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« Le complot » a pour vocation de brouiller les lignes de partage entre persécuté et persécuteur par danielle Bleitrach

06 Juil
« Le complot » a pour vocation de brouiller les lignes de partage entre persécuté et persécuteur par danielle Bleitrach

Toujours dans le cadre de mon journal estival: depuis deux jours je me dis que la question juive est un vrai papier tue-mouche… Je ne sais si quelqu’un comprendra cette remarque mais j’ai le sentiment d’être une personnage de l’ange exterminateur. Vous vous souvenez peut-être de ce film étrange de la période mexicaine de Bunuel. Des notables réunis avec leurs épouses dans le domaine de l’un d’entre eux ne parviennent pas à quitter les lieux. Au départ des contretemps les en empêchent mais à l’aube il faut bien se rendre compte que personnes ne peut sortir de la propriété désertée par les domestiques. Cet enfermement dans lequel peu à peu les caractères, la violence de chacun, se dévoilent, induit aussi le meurtre rituel, le sacrifice des moutons qui viennent se prendre dans le piège et se substituent tel le bélier d’Abraham à l’égorgement du maître de maison. La dernière scène est celle d’un troupeau qui entre dans l’église de la finca où les notables sont toujours isolés. La porte se referme sur eux.

Tout y est: l’enfermement et le troupeau sacrificiel. Une époque sans issue, une classe, des notables qui tournent en rond et la violence qui s’exaspère. Pour revenir à mon propos initial nul n’est plus convaincu que moi du caractère prétexte de cette question juive mais je ne sais toujours pas si les juifs sont les notables ou les moutons boucs émissaires.

De surcroît, je pensais que dès que j’aurais terminé le livre sur Lang et Brecht, le nazisme n’a jamais été éradiqué, je me lancerai dans un travail sur Aragon et le cinéma. Pourtant, il y a quelque chose de tellement obsédant dans ce renvoi identitaire en période de crise du capitalisme que je me dis que peut-être faut-il accepter l’enfermement de l’ange exterminateur. Tout m’incite à travailler sur la question juive au cinéma.

D’abord alors que je tente de m’échapper, il y a le renvoi identaire dans l’actualité. Il y a cette agression d’un élève de l’école juive de Toulouse, là où en mars les enfants ont été assassinés,  sur un axe de chemin de fer qui conduit de Lyon à Toulouse, le train et le complot comme dans le docteur Mabuse… Partir de la ville du primat des Gaule, lyon qui devient la patrie du négationnisme, et cheminer  vers  l’hérésie cathare pour connaître le camp où on atterri  les Républicains espagnols, tandis que Nougaro chante Toulouse comme une pierre qui dévale.  L’empilement des temps, leur choc, la mémoire individuelle et le contexte historique en même temps, c’est cela que peut le cinéma… Une bagarre de jeunes gens… Rien n’est avéré mais on soupçonne.

On s’acharne sur une question pendant des années et puis on l’abandonne et elle ressurgit mais on ne sait même plus de quoi on parle. Qui accuse qui et de quoi? Une suspicion légitime nous vient devant cette manière d’être incapable de tirer une ligne franche entre récit historique et récit de fiction, la société s’abolit, elle n’est plus que langue et cela ne se cesse de se développer depuis 1945, tout désormais est associé « au manque,à l’absence et à la mort ». « Même sur la mort sans phrases, il reste à méditer, peut-être sans fin jusqu’à la fin » dit Blanchot et tout le monde en a marre de ne plus comprendre de quoi il est question. Avec la lancinante interrogation sur le passé réel et la connaissance historique, tous les jeux de miroir que cela permet entre présence et absence,et qui devient enigme.

Je pense à l’analyse de l’historien Carlo Ginzburg sur la conspiration dont furent accusés dans ce même midi, les lépreux, les juifs et le roi musulman de Grenade…  d’avoir empoisonnés les puits. Les lépreux furent enfermés et les juifs brûlés.

Qu’est-ce c’est que le complot ? Il existe dit Ginzburg mais il s’agit de justifier la persécution en accusant les victimes d’être des persécuteurs.

