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Grandeur et limites du romantisme révolutionnaire, une réponse de Michael Löwy et Robert Sayre

29 Juin
Grandeur et limites du romantisme révolutionnaire, une réponse de Michael Löwy et Robert Sayre

 il faut trouver l’apaisement et seule la lecture, la réflexion,  accordent une mise à distance et donnent des concepts pour penser les apories du présent. Ainsi cette discussion à trois voix sur le romantisme  parait totalement d’actualité. Elle  aborde bien des points qui éclairent les dérives actuelles d’une pseudo-opposition au système capitaliste.

Ces dérives concernent  le racisme et  l’antisémitisme, l’ethnicisation en général- nous en avons longuement parlé-  mais aussi un aspect moins évident et fondamental. Il s’agit sur le plan économique et social d’attaquer une partie du système capitalistee (la circulation et l’argent) au nom d’une autre, pour mieux conserver l’essentiel du mode de production… L’antisémitisme fait partie en général de cette déviation, on la retrouve de Proudhon au fascisme.

Parce qu’il y a eu l’atrocité de la Shoah ne voir que l’antisémitisme de ce néo-romantisme « révolutionnaire » vulgarisé, superficiel et gommer ce qui est en cause sur le fond, la focalisation sur la circulation et l’argent, le regret des formes primitives imaginaires, nous empêche de procéder à une critique réelle de ces mouvements.  Qu’il y ait un nouveau romantisme dans les réponses non seulement de cet altermondialisme aux relents suspects mais dans des mouvements comme les indignés, a été déja relevé. Un romantisme, un vis à vis entre adversaires et adeptes des lumières, aussi une critique réactionnaire au nom du regret du passé.

Notons ce que dit dans sa réponse à la réponse Anselm Jappe : « Il est évident que le faux anticapitalisme des nazis était pire qu’une apologie ouverte du capitalisme, et que l’esprit « anti-bourgeois » qu’ils aimaient afficher, ainsi que leurs références à la communauté et à la vie agraire, ou leurs invectives contre la « ploutocratie » ne permettent pas d’enrôler les nazis dans une espèce de front commun contre la « bourgeoisie ». C’est alors le cas le plus extrême d’une attitude plus amplement diffusée : attaquer la sphère de l’argent et du commerce – la circulation – au nom du travail. Il ne s’agit pas d’« un premier pas dans la bonne direction », c’est attaquer une partie du système capitaliste au nom d’une autre partie. Il faut examiner chaque fois ce que vaut une critique dans son contexte, au lieu de tenter d’en extraire la pépite d’or en faisant abstraction de tout le rocher.

Quel lien entre cette question et le débat sur le romantisme ? Au moins ceci : l’esprit critique abdique à sa mission quand il commence à voir du positif partout et à gommer les différences au nom de l’efficacité du discours. La valeur de la tradition romantique – ou de sa partie meilleure – ne peut que se trouver renforcée si l’on indique sans pitié ses contradictions et ses horizons limités, ainsi que les dérives auxquelles elle peut donner lieu. »

Grandeur et limites du romantisme révolutionnaire, une réponse de Michael Löwy et Robert Sayre

Dans la RdL n° 2 (nov-déc 2011) Anselm Jappe rendait compte de deux livres de Michael Löwy et Robert Sayre (Esprits de feu. Figures du romantisme anti-capitaliste et Révolte et mélancolie.Le romantisme à contre-courant de la modernité) et d’un livre de Michael Löwy (Rédemption et utopie. Le judaïsme libertaire en Europe centrale). Il s’agissait de discuter des potentialités de la tradition romantique de critique de la modernité dans une perspective anticapitaliste de gauche. Michael Löwy et Robert Sayre ont souhaité lui répondre et engager un échange sur les questions soulevées. Nous publions ci-dessous leur réponse, ainsi que la réponse d’Anselm Jappe.

Paris,  21 novembre 2011

Cher Anselm,

Merci beaucoup pour ton excellent compte-rendu de nos recherches sur le romantisme dans cette belle RdL. Il est rare de trouver une recenseur aussi attentif et ouvert, avec une véritable intelligence des arguments et des idées.

Bien entendu, tu as présenté un certain nombre de critiques, et nous aimerions essayer de répondre, en ouvrant ainsi un dialogue productif. Nous allons suivre l’ordre des pages 36-37.

– Notre concept de romantisme est trop vaste.

