L’ Épisode du dimanche 2 février 2020 présenté par Karim Rissouli, nous offrait trois sujets principaux (je n’ai pas vu celui consacré à la shoah et à l’antisémitisme en fin d’émission)
1) la présentation du livre d’Emmanuel Todd 2) Le coronavirus et la Chine 3) La campagne des municipales des verts.
En ce qui concerne Emmanuel Todd et son dernier livre, nous avons déjà parlé ici en disant l’intérêt que l’on pouvait porter à son dernier ouvrage sur la lutte des classes en France même si sa remarque faisant de la lutte des classes une « passion française » aurait laissé dubitatif Karl Marx. Ce qui me permet par parenthèse de faire un sort à ceux qui m’accusent de prétendre « sauver » le capitalisme chinois pour des raisons « culturelles ». Je ne fais que suivre dans ce domaine le Karl Marx dans sa deuxième période, après la Commune, de plus en plus attentif aux civilisations et à la manière dont la lutte des classes s’exprime sous une dimension économique seulement « en dernière instance… »(lettre d’Engels à Joseph Bloch)
Mais revenons-en justement à l’ensemble de l’émission, pour laquelle on peut reprendre la réflexion de Richard Grossman: « le moyen de faire de la bonne propagande est de ne jamais avoir l’air d’en faire du tout » on invite Debray, Badiou et Todd, non seulement de gauche, mais anti-UE, et le reste de l’émission est centrée sur l’élimination du communisme, mais on s’y précipte parce que cela tranche avec Stephane Barbier.
Donc une première partie avait laissé le temps à Emmanuel Todd d’exprimer sa vision de l’appareil d’Etat répressif français et même de faire face à certaines accusations faussement portées contre lui. Il ne parle pas de dictature mais d’une forme originale de fascisation liée à la fois à la montée de la lutte des classes et à une base de classe d’une couche de diplômés qui appuie Macron et son action destructrice et liberticide. Ce fut intéressant et on peut noter la convergence des réflexions d’un certain nombre d’intellectuels y compris Badiou sur le sujet directement inspiré par les mouvements sociaux qui secouent la France mais pas seulement. Là encore le pays de la lutte des classes qu’est la France n’est pas seul mais participe d’un mouvement plus global face à la mondialisation capitaliste qui ne se limite pas à l’Europe, même si nous sommes concernés au premier chef par ces terrains spécifiques. Autre interrogation: quand on l’accuse de « complotisme », il répond qu’il fait référence à des classes sociales et passe directement à des acteurs diplômés issus de l’appareil d’Etat mais qui vont être les promoteurs du libéralisme autant que de la fascisation de l’appareil d’Etat mais cela existe dès les débuts du néo-libéralisme, avec le gouvernement Pinochet qui inaugure le système. Simplement ce qui a longtemps concerné les pays du tiers monde et a été imposé d’une manière soft par le mitterrandisme est en train de se durcir.
Mais surtout, il est regrettable qu’Emmanuel Todd ne soit pas intervenu après le troisième sujet sur la campagne des municipales des verts, il aurait pu utilement compléter son analyse très juste de la relation incestueuse entre Macron et Le Pen, par la mise en évidence d’un troisième pôle celui des écologistes. Un pôle, selon moi, destiné à remplacer une social-démocratie apparemment en voie d’extinction pour ré-équlibrer le binôme chancelant Macron-Le Pen. Non pas que les problèmes écologiques n’existent pas au contraire, mais réduire les problèmes écologiques à une vision hors classe sociale et réactionnaire est une des caractéristiques de ce mouvement tel qu’il apparaissait dans cette campagne. La limite de ce binome Macron-Le Pen en matière électorale était déjà apparue dans les européennes dans lesquelles effectivement il ne représentait au mieux que 45% des électeurs. Déjà se profilait la montée et qui risquait sans cet allié lui aussi pro-européen, néo libéral, de fait de faire perdre l’équilibre constitutionnel et européen qui devient un peu trop blocage du système. Le manque est encore plus évident au niveau des municipales et la république en marche tente la stratégie du coucou dans les alliances locales mais aussi le point d’appui avec ce faux opposant. Ce que l’on percevait bien dans le sujet présenté par l’émission, c’est à quel point il y avait là une manière de tenter de récupérer une jeunesse en voie de radicalisation qui correspond tout à fait à l’analyse de Todd. Notons qu’une fois de plus, le mot communiste a été effacé du sujet et quand on nous a fait la réclame pour le candidat écolo qui se présentait contre Lecoq, en faisant état de l’existence d’une municipalité de droite face à une liste de « gauche »… C’est clair il n’y a plus de PCF, pas plus que de luttes ouvrières, malgré son nombre de militants, d’élus, sa présence dans les luttes, dans la logique de Castaner il est rayé du paysage.
Mais le plus extraordinaire a été le sujet sur l’épidémie chinoise. Il y a rarement eu quelque chose de plus haineux contre un pays, de plus raciste (malgré l’intervention de deux jeunes chinoises sensées rétablir un anti-racisme de bon aloi). Cela allait jusqu’à présenter l’impassible Xi Xiping en train de faire une grimace féroce.
Tout était fait pour transformer une catastrophe nationale, celle d’une épidémie de grippe qui affecte bien d’autres pays même si les grippes et autres épidémies se déplacent non seulement d’est en ouest et du nord vers le sud avec retour, c’est-à-dire suivant des courants climatiques liés à l’humidité et au froid. Le sujet ne faisait pas appel aux scientifiques mais aux idéologues anti-chinois habituels. L’OMS selon eux était sous influence chinoise depuis qu’elle avait admis en son sein une représentante de la Chine, bref nous avions une vision paranoïaque digne de Trump matiné de l’éternel Orwell.