En fait raconte Ginzburg, il s’agit pour les notables de s’approprier le traitement et l’enfermement des lépreux. Ginzburg refuse les apories du post-modernisme: le faux et le vrai présentant le même intérêt pour l’historien puisqu’il serait impossible de reconstituer la vérité. Marc Bloch a déjà répondu en montrant que plus on se rapproche de l’infrastructure plus il y a objectivité et verité historique. Ginzburg, tenté, confronté à l’apparition du négationnisme, récuse cette vision post-moderne sur l’impossibilité d’atteindre une vérité historique. Il n’empêche, Ginzburg garde l’idée que ce qui est faux, en particulier les complots imaginaires, les témoignages de gens accusés de sorcellerie, tout cela nous renseigne sur des mentalités ancestrales,  sur la manière dont celui que l’on veut persécuter doit être considéré comme un persécuteur dont il faut se protéger.

l’histoire qu’il raconte à propos de lépreux et des juifs, me confirme dans le fait que l’accusation de complot portée contre les juifs  est destinée à rendre crédible le complot dont sont accusés les lépreux à savoir d’empoisonner les puits. Hier mais aussi aujourd’hui.  Hitler dans sa haine raciale faisait jouer aux juifs un rôle de pivot entre le complot judéo-maçonnique et le complot judéo-bolchevique, unissant la dénonciation des lumières à celle de la Révolution bolchevique. La présence  des juifs rend crédible tous les complots. Ainsi pour attribuer aux Etats-Unis la destruction des tours de New York il faut y mêler une sombre affaire de juifs ne s’étant pas rendu au travail ce jour là. La présence du juif, ce moule ancestral de toutes les trahisons rend crédibles ou est sensé rendre crédibles toutes les sottises conspirationnistes. Comment grâce à lui on tourne autour des catégories du Même, de l’Autre et de l’Analogue, de jouer de l’intrigue romanesque jusqu’à la dette que l’on doit aux morts.

Aujourd’hui il y a un autre couple pris dans une étreinte convulsive, les juifs et les Palestiniens. Tous deux fonctionnant en apparente opposition mais réunis dans un complot contre l’Occident et l’Europe en crise, comme le furent les lépreux et les juifs au Moyen-Age. Les banquiers juifs, notez que tous les juifs sont des banquiers, des musiciens d’orchestre symphonique selon théodorakis, des saltimbanques selon Dieudonné, des médecins, des avocats, des physiciens, ils détiennent à chaque fois 99% du pouvoir dans le secteur concerné, ils sont la puissance qui opprime… En face, il y aurait ce qui menace, la classe laborieuse toujours dangereuse, les peuples opprimés menaçant de se révolter… les immigrés, l’Islam…(1) Une sorte de mise en scène; une manière de décomposer puis de synthétiser la vision historique pour provoquer la guerre actuelle, la rendre juste et non plus simplement légale comme le veut le droit international issu des lumières, retour médiéval au combat au nom de la vérité révélée…

Les faits existent. Il serait vain de les nier. La politique de l’Etat israélien est indéfendable. Comme il est difficile de nier l’implication de la CIA dans l’instauration de disctatures en Amérique latine. Ce sont des faits politiques qui exigent des solutions politiques. Mais tout se passe comme si l’impossibilité de cette solution engeandrait des fantasmes, des monstres de la raison.

Nous sommes devant un couple fantasmé… qui est persécuté, qui est persécuteur ?

Autre fait d’actualité, la démission de René Balme du Parti de Gauche. Je veux noter la manière dont celui qui avait fait de son site le lieu privilégié d’un discours conspirationniste et antisémite (j’ai déjà dit à ce propos ce qu’il y avait à dire) se présente comme victime d’une persécution et ne peut s’empêcher se faisant de revenir à ses obsessions, il serait une victime du complot financier CQFD…  Voici ce qu’il affirme ».

« Ce communiqué qui dans dans sa rédaction peut laisser entendre que j’aurai participé à la promotion d’idées racistes, antisémites ou négationnistes est parfaitement choquant et diffamatoire. Il démontre s’il en était besoin, que le PG n’a pas pris la peine de s’informer sur mon parcours militant et politique. Il ne connait rien de mes engagements contre le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme. Il ne sait rien de la politique humaniste que nous menons collectivement sur la commune de Grigny depuis plus de 30 ans.