On nous a souvent fait cette critique, elle est sans doute légitime. Nous n’avons pas encore trouvé le moyen de restreindre l’éventail. Cela dit, Horace ou La Bruyère appartiennent pour nous à la préhistoire du romantisme ; celui-ci n’apparaît véritablement qu’avec la genèse du capitalisme moderne, au XVIIIe siècle.

– Qu’ont en commun Franz von Baader et Büchner, etc. ?

Ils n’ont pas de position commune sur quoi que ce soit à part une certaine référence au passé. Ce n’est pas tout à fait notre argument… Ils n’ont pas de « position politique commune », certes, mais ils partagent une critique du capitalisme au nom de valeurs précapitalistes. Et cette critique porte sur un certain nombre d’aspects que nous discutons en détail : refus de la quantification, etc.

– Tu as tout à fait raison de souligner qu’il y a de bonnes et de mauvaises raisons de détester le capitalisme.  Nous ne sommes pas en désaccord, nous faisons d’ailleurs état de romantiques anticapitalistes réactionnaires de toutes sortes. Mais même certains réactionnaires – Balzac ! – peuvent nous apprendre quelque chose…

– Selon toi, les romantiques ne critiquent que les aspects qui concernent la circulation, en ignorant la production, qui est, comme l’explique Marx, l’essentiel de la société capitaliste.  Bien entendu, nous sommes d’accord avec ce que tu écris sur la critique marxiste de la production capitaliste de la valeur. Il faut cependant prendre en compte que l’anticapitalisme de Marx concerne non seulement la question de la plus-value, mais aussi l’aliénation, la réification, le fétichisme de la marchandise. Il est vrai aussi que certains romantiques se limitent à dénoncer l’argent et le commerce, les phénomènes de la circulation. Mais on ne peut pas généraliser cette affirmation à l’ensemble de la culture romantique. Si l’on prend les principaux thèmes de l’anticapitalisme romantique, tels que nous les proposons dans nos livres, cette restriction ne s’applique pas. La critique de la dissolution de la communauté et du désenchantement du monde concerne l’ensemble de la vie sociale (sans rapport direct avec la production ou la circulation) ; la critique de la mécanisation du monde porte souvent sur les formes de production ; et celle de la quantification peut porter aussi bien sur la circulation (l’argent) que sur la production (le temps de travail soumis à l’horloge). Certes, ces critiques ne sont pas celles de Marx et elles ne peuvent pas remplacer l’analyse marxiste ; mais elles peuvent la compléter.

– Ta critique du marxisme traditionnel ne concerne pas directement le romantisme. Nous pensons qu’elle s’applique parfaitement aux formes social-démocrates et communistes du mouvement ouvrier : lutte pour une distribution plus juste. Mais nous pensons que les courants révolutionnaires (« gauchistes ») ont une démarche plus radicale, qui vise l’abolition du mode de production capitaliste lui-même. Mais c’est une autre discussion.

– Le fascisme et le nazisme sont-ils des « anticapitalismes de droite » ?

Jusqu’à un certain point, oui, dans leurs discours. Mais, en fait, ils vont s’allier avec le grand capital, aussi bien industriel que financier, pour arriver au pouvoir. Comme nous essayons de le montrer, il y a un aspect romantique dans le nazisme, mais il s’agit, en dernière analyse, d’un modernisme réactionnaire.

– Les romantiques, en sanctifiant le travail et en critiquant seulement le commerçant et l’usurier, courent le risque de basculer dans l’anti-modernisme réactionnaire. Tu cites Ruskin, Péguy, Sorel.  Tu as raison de pointer les ambiguïtés de ces auteurs, nous ne les ignorons pas. Cependant, aussi bien Ruskin que Morris sont très critiques du travail aliéné dans la société capitaliste. Quant à Péguy, nous ne pensons pas que le problème soit son rapport à la sphère de la circulation : c’est son nationalisme français antigermanique qui l’a fait tomber – littéralement – du mauvais côté, vers la fin de sa vie.

Bref, pour conclure, nous sommes bien d’accord que Ruskin, Péguy, Sorel, et tant d’autres, ne peuvent pas remplacer Marx et son analyse implacable du système : c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles nous sommes marxistes. Cependant, il ne faut pas oublier, comme tu le soulignes dans ton article, la dimension romantique chez Marx et Engels eux-mêmes. Par ailleurs, les romantiques enrichissent la critique révolutionnaire du capitalisme, en portant le fer sur des aspects moins explorés par la tradition marxiste.  Nous pensons que nous ne sommes pas en désaccord sur cela.

