
Peu de tableaux peuvent rivaliser avec cette œuvre emblématique du XXe siècle. Les commémorations pour célébrer les 80 ans de sa création seront-elles à la hauteur de ce chef-d’œuvre ? Le défi est de taille.
On célèbre cette année l’anniversaire de la création du Guernica. Il y a 80 ans, Picasso donnait à voir au monde son œuvre maîtresse. L’enjeu était double pour l’artiste : proposer une esthétique marquante afin de diffuser un message de paix dans un contexte de guerre civile et d’essor des régimes totalitaires.
L’œuvre est un cri de douleur et une dénonciation, mais aussi un avertissement pour les générations futures. La situation politique actuelle est bien différente, mais non moins préoccupante. Le message ne semble pas avoir perdu de sa puissance. Les commémorations sauront-elles redonner au Guernica tout son sens?
1937 : répondre face à l’horreur
En juillet 1936 se produit en Espagne un soulèvement militaire dans le but de faire tomber le gouvernement républicain. À sa tête : le Général Franco, futur dictateur qui restera plus de 40 ans au pouvoir. C’est le début de la Guerre Civile qui durera jusqu’au 1er avril.
En janvier 1937, le gouvernement républicain espagnol demande à Picasso une peinture murale pour l’exposition mondiale de Paris. Le 26 avril suivant, l’Allemagne d’Hitler et l’Italie de Mussolini s’unissent à Franco et bombardent pendant plus de trois heures la malheureusement célèbre ville de Gernika. 40 avions sont envoyés, 85 % des édifices détruits, 1800 personnes civiles tuées dans la tragédie considérée comme le premier bombardement totalitaire.
Picasso décide alors de peindre le Guernica. Vous l’aurez donc compris : ce tableau est avant tout politique. Comme le dit le critique Eusebio Lázaro : « Avec ce tableau, Picasso signe son premier acte pleinement politique ». Son but : montrer au monde entier l’horreur vécue par la ville basque de Gernika, résister face au franquisme, au fascisme, à toute forme de dictature et de violence.
Le retour au pays
Après sa création, le célèbre tableau noir, blanc et gris a voyagé dans le monde entier avant d’atterrir aux États-Unis dans les années 40. Picasso ayant refusé qu’il se trouve en Espagne tant que le régime franquiste gouverne le pays, il faut attendre 1981 pour qu’il rejoigne Madrid, quand la démocratie est enfin installée.
Selon l’historien Santos Julia, « on peut dire que Guernica fut le dernier exilé à revenir au pays après la guerre civile ». Le tableau est donc resté, jusqu’aux années 80, un symbole de l’opposition au régime franquiste.
Commémorer un chef d’œuvre
L’Espagne multiplie les commémorations pour célébrer l’œuvre du peintre andalou. Expositions, tables rondes et débats télévisés, colloques et discours se multiplient dans le pays pour célébrer le Guernica. Picasso, l’artiste le plus emblématique du pays avec Vélasquez et Goya, est donc à l’honneur cette année.
Parmi toutes ces initiatives, l’exposition au Musée Reina Sofía est cependant celle qui semble avoir le plus de succès. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’énorme file d’attente qui se forme chaque jour devant le musée, dans le centre madrilène. L’exposition Pitié et terreur chez Picasso, le chemin vers Guernica bat des records d’affluence. On compte en moyenne 8 000 visiteurs par jour.
Le démesuré tableau est bien sûr présent. Se trouvent également une cinquantaine d’études préliminaires, ainsi que 180 œuvres signées par Picasso, provenant de la Tate Gallery (Londres), du Centre Georges Pompidou (Paris) ou du MoMA (New York). La passion pour l’œuvre du peintre est donc toujours bien présente. Mais pour quelles raisons? L’œuvre est-elle réellement comprise?
La dimension politique de l’œuvre oubliée ?
Comme vous l’aurez compris, par sa peinture, Picasso affirmait son rejet du franquisme et tentait d’attirer l’attention du monde entier sur les massacres qu’il causait. Cependant, même si la guerre civile est présente au fil des tableaux et des explications, Hitler, Franco ou Mussolini sont à peine évoqués, ou simplement ‘’en passant’’. Ce qui est assez étonnant pour une exposition qui propose de parcourir le chemin vers le Guernica.
De plus, malgré la présence d’œuvres comme Le rêve et le mensonge de Franco, l’atmosphère générale qui ressort de l’exposition est une volonté de s’approcher de l’esthétique et des thèmes de la peinture de Picasso avant l’œuvre de 1937, sans vraiment s’arrêter sur l’objectif politique initial : condamner le franquisme et les régimes nazis qui l’appuyaient. Espérons que les commémorations, dans son ensemble, soient au niveau de la force esthétique et politique de l’œuvre, toujours d’actualité aujourd’hui. Ou est-il difficile, encore aujourd’hui en Espagne, de mettre en avant l’aspect politique d’une œuvre condamnant le franquisme?
Jeanne Labaigt
octobre 11, 2018 at 3:00
L’article laisse de côté la polémique du « retour » en Octobre 1981.
Car le retour n’a pas été possible en Biscaye à Bilbao. malgré les demandes.
Le bourg de Guernica n’est pas une petite ville anonyme pour les Basques, c’est le lieu où les rois d’Espagne jusqu’à Isabelle II venaient reconnaître les « libertés » les « fueros » des Basques , devant l’arbre, le chêne de Guernika, c’est un lieu symbolique, politique. Autour de « l’arbre », Gernikako arbola » c’est l’hymne basque.
Le retour de l’oeuvre y a été interdit.