Le Parti de Gauche a décidé de privilégier le « politiquement correct », abandonnant en cela les visées révolutionnaires dont il se disait porteur tout au long des différentes campagnes électorales qui ont jalonné les derniers mois écoulés. Il a aussi, décidé de courber l’échine face aux promoteurs de la pensée unique, préférant accompagner la campagne de dénigrement et de diffamation, à mon endroit, qui a été orchestrée par certains sites internet largement soutenus pas le monde de la finance. »

Pas le moindre doute n’effleure cet homme, il n’est pas antisémite, ni négationniste quelles que soient les preuves accumulées, il est seulement victime du monde de la finance et qui est le monde de la finance ? Il n’a pas le moindre doute sur lui-même pas plus que Théodorakis convaincu que les juifs américains sont à l’origine des maux de la Grèce et que les mêmes juifs lui font barrage puisqu’ils ont le pouvoir sur 99% des orchestres symphoniques. Le cas Mikis Théodorakis est intéressant non seulement parce qu’il se croît obligé d’affirmer qu’on l’accuse à tort d’antisémitisme comme René Balme mais il assortit sa protestation d’un véritable cri d’amour.

Retour au cinéma; de Minelli à Visconti…

Donc j’étais en train de réfléchir à tout cela quand mercredi je suis allée voir un film de Minelli à l’Institut de l’image: Lame de fond. C’est un film noir qui date de 1947, comme dans certains films d’Hitchkock, il existe un secret qui détruit un couple et comme toujours chez Minelli, le décor fait partie de l’intrigue et de la psychologie des personnages, le décor dit l’âme du personnage et la classe à laquelle il appartient donc l’Histoire avec les histoires. Ann Hamilton (catehrine Hepburn) fait la connaissance d’Alan Garroway (Robert taylor), un richissime et célèbre inventeur d’un procédé révolutionnaire qui a largement contribué à la victoire sur les nazis, c’est le coup de foudre. Ils se marient et partent pour Washington ou Ann fait son entrée dans la haute société de la ville. Pour plaire à son époux elle se transforme. Puis le couple part pour Middleburg, en Virginie là d’où est originaire Alan. Ann apprend alors que son mari a un frère, et qu’un mystère semble hanter les lieux… Le frère Mike (Robert Mitchum à contre emploi) est lumineux et Ann peu à peu en le suivant à la trace en tombe amoureuse, son mari en tentant de l’assassiner meurt et elle peut trouver l’amour avec Mike. Quel est le secret ? Ann croit que son mari a tué son frère, il n’en est rien mais il n’en est pas moins un assassin puisqu’il a tué le véritable inventeur, un juif qui a fui les nazis.

En voyant ce film, en songeant que 1947 est ce moment où la lutte antinazie aux Etats-Unis et à Hollywood en particulier est ce moment du retournement avec le début de la guerre froide et du Maccarthysme. Minelli, enfant de la balle mais issu d’une famille d’italiens révolutionnaires met au coeur de cette hantise, ce secret qui détruit un couple, l’assassinat d’un juif inventeur. Je n’ai pu m’empêcher de penser aux Rosenberg et même à Oppenheimer l’inventeur de la bombe atomique suppliant que celle-ci prévue pour les nazis ne soit pas utilisée à Hiroshima. En vain. Qu’est-ce qui a été récupéré du crime nazi par l’occident et qui le travaille comme un secret?

Jeudi après-midi, toujours à l’Institut de l’image je vais voir le film de Visconti Sandra.

Je vous renvoie à l’analyse qu’en fait Visconti lui-même et que j’ai placé sur ce site, analyse dont j’ai relevé cet extrait :

« Mon attention réelle s’est portée sur la  conscience de Sandra, son inconfort moral, ses efforts pour comprendre:  les mêmes ressorts qui en leur temps ont animé ‘Ntoni, Livia, Rocco ou  le Prince Salina [respectivement les personnages centraux de La terre tremble, Senso, Rocco et ses frères, Le Guépard].  Et si ailleurs, j’ai recouru à un bal, à une bataille, au phénomène de  l’émigration intérieure, à la lutte pour le pain quotidien, ici m’ont  stimulé l’énigme étrusque que Volterra exprime parfaitement, le complexe  de supériorité de la race juive, et une figure de femme. Voilà le fond  «historique» — et pour l’essentiel les limites — où se joue l’intrigue  de mon film. Quant aux éléments psychologiques, ce sont  l’exigence  proclamée de justice et de vérité, l’insatisfaction sentimentale et  sexuelle de Sandra, et sa crise conjugale. »

