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«La droite n’a pas seulement vaincu la gauche, elle a vaincu Israël» par David GROSSMAN

12 Juil

Près de 50% des israéliens sont contre ce qui se passe à Gaza selon les sondages… Oui mais ce peuple a été trahi non seulement par sa droite mais par sa gauche… Quelle gauche, celle qui a toujours cédé du terrain, a tout attendu du divin Obama et de John Kerry… Et à ce titre partout a soutenu la politique de ces criminels… Bref ici la gauche qui a été vaincue n’a rien fait pour présenter une alternative à la vassalisation d’Israêl, il reste ici aussi de grandes voix isolées et quelques communistes et ce refus obstiné de presque la majorité de la population d’accepter la haine…Comme David Grossman dont le fils est mort à l’armée, au Liban. (note de Danielle Bleitrach)

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«La droite n’a pas seulement vaincu la gauche, elle a vaincu Israël»

David GROSSMAN, écrivain et essayiste israélien 8 juillet 2014 à 18:06

TRIBUNE L’espoir et le découragement. Pendant des années, nous avons été ballottés de l’un à l’autre. Aujourd’hui, la majorité des Israéliens et des Palestiniens semblent plongés dans un état de conscience cotonneux, plat et dénué de perspective. Au fond d’un sommeil épais ou d’un coma volontaire.

Pour Israël, habitué aux déceptions, désormais, l’espoir (si tant est que quiconque évoque ce mot) est toujours hésitant, un rien honteux, s’excusant par avance. Le découragement, en revanche, est résolu, péremptoire, comme s’il s’exprimait au nom d’une loi naturelle, ou un postulat affirmant qu’entre ces deux peuples la paix ne s’établira jamais et que la guerre entre eux procède d’un décret divin. Aux yeux du découragement, quiconque espère encore, qui croit encore en la possibilité de la paix, est – au mieux – un naïf ou un esprit chimérique prisonnier de ses fantasmes et, au pire, un traître qui sape la capacité de résistance d’Israël en ce sens qu’il l’incite à se laisser séduire par ses rêveries.

En ce sens, la droite israélienne a gagné. La droite, dont c’est la vision du monde – et certainement au cours des dernières décennies -, a réussi à l’inculquer à la majorité des Israéliens. En outre, la droite n’a pas seulement vaincu la gauche. Elle a vaincu Israël. Et pas seulement parce que cette vision du monde pessimiste conduit l’Etat d’Israël à la paralysie dans le domaine le plus vital pour lui, domaine où sont exigées audace, souplesse et créativité, la droite a vaincu Israël en cela qu’elle a défait ce que, jadis, on pouvait encore appeler l’«esprit israélien» : cette étincelle, qui était capable de nous engendrer de nouveau, cet esprit du «malgré tout», le courage. Et l’espoir.

Dans le domaine le plus important pour son existence, l’Etat d’Israël se trouve aujourd’hui pratiquement amorphe et, peut-on ajouter, dépourvu de personnalités. De manière étrange, cette situation n’entraîne pas de dommage tangible : non seulement les dirigeants, mais encore la majorité des citoyens réussissent à chasser la situation de leur esprit. Ils déploient des prodiges pour opérer une séparation nette entre les deux, et ainsi continuer à exister pendant de nombreuses années, quarante-sept précisément, et de vivre somme toute pas trop mal, alors qu’au centre de leur existence règne le vide. Vide d’actes, vide de conscience, un vide dans lequel se déroule le refoulement efficace de tout jugement éthique et de la désignation des perversions à la racine de toute cette situation.

Ecoutez l’eau

L’écrivain américain David Foster Wallace racontait l’histoire de deux jeunes poissons nageant à loisir et qui rencontrent un poisson plus âgé.

«Salut, les gars, leur lance le vieux poisson. Comment ça va ?

– Trop bien, répondent les deux.

– Et l’eau, elle est comment ?

– Impec !»

Les deux jeunes poissons s’éloignent et continuent à nager. Quelques instants plus tard, l’un d’eux interroge l’autre :

«Dis-moi, c’est quoi, au juste, l’eau ?»

