tokyo en 1935, L’Orage  fait l’objet d’une critique très élogieuse de l’écrivain et homme politique chinois Guo Moruo (1892 -1978): « « ce théâtre est une oeuvre excellente, précieuse…il semble que l’auteur fait preuve d’une maîtrise exceptionnelle sur la psychiatrie, la psychanalyse etc… ». En avril 1936, la pièce pourra être rejouée à Shangaï où elle connaît un succès immense

Enfin, en 1939,  L’écrivain Shen Congwen  (1902-1988) qui fut secrétaire du seigneur de la guerre Chen Quzhen, et à ce titre témoin de tortures et d’exécutions,  devint une figure majeure de la littérature du 4 mai 1919, se défie de l’attrait qu’exercent certaines pensées occicdentales sur les révolutionnaires de 1919. Il rassemble flèches et acrimonies en 1928 dans Le Journal de voyage d’Alice en Chine, méchant petit livre visant à ridiculiser les intellectuels chinois séduit par l’Occident. Il n’en est pas moins perméable à tout un courant de vulgarisation des thèses de Freud (on trouve de nombreux articles dans des revues telles L’Etudiant, Le Lycéen, etc.) ce que reflète son roman  Xiangxi qui, à  partir d’une étude de la sexualité féminine, traite du suicide des femmes dans les grottes, en les expliquant à partir du refoulement des émotions et de la vie psychique au profit d’une adoration mortelle pour le Dieu des grottes. Un tel livre rend bien compte de la diffusion psychologisante du freudisme en Chine.

9/ Depuis

Puis l’histoire chinoise est entrée dans l’Histoire, à tout jamais. Le Maoïsme a bâti sa censure, il a pu nourrir de temps à autre la population, mais il a condamné la pensée, pas uniquement s’acharnant sur la psychanalyse dont le Timonier se contrefichait, mais aussi répudiant et réprimant le bouddhisme, le confucianisme et le taoïsme. Peine perdue. Pour Huo Datong, professeur à Chengdu, s’est joué l’appel au grand départ, le transfert sur le texte de Lacan, le voyage, enfin, à Paris et la rencontre de son psychanalyste et maintenant ami, Michel Guibal. Un psychanalyste épris de la culture chinoise, de la langue et de l’écriture de ce peuple et sur les épaules de qui a reposé, du côté français, une rencontre organisée en 2004 sous le nom de l’Inter-Associatif européen de psychanalyse entre psychanalystes chinois et européens. Histoire de transmission tout autant. Huo ne triche pas, surchargé et surmené, avec le souffle de Lacan dans ses voiles, il ramena, on pourra dire rapporta, la psychanalyse à l’Université. Un mot sur la rencontre de 2004. Différence de culture, certes, différences de génération tout autant, car si dans nos anciens pays un rassemblement de psychanalystes évoque un peu trop la maison de retraite, on voit que dans la Chine du Sichuan, cette noble discipline ressemble à un sport de jeunes. Il me revient que Huo avait désiré donner comme sous-titre à cette rencontre « L’inconscient chinois ». Cela ne se fait pas. Les Français furent contrariés. Mettez-vous à leur place, il est si simple de penser que l’inconscient parle français. Quelques personnes déclarèrent alors que l’inconscient parle toutes les langues. Un vent d’œcuménisme passa. On se rabibocha avec la notion de signifiant et un champ s’ouvrit qui fit enfin évoquer l’écriture et la lettre. J’évoquerai aussi qu’à la pause du repas de midi, on voyait nombre de nos amis chinois s’éclipser une fois englouti l’ordinaire – pas mauvais du tout – et s’en aller baguenauder dans les temples que chaque recoin des alentours recélait. De cette manière, ils passaient de la vieille Europe à la Chine ancestrale, de Lacan à Bouddha, ou plus encore Confucius – il a ses temples – ou plus encore Lao Tseu – qui a aussi ses temples, en nombre. Méfions-nous ici du terme de syncrétisme. La Chine ne trie pas, elle absorbe par endosmose et capillarité et, ce, dans un mouvement irrépressible de trouvailles et de re-trouvailles des héritages naguère, mais cela semble jadis, méprisés et bannis.

La psychanalyse est-elle pour Huo cet invraisemblable et nécessaire véhicule qui fait se parler les catégories de pensées d’hier avec celles d’aujourd’hui ? C’est comme s’il fallait non pas édifier la psychanalyse sur le socle des savoirs philosophiques acquis, et en les bousculant et les réduisant parfois comme le fit si habilement le magicien Lacan, mais créer un vaste ensemble où se réfléchissent les monuments de la pensée, sans encore les fondre en un système. À ce régime, la psychanalyse orthodoxe connaît ses résurrections là où elle a ses évanouissements. L’idée de rupture épistémologique n’est pas pour le vénérable et amical Professeur Huo à l’ordre du jour. Et pour ces élèves moins encore qui acclimatent dans le même élan les formules de la sexuation aux combinaisons du Yin et du Yang. À vue de nez, du Lacan chop-suey ou du Freud sauce aigre-douce. À vue de nez seulement car il se joue autre chose.

