Dernier survivant du groupe Manouchian, Arsène Tchakarian vient de mourir. Nous publions ci-dessous un entretien qu’il avait accordé à l’Humanité en 2009, à l’occasion de la sortie du film « L’Armée du crime ». Que pensez-vous du film de Robert Guédiguian ? Arsène Tchakarian. Il y a trois ans, nous avons parlé ensemble, je lui ai livré tout ce que je savais sur le groupe Manouchian, dont je faisais partie, ainsi que sur l’époque. Je crois que le film reflète la réalité et reconstitue bien l’atmosphère : c’est une belle réussite artistique et ce malgré la modicité du budget. La sortie du film a ranimé une vieille lune : ce serait le Parti communiste qui aurait trahi le groupe et l’aurait livré aux nazis… Arsène Tchakarian. En 1985, sur Antenne 2, face à Stéphane Courtois, j’ai dégonflé cette calomnie : il n’existe aucun document étayant la thèse de la trahison. J’ai dit à Courtois que ses prétendues preuves provenaient des poubelles abandonnées par les nazis. Sachant comment fonctionnaient les réseaux de résistance, il était impossible que pareille trahison se produise. Mais comme disait Goebbels : « Calomniez, il en restera toujours quelque chose. » Pouvez-vous donner des détails sur ces réseaux ? Arsène Tchakarian. On parle aujourd’hui de MOI (Mouvement ouvrier immigré) pour plus de facilité ; j’accepte ce raccourci. En fait, les immigrés s’étaient constitués en fronts nationaux selon leur nationalité : Arméniens, juifs, Hongrois, etc. Regroupés sous le commandement de Missak Manouchian, ils faisaient partie des FTP, participant ainsi à la Résistance, avec les gaullistes notamment. De fait, il n’est que les communistes et les gaullistes qui résistèrent : 35 des 40 membres du groupe Manouchian étaient communistes. En 1943, notre groupe a commis près de 150 actions, dont deux au moins lui furent commandées par les services secrets britanniques en liaison avec le général de Gaulle. Le PCF était en dehors ; comment aurait-il pu livrer les membres de la MOI ? Nous fonctionnions comme les services secrets : nous ne nous connaissions que par des pseudonymes – le mien était Charles -, sans aucune référence à nos origines. Si je me suis alors lancé dans le combat antifasciste, c’est parce que j’étais communiste. Comment le serais-je encore si j’avais le moindre doute sur cette période. Je possède un grand nombre de documents que tout le monde peut consulter. Pourquoi pensez-vous que ce film peut être important aujourd’hui ? Arsène Tchakarian. On doit connaître l’histoire pour ne pas perdre la mémoire. C’est pourquoi j’ai déjà visité près de 220 écoles et donné des dizaines de conférences, pour qu’on connaisse la vérité historique et qu’on s’en empare. Un film pédagogique, auquel j’ai participé, concernant la résistance des émigrés est prêt et sera diffusé dans les écoles et collèges. Entretien réalisé par Gérard Devienne, Humanité du 16 septembre 2009 ***************
Et le papier que j’ai mis sur notre site :
Arsène, dernier survivant du groupe Manouchian n’est plus. Mais son combat reste inoubliable! Pour rappel, face aux travestissements médiatiques qui présentent Arsène Tchakarian comme membre de l’armée secréte. Quelle armée secréte ? En réalité le réseau Manouchian était constitué de 23 résistants communistes, dont 20 étrangers et une femme, des Espagnols rescapés de Franco, enfermés dans les camps français des Pyrénées, des Italiens résistant au fascisme, Arméniens, Juifs surtout échappés à la rafle du Vel’d’Hiv de juillet 1942 et dirigé par un Arménien, Missak Manouchian. Il faisait partie des Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée. Mais cette vérité profonde d’une résistance qui combine étroitement le combat national, le combat de classe, le combat anti-fasciste et internationaliste écorche les lèvres des tenants du système d’exploitation qui à longueur d’antenne assimilent le communisme au nazisme, Staline et Hitler! Pour mieux dissimuler la profonde relation qui existe entre le capitalisme et le nazisme ! En hommage à Arsène, ce héros tranquille l’immortel poème d’Aragon chanté magnifiquement par Léo Ferré: L’affiche rouge
Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants Onze ans déjà que cela passe vite onze ans Vous vous étiez servis simplement de vos armes La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes Nul ne semblait vous voir Français de préférence Et les mornes matins en étaient différents Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses Un grand soleil d’hiver éclaire la colline Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent |
Arsène Tchakarian : « s’emparer de la vérité »
08
Août