Encore une fois un grand merci pour ce beau papier, qui est en fait bien plus qu’un compte-rendu de livres.

Amitiés,

Michael Löwy et Robert Sayre

REPONSE d’ANSELM JAPPE

Cher Michael, cher Robert,

Je dirais que nous sommes d’accord sur un point essentiel, et que nous divergeons sur un autre point essentiel. Les auteurs qu’on peut qualifier de « romantiques » ont donné une contribution capitale à la critique du monde tel qu’il va (ou ne va pas), en pointant du doigt de nombreux ravages dont le marxisme progressiste ne s’apercevait même pas. Et il est également vrai que la force et la justesse de ces dénonciations ne sont pas nécessairement liées aux convictions politiques explicites de ceux qui les ont prononcées, comme dans le cas de Balzac. En effet, presque chaque auteur que vous citez est effectivement d’un grand intérêt pour ce qu’il dénonce, même s’il le fait à partir d’un point de vue inacceptable à d’autres égards. Ainsi, dans mes propres contributions à l’esthétique, et spécialement à la muséologie, je me réfère parfois à John Ruskin, malgré le caractère puéril de ses idées sociales générales. Je peux aisément me sentir parfois plus proche de certains auteurs « romantiques » que de la plupart des marxistes, et sur certains points précis je donnerais même raison à Ruskin plutôt qu’à Marx.

Mais cela n’empêche pas de reconnaître un autre fait. La société bourgeoise a non seulement produit sa propre apologie, mais également une critique partielle, superficielle, voire fausse qui est partie intégrante de son discours autant que l’apologie ouverte. Dialectiquement, la pensée des Lumières et les contre-lumières ont accompagné toute l’histoire du capitalisme, en frères ennemis, chacun se soutenant en pointant les défauts de l’autre. Il est évident que le faux anticapitalisme des nazis était pire qu’une apologie ouverte du capitalisme, et que l’esprit « anti-bourgeois » qu’ils aimaient afficher, ainsi que leurs références à la communauté et à la vie agraire, ou leurs invectives contre la « ploutocratie » ne permettent pas d’enrôler les nazis dans une espèce de front commun contre la « bourgeoisie ». C’est alors le cas le plus extrême d’une attitude plus amplement diffusée : attaquer la sphère de l’argent et du commerce – la circulation – au nom du travail. Il ne s’agit pas d’« un premier pas dans la bonne direction », c’est attaquer une partie du système capitaliste au nom d’une autre partie. Il faut examiner chaque fois ce que vaut une critique dans son contexte, au lieu de tenter d’en extraire la pépite d’or en faisant abstraction de tout le rocher. Si on lit hors contexte certaines phrases de Ratzinger, par exemple, on les croirait sorties d’un traité anticapitaliste pur et dur. Ce qui me parait douteux dans votre procédure, c’est la tentative de trouver un élément minimal commun chez tous vos auteurs. Et j’insiste que cet irénisme a trouvé, vingt ans plus tard, une actualité politique problématique au moment où beaucoup d’esprits qui se veulent critiques courent derrière chaque protestation qui se lève quelque part dans le monde contre un aspect quelconque du capitalisme, pour tordu que puisse être son discours, au lieu d’aider ces mouvements à se libérer de leurs limites – par exemple, en dénonçant le populisme irresponsable d’un slogan comme « Nous sommes les 99% ». [NdR : l’iconographie de la livraison de la RdL dans laquelle a été publié le compte rendu par Anselm Jappe des livres de Michael Löwy et Robert Sayre était consacrée au mouvement Occupy Wall Street.]

Quel lien entre cette question et le débat sur le romantisme ? Au moins ceci : l’esprit critique abdique à sa mission quand il commence à voir du positif partout et à gommer les différences au nom de l’efficacité du discours. La valeur de la tradition romantique – ou de sa partie meilleure – ne peut que se trouver renforcée si l’on indique sans pitié ses contradictions et ses horizons limités, ainsi que les dérives auxquelles elle peut donner lieu.

Amicalement,

Anselm Jappe

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2 Commentaires

Publié par le juin 29, 2012 dans Uncategorized

 

2 réponses à “Grandeur et limites du romantisme révolutionnaire, une réponse de Michael Löwy et Robert Sayre

  1. Ivan de la Pampa

    juin 29, 2012 at 10:40

    Excellent !

     

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