Je vous promets que ce que je vous écris là en manière de vœux je le pense et qu’il n’y a en moi pas le moindre regret, ni amertume par rapport à ce bilan d’une vie, je tente d’être sincère, je n’ai pas grand chose d’autre à partager avec vous.
Je reçois des photos de camarades avec mon livre comme cadeau de Noël, l’un d’eux précise qu’il faut relayer son annonce puisque l’Humanité organise sa censure. Cela me touche énormément et de fait cela correspond à une réalité puisque ce livre a trouvé son public malgré tout, grâce à vous les militants communistes. Alors je voudrais vous adresser mes vœux et tenter de partager avec vous le bilan d’une vie. Parce que ce n’est pas de moi dont il est question mais bien d’un témoignage qui est le vôtre, comment une subjectivité est-elle en capacité de dire l’universel. C’est tout le sujet du livre de Badiou qui compare le communisme à « l’invention » du christianisme par Saint Paul.
Je n’ai jamais accepté ce dont on a essayé de me convaincre à la chute de l’URSS, à savoir que le communisme n’avait été qu’une monstrueuse erreur. Je n’ai pas pu y croire, toute ma vie s’inscrivait en faux contre ce diagnostic et je suis partie à la recherche d’autres communistes qui pensaient comme moi. On a dit que j’étais « stalinienne », je l’ignorais mas je ne pouvais pas être autrement que ce que j’étais, impossible de renier.
Le communisme était un parti, mais il était bien plus que cela, parfois il pouvait même se présenter comme le contraire, si ce parti ne revendiquait plus l’émancipation de tous.
C’est le militant dans sa relation complexe à l’organisation qui fonde l’universel parce que le militant ne se laisse pas distraire par les généralités idéologiques et étatiques qu’on lui assène comme le politiquement correct, sa vérité est entièrement subjective et se fonde comme telle alors que l’appartenance est collective. Si je suis communiste c’est parce que je crois que l’humanité peut être différente, libre, juste et égale et qu’à ce prix là seulement la mort peut-être vaincue. Je suis fidèle à cette conviction, mais pas comme à une révélation mais bien un processus en acte dans lequel j’agis avec selon Badiou les trois principes proches de ceux du christianisme et en rupture avec lui puisqu’il a failli: celui du point d’où je suis et qui est ce qu’ils appellent la foi et moi la conviction, celui où je m’adresse au monde et qu’ils appellent la charité, l’amour, et moi ce cri « imbécile c’est pour toi que je meurs », celui qui impulse mon déplacement, ma dialectique qu’ils appellent espérance et moi aussi, un principe en acte contre l’injustice et la guerre, la liberté en est la résultante.
Cette subjectivité dit Badiou soustrait à l’état de la situation et j’ajouterai que c’est cette soustraction qui est aussi prise directe sur ce qui est en tain de naître et de se transformer… on sent l’herbe pousser et par moment pour moi, peut-être seulement pour moi, j’éprouve des joies intenses à me sentir en adéquation avec la nature, le cosmos, la peine des êtres humains et la trace que l’art laisse de leur passage. Je n’ai rien trouvé d’autre pour le signifier que ce rire d’enfant à côté de son chameau en train de saluer le soleil. L’idée que l’on est vivant et que l’on en hurle de joie.
C’est ça le plus difficile tout au long de la vie du processus de l’histoire confondue avec votre propre histoire: savoir ce qui est toujours vivant en vous malgré les déceptions, les trahisons. Mais c’est peut-être là que le matérialisme l’emporte sur l’idéalisme, quand on se sent proche de lâcher, on peut être sur que le capital vient vous faire la démonstration que rien ne le bat en arrogance et en nocivité, sans parler de son hypocrisie. Il est parfois aisé de lâcher prise, mais il est impossible de se rallier à eux alors on ne laisse pas la charette s’éloigner, on a suit du regard et on remonte malgré les cahots.
Bon voilà, je ne sais ce que vous avez compris de ce que j’ai tenté de vous dire mais il fallait que je vous le dise pour que la suite ait un sens.
Bien sûr que cela me choque l’interdit dont je suis victime dans l’Humanité et dans ma propre fédération, au départ j’en ai même souffert. En particulier quand l’injustice se combinait avec des souffrances personnelles, la mort d’un être aimé… J’ai pleuré, j’ai failli me dessécher, n’avoir plus de vie, celle-ci était en danger d’être étouffée par l’amertume… Mais il y avait ceux qui m’avaient aimée, les combats, l’idéal partagé, et je riais comme cette enfant du désert…
Tout cela n’est pas si grave, un jour un journaliste de libération m’a invitée à déjeuner, je venais de sortir un livre intitulé le Music hall des âmes nobles (titre emprunté à Aragon), il m’a proposé le marché suivant que je raconte dans mes mémoires : si vous nous dites ce qui se passe au Comité central on fait de vous un écrivain célèbre. Je lui ai répondu: « si je suis Aragon je n’ai pas besoin de vous! si je suis une honnête intellectuelle comme il y en a tant, laissez-moi mon honneur de militante, il vaut plus que ce que vous me proposez ».
J’avais raison et si c’était à refaire je le referais. Je ne trahirai pas Cuba quand il était à la mode de le faire, de suivre la fausse conscience d’un Robert Ménard. Je ne peux pas trahir Cuba parce que quand je voyais mon monde s’écrouler, ils sont restés debout et m’ont attirée contre eux dans la tempête…
J’ai eu une vie magnifique, j’ai rencontré des combattants qui en valaient la peine, connus ou inconnus peu m’importe et franchement j’ai appris que comme le dit Fidel en citant José Marti « toute la gloire du monde tient dans un grain de mais ».
C’est pour ça que j’aime le film de Terrence Malick, une Vie cachée, cette expérience d’un chrétien qui n’attend rien de ses choix, aucune lumière, aucune gloire, simplement la liberté d’être ce qu’il est, parce qu’il dit que le véritable héros n’attend sa liberté que de la conscience de devoir agir comme il le fait… et nous sommes nombreux chez les communistes à revendiquer cet héroïsme, en ce moment le gréviste de la SNCF a toute la gloire du monde, le reste n’est pas grand chose, d’ailleurs je ne sais pas si vous l’avez remarqué avec cette grève de Noël, cette lutte contre les retraites, le renouvellement de la parole militante, chacun intervient pour dire le refus mais le fait à sa manière, des gens jeunes plein de fougue qui ont leur manière de convaincre, d’être là pour témoigner… Une génération est en train d’apparaître, elle est singulière et dit se battre pour tous.
C’est ça l’essentiel
Louis Aragon 03/10/1897 – 24/12/1982
« L’homme communiste, ouvrier, paysan, intellectuel, c’est l’homme qui a une fois vu si clairement le monde qu’il ne peut pas l’oublier, et que rien pour lui désormais ne vaut plus que cette clarté-là, pas même ses intérêts immédiats, pas même sa propre vie. L’homme communiste, c’est celui qui met l’homme au-dessus de lui-même…
…L’homme communiste, c’est celui qui ne demande rien mais qui veut tout pour l’homme. Oui, il envie mille choses, le bonheur, la santé, la sécurité, mais pour tous, et au prix de sa santé, de son bonheur, de sa sécurité, de son existence. »
(L’homme communiste 1946)
Danielle Bleitrach
le 17 janvier, je serai à Beziers pour discuter avec les amis et camarades de l’Herault, au siège du PCF de Beziers
le 6 février je serai à Martigues, librairie l’alinéa
le 29 févier à Reillane dans les Apes de haute Provence, avec un film…
il y a d’autres rencontres prévues mais il faut encore fixer les dates et les lieux…