Freud ou Lacan, Freud et Lacan reconsidérés du haut des promontoires taoïstes, des brisants confucianistes ou des caps d’avancée bouddhistes, mais ce sont des vraies constructions. Multiformes, océaniques, peu soucieuses des contradictions frontales, elles ont l’enchevêtrement des polypiers, l’extravagance des pagodes, la majesté des temples. Une dynamique étale là ses problèmes. Ce n’est pas de la solidité, mais c’est plus. L’honorable professeur Huo donne, dans ce bon livre d’entretiens, la raison de tels affouillements et de tels raccommodages. C’est qu’il a compris, chose que nous perdons de vue, faute de souffle ou de moyens conceptuels, que la psychanalyse était vouée à jouer un rôle dans la culture. Et dans la culture chinoise précisément. Il voit alors son divan, et de même celui de ces jeunes praticiens qu’il forme, comme un lieu de libération de la parole et de la pensée. Renouant avec l’idée qu’une cure permet l’extension du pensable et du dicible, il envisage ce que vaut cette parole libre pour le monde actuel. Là où il vit, travaille et transmet. D’où des prises de position publiques dont on mesure mal le courage et dans lesquelles il avance que la Chine tout comme la psychanalyse a besoin de démocratie. Il range cette position d’intellectuel sur la partie visible et solide de son exercice de psychanalyste. La gauche freudienne retrouverait-elle en Chine ses espoirs ? Ou, face à l’inclémence muette des bureaucraties totalitaires, notre collègue plaiderait-il pour un nouvel âge d’or d’un mandarinat guidé par des Lettrés éclairés ? Reich et Fenichel ou Confucius et Mencius again ? Laissons à Huo Datong le mot de la fin : « Je pense aux intellectuels chinois qui pourraient être les premiers à s’allonger sur mon divan de bambou. Les politiciens devraient être des relais de la pensée façonnée par les intellectuels. Pour atteindre ce but, il faut d’abord pouvoir parler librement dans un espace psychanalytique. Les contradictions puissantes auxquelles tout le monde est confronté – éducation, tradition, histoire, morale, influence étrangère… – doivent être assimilées avant de choisir en conscience une voie harmonieuse ; choisir c’est renoncer, n’est-ce pas ? La Chine va devoir renoncer à certaines pesanteurs afin de choisir un glorieux destin pour les décennies à venir. »[3].

En cela Huo Datong n’est pas si éloigné des intellectuels chinois des années vingt qui firent grand cas de ce que pouvait leur apporter la psychanalyse, en illustrant une démarche d’appropriation sans la mettre en conflit avec un héritage culturel autochtone hautement revendiqué.

Offre analytique et modernité

A ne pas analyser la subtilité farouche et dialectique de la démarche, typique d’une intelligentsia chinoise, ne risque-t-on pas, trop vite, avec notre tenace analphabétisme occidental, croire rencontrer ce qui serait l’éternité d’une culture chinoise, alors que l’émergence inédite d’une demande de consultations psychanalytiques et psychothérapeutiques est un effet de la modernité chinoise et de l’entrée de la Chine dans le marché globalisé. La possibilité de se reconnaître comme sujet responsable et séparé de ses arrimages coutumiers– ce qui est à la racine même d’une demande d’écoute adressée à un psy- suppose aussi une modification du statut économique et du statut familial qui fait de l’individu un sujet en quête de ses déterminations internes. Il se produit dans l’ouverture décisive, sinon socialement assumée, de la Chine au capitalisme, un véritable marché du soin psychique ce qui fait que les Chinois sont, comme de nombreuses populations de notre globe, intéressés à des pratiques de soin psychique qui font rupture avec lesdites « thérapies traditionnelles ». Certes, ces dernières existent toujours mais à côté d’autres formes modernes de thérapies, dont la psychanalyse parfois exercée à Beijing, Xian, Shanghai ou Canton et, tout particulièrement, à Chengdu (Sichuan) autour de Huo Datong.

D’autre part, la Chine,   est aussi un marché pour la psychanalyse occidentale et de grandes caravelles et caravanes de la colonisation freudienne, jungienne ou lacanienne ne manquent pas d’appareiller pour les lointains rivages de l’« Empire du Milieu ».