Notons le « complexe de supériorité de la race juive », cette phrase fait étrangement songer à celle de De gaulle lors d’une conférence de presse, qui provoqua un véritable scandale et ce dessin de TIM dans le Nouvel Observateur : « un peuple d’élite sûr de lui et dominateur », 27 novembre 1967

Quand on sait comment De gaulle préparait ses conférences de presse, il n’y a dans ces propos nul hasard. Effectivement  quand Visconti au même moment en 1965, parle à peu près dans les même termes de la « race juive », nous assistons au début d’un retournement sur la vision des juifs, de victimes ils deviennent ceux qui veulent dominer. Et le film tout à fait génial de Visconti utilise à plein ce ressort. On ne sait pas si Sandra (Claudia Cardinal) a inventé le complot de sa mère et de son amant qui tels Egiste et Clytemnestre auraient tué Agamemnon en le dénonçant pour qu’il finisse à Auschwitz, elle est en tous les cas la figure du justicier qui retourne à Volterra pour les mettre en accusation. Mais une autre hypothèse est possible, Sandra aurait inventé la trahison de sa mère pour camoufler l’inceste qui depuis l’enfance l’unit à son frère. Elle est alors la persécutrice qui non seulement conduit sa mère à la folie mais son frère au suicide parce qu’elle refuse d’assumer leur couple maudit. Face à un monde en pleine désagrégation, l’inceste serait l’ultime transgression, celle par laquelle le noyau familial devient indestructible, inséquable et la mère dans une scène violente l’accuse d’avoir du sang juif pourri comme celui de son père. Alors que celui-ci est un grand intellectuel respecté de tous dont on inaugure une statue.

C’est peut-être ce qui m’obsède. La seule chose qui m’ait réellement intéressée est l’Histoire, marxiste mais aussi hégélienne… Et je tourne autour de cette folie du complot, cette manière qui me marque si fortement tant elle me confronte à l’incompréhensible, le négationnisme, a-t-on imaginé quelque chose de plus absurde que cette façon non seulement de nier la réalité mais d’en faire même le test de la tolérance aux opinions ? Pourquoi cette étrange manière de brouiller à chaque instant les lignes pour que persécuteur et persécuté ne soient plus identifiable. Visconti rejoint l’Histoire à travers la figure d’une femme qui porte ostentiblement le magden David au cou et qui selon la loi hébraïque n’est même pas juive puisque sa mère ne l’est pas mais l’accuse de « monstruosité ».  Visconti unit dans une même interrogation « l’énigme » étrusque, avec la ville de Volterra, la seule ville en train de mourir de maladie comme un humain, Claudia Cardinal avec les yeux de ce peuple disparu hanté par la mort et cette race indestructible, désagrégée autour d’un complexe de supériorité. C’est ça le fond historique avec une femme en crise dans ses désirs et sentiments qui se raccroche à sa race pour ne pas en voir le ressort incestueux, le sacrifice criminel qui fonde chaque maison, celle de l’immigré Rocco, celle du prince salinas, celle de la trahison de Senso.

Faut-il refuser de s’intéresser à ce qui n’est à mes yeux qu’un cas parmi d’autres où persécution et persécuté sont confondus pour que l’Histoire poursuive son cours dans l’aveuglement des êtres humains ou faut-il puisque décidemment je demeure enfermée là accepter de décrire cet inconfort d’une époque et la traversée des moutons sacrificiels dans un lieu dont on ne peut s’échapper.

Danielle Bleitrach

(1) A propos de l’agression dans le train, j’ai vu depuis hier se déchaîner tous les « amis » de mes « amis » face book au nom trés français qui voyaient là l’occasion de dénoncer la racaille et le ministre de la justice Taubira. Comme dans cet exemple: un certain Nicolas Albin explique : ‎2 arabes massacrent un juif en le traitant de « sale juif » mais ça n’est bien évidemment pas un acte antisémite…c’est qu’elle l’aime sa racaille,pardon ses enfants,taubira…faut pas y toucher! »

 
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Publié par le juillet 6, 2012 dans Uncategorized

 

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