Ecoutez l’eau. L’eau dans laquelle nous nageons et que nous buvons depuis déjà quarante-sept ans. A laquelle nous sommes si habitués que nous n’éprouvons plus sa présence. Or, c’est la vie qui s’écoule ici qui demeure, sans nul doute, pleine de vitalité et de création, mais aussi un peu folle dans une sorte d’atmosphère chaotique de soldes de fin de saison, de trouble maniaco-dépressif qui s’y mêle. Un sentiment de puissance énorme avec des crises de faiblesse abyssale. Une vie dans une démocratie satisfaite d’elle-même, affichant des prétentions de libéralisme et d’humanisme, et qui occupe, humilie et écrase un autre peuple depuis des décennies. Une vie vécue sous le vacarme obsédant des médias, dont une grande partie n’est rien d’autre que divertissement et abrutissement délibérés, car comment serait-il possible de supporter cela sans un peu de divertissement et d’auto-intoxication ? Comment supporter, par exemple, les conséquences de ce qu’on appelle «l’entreprise de la colonisation» ? Face à la pleine signification de ce pari dément sur l’avenir de l’Etat ? Ecoutez l’eau : sous la surface de l’onde dans laquelle nous pataugeons depuis déjà quarante-sept ans, coule un puissant courant glacial, le courant de la menace de la contrefaçon historique et de l’erreur fatale, et tout ce qui enfle, sous nos yeux, sous la forme d’un Etat binational, ou un Etat d’apartheid, ou un Etat totalement militarisé, ou un Etat de tous ses rabbins, de tous ses colons, de tous ses messies.

Et peut-être. Peut-être que le découragement qui s’est emparé de nous, ces dernières années, est-il aussi un peu le découragement de condamnés, qui comprennent déjà qu’ils ne pourront pas échapper au châtiment à cause de ce qu’ils ont commis, ou à cause de ce qu’ils ont laissé faire par leur soutien, ou leur silence, ou leur indifférence. Et devant tout cela, peut-on encore se goberger : «Mangeons et buvons, parce que, demain, nous serons morts (2)» ?

Le découragement israélien comporte un élément bizarre de joie à la perspective de la catastrophe ou, du moins, une allégresse face à la déception. Une sorte de «mauvaise joie» à l’encontre de tous ceux dont l’espérance a été démentie. Une joie particulièrement tordue car, en fin de compte, cette mauvaise joie s’exerce à notre propre détriment : parfois, il semble que l’âme de l’Israélien rumine encore l’affront qui lui a été infligé en 1993, après la signature des accords d’Oslo, alors qu’il a osé ajouter foi – non seulement à l’ennemi devenu pour un moment un associé – mais, en général, à la possibilité que cela aille mieux, qu’un jour il serait bon de vivre dans cette région. Qu’un jour ou l’autre notre sort serait heureux.

Comme si – prétendent les gens du parti du découragement – qu’en nous laissant tenter à croire en quelque chose d’opposé à ce point à notre expérience, à notre histoire tragique, nous nous sommes trahis nous-mêmes, ou on ne sait quel signe particulier qui nous caractérise en propre, et qu’à cause de cette foi nous avons payé le prix, et que nous le paierons encore, au centuple. Mais, du moins, dorénavant, on ne nous prendra plus à croire à n’importe quoi, à aucune promesse, à aucune chance.

Et même si Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, s’est battu de toutes ses forces pour empêcher le terrorisme contre les Israéliens et qu’il a déclaré que, dans sa ville natale, Safed, il ne retournerait plus que comme touriste. Et il a eu beau proclamer que la Shoah était le crime le plus grave dans les annales de l’humanité et attaqué durement les ravisseurs des trois adolescents étudiants de yéchiva, même après avoir accompli tout cela, le Premier ministre d’Israël Nétanyahou s’est empressé de jeter un seau d’eau glacée sur son crâne.