Ce qui était étonnant c’est à quel point les commentaires des images et des sujets étaient mal ou à peine travaillés. Ainsi, on décrivait la mise en quarantaine de la ville de Wuhan (capitale de la province de Hubei) en expliquant tout de suite que plus d’un million de Chinois s’étaient échappés de la ville bien sûr par la faute du gouvernement chinois, sans tenir compte du fait qu’avaient commencé les grandes migrations autour du nouvel an chinois. Mais pour illustrer ce discours sur l’incapacité du dictatorial gouvernement chinois à tenir son peuple, sa fourmilière, il y avait la photo de grands bâtiments dont s’échappaient des immeubles, où les gens étaient confinés, des cris « Wuhan » qui signifiaient la confiance dans leur ville, dans leur pays dans leur gouvernement.
Même impréparation, quand une voix off nous annonçait un « Chinois qui refuse de porter le chapeau », on voyait le maire de Wuhan qui au contraire expliquait que s’il était coupable en quoi que ce soit il acceptait d’être jugé. Après son témoignage la voix off du commentateur français reprenait: « ils ont trouvé un fusible »… on se demandait si le commentateur avait visionné le sujet… De même la construction de deux hôpitaux n’était pas porté au crédit de la Chine mais on voyait l’image des tracteurs avec le commentaire « c’est de la propagande ». Et tout à l’avenant. Y compris l’accusation portée contre le gouvernement de diffuser de la propagande parce qu’il avait montré à la télévision une danse célébrant le nouvel an et des danseurs proclamant la capacité de la Chine à vaincre ce fléau. Je venais de voir l’après-midi même le sujet sur la chaîne chinoise en français (canal 550) qui débutait effectivement par une proclamation patriotique mais qui montrait des ouvriers chinois construisant les deux hôpitaux et ne dormant que quatre heures par nuit, travaillant jusqu’à l’épuisement. Tous les restaurants étaient fermés dans la ville sauf un qui travaillait à perte et assurait les repas de jour comme de nuit pour des milliers de personnel de santé. Tous allaient à la limite de leur force.
En comparant ces deux compte-rendus je n’ai pas pu m’empêcher de penser au livre de Frances Stonor Saunders sur le rôle « culturel » de la CIA, « le mensonge nécessaire » visant ici à transformer l’effort et le patriotisme chinois en « totalitarisme », cela passe par une certaine conception de l’individu, forcement égoïste et toute tentative d’effort collectif est brocardée comme le chemin vers le totalitarisme. ce qui est vécu en Chine comme un combat où chacun abandonne ses intérêts propres et en ressort grandi devient dans une sorte de désenchantement individualiste fondé sur le mépris de l’humanité et d’une vile plèbe dénuée d’idéal la seule vérité possible.
Je dois dire que j’ai rarement vu une entreprise plus écoeurante que celle à laquelle nous avons été confrontés au cours de cette émission… Qui a été dupe de cette vulgaire manipulation, je m’interroge.
lemoine001
février 3, 2020 at 10:26
Je viens tout juste de terminer le livre d’E Todd. Il se voit tout de suite à sa lecture qu’il a été écrit et édité en toute hâte. La démonstration qu’il veut contenir est faible. A aucun moment il n’est dit ce qu’est une classe sociale. Elles sont découpées dans ce que permettent de saisir les statistiques disponibles, sans aucun recul critique. On a donc trois blocs disparates dans leur composition. D’un côté “la petite bourgeoisie CPIS » (19% de la population active), la “majorité atomisée » (50%); et le prolétariat (30%). Aucun de ces blocs n’est homogène. Il s’agit, non pas de classes sociales, mais d’ensembles à la composition très diverse. Et qu’elle est la base de cette composition ? eh bien, c’est justement ce qui est effacé alors qu’on prétend l’analyser ; la composition de classe de chacun de ces blocs.
De même les Gilets Jaunes sont pris comme un bloc homogène, alors qu’il était (et, pour ce qui en reste, est encore) traversé par des oppositions politiques claires : une aile de droite dans la mouvance du RN et une aile de gauche. Les violences qui se sont produites sur les Champs Élysées sont incompréhensibles si on ne voit pas que, dans le cadre de cette lutte interne, elles sont une tentative du bloc de droite d’écarter la gauche (qui refuse le recours à la violence). Cela rend vain l’espoir de le voir transformer le mouvement en une force politique.
Quant aux structures familiales, elles sont tantôt l’explication des phénomènes, tantôt quelque chose qui est effacé (on suppose par l’application du code civil qui a unifié le droit – en particulier le droit de succession). Toutes les notions comme « catholiques zombies » ou « mémoire des lieux – dans « où allons-nous? » – invoquées pour rationaliser tout cela, sentent l’improvisation.
Martin R
février 3, 2020 at 2:20
Merci pour votre commentair/compte rendu. J’avoue que je n’ai jamais eu le temps de lire autre chose que des essais sur l’empire américain de la part de Todd. J’apprécie beaucoup ses interventions sur les plateaux de télés ou radios mais on ne fait que rarement de compte rendu réels de ses bouquins. Je crois volontiers qu’il écrive des ouvrages en toute hâte comme vous dites car il tente d’être dans le « trend » ce qui est souvent salutaire mais son image est parfois écornée car iul lui arrive d’être brouillon. Il s’en sort par des pirouettes le plus souvent, ce qui n’est pas très favorable au mouvement social, qui a besoin d’intellectuels solides et profonds.