Cela étant les techniques comportementales, visant à l’autonomisation de l’individu mais dans une programmatique d’adaptation des plus étroites aux exigences du bien vivre de la middle class ont aussi le vent en poupe en Chine

La question insiste : le passage de la psychanalyse par la Chine fut en bonne part loupé, et rapidement réfrigéré puis il semble maintenant trop vite consommé tant les entreprises de décervelage missionnaire ne manquent pas. Or ce passage, donc, est-il fait d’applications besogneuses de la psychanalyse académique aux réalités cliniques et aux élaborations théoriques chinoises ou a-t-il quelques chances de nous permettre de  soulever-t-il et d’affronter des défis sans doute aussi importants, sinon davantage encore, que ceux que ce livre élégant expose? On énumérerait ici, avec le Pr. Huo Datong [4] et R. Lanselle[5] la dimension politique de l’existence de la psychanalyse dans un pays fort peu démocratique encore, ou avec Huo Datong toujours, mais aussi  le Pr. Meng de Canton ou le Pr Jenyu Peng[6] de Taipei en encore R. Abibon ou M. Guibal, la question de l’écriture non alphabétique et de son lien avec les formations de l’inconscient. Il est ici à redouter que des volontés expansionnistes venant de nos institutions et/ou que la main mise de l’Etat chinois sur l’ensemble des psychothérapies n’en viennent d’un côté comme de l’autre à broyer dans l’œuf l’urgence naissante de telles questions.

Refuser l’exotisme

Aux psychanalystes occidentaux tentés par la Chine de ne pas céder à la tentation de l’exotisme. C’est un vrai défi  pour notre pensée d’aller vers une culture qui ne carbure pas au mythe œdipien et dont l’écriture se situe dans une autre rigueur et une autre structuration que celle de l’écriture alphabétique.

La transmission de la psychanalyse en Chine est une histoire qui commence, elle n’est pas sans passé, mais il est clair que c’est du moment où la psychanalyse sera réinventé en Chine par les psychanalystes chinois eux-mêmes, s’ils démurent fidèles à cette base cardinale qui voit dans la psychanalyse et le nom d’une cure et le nom d’un processus d’investigation de la vie psychique dans son expression sociale, qu’elle inventera son vocabulaire. C’est ce mouvement qui importe. Je crains ici qu’une fascination toute superficielle pour la dite « pensée chinoise » soit une façon chère à quelques psychanalystes occidentaux, à la fois spectateurs ravis d’un monde d’hier et missionnaires impétueux, de résister à la dynamique qui se joue actuellement et qui ne pourra se déplier qu’en s’éloignant d’un pragmatisme à courte vue et d’un folklorisme moribond.

De notre côté, cheminer avec nos collègues chinois ne se fera qu’en abandonnant tout paternalisme, toute gourmandise indue pour un supposé “inconscient chinois”, en laissant les débats, les confrontations et les disputatio se faire jour. Il n’est ni logique ni éthiquement probant de penser une éternité de la Chine, fermée au discours critique, indifférene à la psychanalyse et non soucieuse de produire du concept neuf.  La valeur allusive tant prônée par F. Jullien est un des styles de la pensée chinoise,  un des styles seulement, car la Chine a connu aussi des périodes de vifs débats et de vives polémiques[7] qui secouérent la Bureaucratie céleste – institution si bien nommée par E. Balazs [8]

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[1] Jingshen fenxi cihui, Taibei, éditions Xingen.

[2] Luxun, Le journal d’un fou suivi de La véritable histoire de Ah Q, Paris, Stock, dernière édition, 1998.

[3] Huo Datong, La Chine sur le divan, entretiens avec Dorian Malovic. Paris, Plon, 2008.

[4] on lira la thèse centrale du Pr,  Datong in « L’inconscient est structuré comme l’écriture chinoise. Le clivage de l’inconscient » in Psychologie Clinique, 15, printemps 2003 PP 221-231. Ce texte est suivi d’un commentaire de R. Abibon « Réponse à Huo Datong » pp 232-235.

[5] « Les mots chinois de la psychanalyse » Premières observations, Essaim. Revue de Psychanalyse, 13, Toulouse, Eres, 2004

[6] Responsable scientifique du groupe d’anthropologie clinique « Les Voix » Academia Sinica, Taipei.

[7] Eloge de l’anarchie par deux excentriques chinois. Polémiques du troisième siècle traduites et commentées par Paul Lévi,  Editions de l’Encyclopédie des nuisances, Paris 2004

[8] Etienne Balazs, La bureaucratie céleste, Paris, Gallimard, collection « Tel » 1968.

Publié il y a 4 days ago par Olivier Douville

 

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