Et même si les Etats de la Ligue arabe présentaient à Israël une initiative susceptible d’impulser un processus quelconque affichant une invitation explicite à un dialogue inédit, que nous n’avons jamais connu, auquel nous avons aspiré pendant des années, eh bien, le gouvernement d’Israël ferait la sourde oreille de manière absolue et ostentatoire, comme depuis déjà douze ans. Car plus personne ne pourra encore nous gruger. Nous ne sommes pas des «pigeons». Plus jamais, on ne nous prendra à faire confiance à un Palestinien, ou à un quelconque Arabe. Ou à un secrétaire d’Etat américain qui n’entend rien à la réalité de la vie. Ou à l’espérance qu’un jour notre vie soit meilleure.

Ou, simplement, à la vie.

Un fait intéressant à relever : nous avons essayé la voie de la paix avec les Palestiniens une seule fois, en 1993. Elle a échoué et, à partir de ce moment-là, c’est comme si Israël avait décidé de bannir cette option pour l’éternité. Là aussi, la logique perverse du découragement entre en jeu : car nous avons expérimenté la voie de la guerre, de l’occupation, du terrorisme, de la haine, nous avons essayé des dizaines de fois, et nous ne nous sommes jamais fatigués et nous n’en avons pas désespéré, mais comment se fait-il que justement nous nous hâtons de délivrer un acte de divorce à la paix, à cause d’un échec ?

Israël a, bien sûr, de nombreux motifs d’inquiétude et de peur. Le Proche-Orient se trouve en pleine tempête, il est en proie à de multiples courants fanatiques et, dans sa majorité, se montre hostile à Israël et aspire, ouvertement, à le détruire. Mais, précisément, face à ces dangers et à ces menaces, le désespoir et l’apathie ne peuvent être considérés comme une politique efficace.

Le gouvernement israélien, les gouvernements israéliens se conduisent comme des captifs du découragement. Je ne me souviens pas d’avoir jamais entendu un propos d’espoir un peu sérieux dans la bouche de Benyamin Nétanyahou ou dans celle de ses ministres et conseillers. Pas un mot visionnaire, non plus, concernant les possibilités recelées par une vie dans la paix ou la chance qu’Israël s’intègre dans un nouveau tissu d’alliances et d’intérêts au Proche-Orient. Comment se fait-il que l’espoir se soit transformé en un mot grossier, criminel, à peine moins dangereux que le mot «paix» ?

La pensée que l’énorme puissance militaire d’Israël ne lui insuffle pas le courage de surmonter sa frayeur et son désespoir existentiels et d’opérer un pas décisif vers la paix est révoltante. Or, l’idée essentielle à la base de la création de l’Etat d’Israël n’était-elle pas que le peuple juif retournait à son foyer et que, là, il ne serait plus la victime de quiconque ? Que, jamais, nous ne serions paralysés et soumis face à des forces supérieures aux nôtres ?

Or, voici le spectacle que nous donnons : l’Etat le plus fort de la région, une puissance à l’échelle régionale, qui jouit d’un soutien presque incompréhensible de la part des Etats-Unis, et de l’appui et de l’engagement de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France, se considère encore en son for intérieur, comme une victime abandonnée de tous. Et il se conduit encore comme une victime : de ses craintes, réelles ou imaginaires, des horreurs de son histoire, des erreurs de ses voisins et de ses ennemis.

Cette vision du monde nous accule, la population juive d’Israël, aux retranchements les plus vulnérables et les plus mutilés de notre existence en tant que peuple. De nouveau, émerge, en nous, Israéliens de 2014, les anciennes frayeurs du destin juif, l’expérience des persécutions, de la victimisation, le sentiment âcre d’étrangeté, existentielle, du peuple juif au milieu des autres nations.

L’espoir du malgré tout

Quel espoir peut percer encore au cœur d’une situation aussi pénible ? Un espoir du «malgré tout». Un espoir qui n’ignore pas les nombreux obstacles et menaces, mais refuse de s’en tenir uniquement à eux. L’espoir que, si les flammes baissent sous le conflit, pourront apparaître, à nouveau, peu à peu, les contours sains et sensés des deux peuples. La force thérapeutique de la routine quotidienne commencera à agir, l’intelligence de la vie et le bon sens du compromis. Du sentiment de confiance en soi. De l’éducation des enfants sans peur de la mort, sans l’humiliation de l’occupation et sans l’effroi du terrorisme. De l’expérience fondamentale de l’existence humaine de la vie familiale, du gagne-pain et de l’étude. Du tissu de la vie.

Aujourd’hui, au sein des deux peuples, les agents du découragement et de l’antagonisme sont presque les seuls à opérer, et c’est sans doute pourquoi il est difficile de croire que la réalité que j’ai décrite soit possible. Mais une situation de paix commencera à donner naissance aux agents d’espoir, de rapprochement et d’optimisme, ceux qui auront un intérêt pratique, dénué d’idéologie, à nouer davantage de liens avec les membres de l’autre peuple. Peut-être qu’un jour, au bout de quelques années, pourra émerger un rapprochement plus profond, et même une amitié entre ces deux peuples.

Après tout, cela s’est déjà vu…

«Hatikva»

Je m’accroche à cet espoir, et je le préserve en moi, parce que je veux continuer à vivre ici, et je ne peux pas me permettre le luxe et les délices qu’offre le découragement. La situation est suffisamment désespérée pour la laisser aux seuls déçus. Et se résigner au découragement, c’est avouer en fait que nous avons été vaincus. Non sur le champ de bataille, mais en tant qu’êtres humains. Quelque chose de profond et de vital pour l’être humain a été nié, spolié en nous, dès le moment où nous avons accepté que le découragement bénéficierait d’un gouvernement.

Celui pour qui sa politique n’est qu’une mince pellicule sur son désespoir profond met en danger l’existence même d’Israël. Celui qui se conduit de sa façon ne peut se targuer de parler d’être «un peuple libre sur notre terre». Il chante peut-être la Hatikva («l’Espoir»), notre hymne national, mais dans sa voix, nous entendons : «Notre désespoir n’est pas perdu, le désespoir de deux mille ans…»

Nous qui aspirons depuis de nombreuses années à la paix, nous continuerons à nous arc-bouter à l’espoir. Un espoir lucide, sans concessions. Qui sait que c’est notre unique chance – Israéliens et Palestiniens confondus – de vaincre la pesanteur du découragement.

Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche. Dessin Sylvie Serprix

(1) Historien et journaliste israélien (1955-2014). L’un des principaux artisans des accords d’Oslo et de l’initiative de paix de Genève. (2) Cf. Isaïe, XXII, 13. Dernier titre paru en français : «Tombé hors du temps», récit traduit de l’hébreu par Emmanuel Moses, Seuil, 2012.
David GROSSMAN Ecrivain et essayiste israélien

 
4 Commentaires

Publié par le juillet 12, 2014 dans Uncategorized

 

4 réponses à “«La droite n’a pas seulement vaincu la gauche, elle a vaincu Israël» par David GROSSMAN

  1. vincent

    juillet 12, 2014 at 9:19

    Non le sondage disait que 47% des israéliens étaient contre une intervention TERRESTRE.

     
  2. Jacques

    juillet 14, 2014 at 12:08

    Cet article est un peu idiot. Israel ne peut pas faire la paix unilatéralement parce qu’il serait le plus fort. La paix ne se fait pas seule, elle se fait à deux. Même avec des antagonismes, mais on doit etre 2, comme par exemple avec la Jordanie ou l’Egypte. Cet article est aussi un peu faux car nous avons plein d’archives/témoignages/tentatives qui montrent l’ouverture d’Israel envers des solutions négociées de paix (ex la sortie de Gaza). Le reste, c’est une question géopolitique. Le Hamas a choisi la surenchère pour sortir de leur impasse actuelle, on ne peut pas reprocher à Israel de saisir cette opportunité pour réduire encore un peu plus leur influence, même au prix de pertes civiles. C’est ainsi, il n’y a pas de guerre propre. . Et puis, doit-on rappeler que par ailleurs la plupart des pays européens ont placés eux-même le Hamas parmi les organisations terroristes. On négocie quoi avec des terroristes ?

     
  3. Dario CIPRUT

    juillet 30, 2014 at 5:51

    Avez-vous un commentaire à faire sur le sondage suivant aux résultats diamétralement opposés à ce que vous affirmez en exergue. Merci d’avance.

     

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