Non que je défende le nationalisme, mais les gens se sont senti liquidés et bombardés non seulement par ce qu’ils étaient Républicains et loyalistes, mais aussi parce que dans la République il y avait une certaine autonomie d’Euskadi et les victimes étaient basques.
Bien sûr Picasso n’avait pas en vue cette spécificité basque, mais au pays basque une sorte de mystique reliait les gens à ce tableau.
Le refus que le tableau y soit montré après le prétendu « retour accompli à la démocratie » a été très mal vécu. Cela a été vu comme la marque que la démocratie n’était pas accomplie dans sa totalité, et d’ailleurs les revendications à l’autre bout des Pyrénées des républicains Catalans en ce moment présent disent ce non accomplissement. Comme nous avons pu en faire l’analyse quand on voit comment le PCE a abandonné tout un pan de son combat et dans quel état de faiblesse il se trouve actuellement.
Il se trouve que j’avais visité Guernica adolescente avec des amis et mes parents en 1960 ou1961 c’était pesant et douloureux pour tous, j’ai été pour la première fois en Espagne centrale en 1980 et j’avais l’impression que les pesanteurs étaient toujours là.
Cet article dit bien la volonté politique et artistique de Picasso, antifasciste ( mais aussi membre du PCFet cela c’est toi qui doit le dire). Sa volonté farouche qu’il n’y ait pas de retour de l’oeuvre avant le retour de la démocratie, mais je reste perplexe devant le manque d’interrogation sur l’effectivité, en cette époque là et en celle-ci même d’un « retour à la démocratie accompli ».
etoilerouge
octobre 11, 2018 at 5:30
Heureusement le communiste ( pardon totalitariste?) PICASSO a fait qu’il est impossible d’oublier GUERNICA massacrée par les fascismes. Pas un mot sur l’attitude du gouvernement BLUM qui s’aligne sur le gouvernement anglais ( pas d’intervention) ce qui revient à laisser carte blanche aux fascisto nazis dont FRANCO ( qui plus tard adhère à l’OTAN) et dont la division d’élite AZUL sera détruite à STALINGRAD par le « totalitarisme « communiste qui nous a débarassé , un temps de la peste brune et noire des capitalistes nazis.
Je ne comprends pas l’étude du Monsieur d’aujourd’hui sur , je cite, l’immigration espagnole en Catalogne: ce régionalisme mène à l’essentialisme et est une des formes du nazismes d’alors ( les sudètes par exemple). Rien à voir avec des libertés Républicaines au sein d’une Espagne et non Catalogne Républicaine
Thérond Patrice
octobre 12, 2018 at 5:13
Bonjour,
je m’interroge sur « les objectifs » attribués à Picasso lors de la création de son tableau : « condamner le franquisme et les régimes nazis qui l’appuyaient ».
Tout d’abord mettre au pluriel « régime Nazi » me surprend un peu car si l’Italie subissait un régime fasciste peut-on le qualifier pour autant de Nazi ? Je ne pense pas et cela n’enlève rien au caractère insoutenable du régime mis en place par Mussolini, mais il faut rester précis et ne pas tout mélanger. Le nazisme est un fascisme avec des particularités (excuser le mot vu le caractère immondes de celles-ci) qui n’existait pas en Italie, ce qui ne rend son régime politique de l’époque moins condamnable.
Ensuite, sur la démarche de Picasso. Il y avait (et il y a) dans son tableau avant tout un cri de douleur, montrant ce que les atrocités vécues par la ville et ses habitants ont eu de terribles. Bien entendu ces atrocités ont été commises par les fascistes. Mais est-ce que Picasso avait comme objectif premier et unique, comme le laisse penser l’auteur de l’article, de dénoncer le fascisme ?
Il me semble que l’interprétation d’une oeuvre d’art doit être menée avec prudence et sans raccourcis un peu facile et surtout satisfaisant pour sa propre pensée politique.
Bien sûr Picasso a été communiste, engagé en tant qu’homme et aussi dans certaines de ses œuvres. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut lire et analyser toutes ses œuvres au travers de ce seul engagement. Que le tableau soit devenu après sa création et au cours des décennies suivantes un symbole ne fait aucun doute et c’est tant mieux. Mais au moment de sa création, la démarche créative de Picasso était-elle aussi tranchée et carrée, cela parait difficile à affirmer sans l’ombre d’un doute. Les critiques d’œuvres d’art sont complexes et il est parfois hasardeux d’analyser un acte de création en se plaçant non dans le contexte du moment de la création mais dans un contexte où l’histoire est passée et a fait connaitre beaucoup plus que ce que l’artiste ne pouvait savoir au moment de sa création.
Tout ceci n’enlève rien ni à l’engagement de Picasso ni au fait que les commémoration des 80 ans du tableau devraient être effectivement un outil pédagogique pour revenir sur ce qui c’est passé, le pourquoi, le comment en mettant en perspective le présent, qui devient bien sombre. L’auteur a de ce point de vue raison de soulever la question.
Dernier petit point, moi aussi le titre des recherches sur « l’immigration espagnole en catalogne m’a surpris », mais là également il ne faut certainement pas interpréter juste à partir d’un titre :-).
Cordialement.
Jeanne Labaigt
octobre 12, 2018 at 7:11
@etoilerouge
Je n’ai pas vraiment compris la remarque sur la Catalogne et les « régions ».
La seconde République qu’ a attaquée en Juillet 1936 Franco et les fascistes avait accordé un statut d’autonomie à la Catalogne en 1931. Au Pays Basque le statut d’autonomie qui concernait toutes les provinces historiques (dont la Navarre) n’a pas été accordé. Mais en 1936 à l’automne (après le début de la guerre menée par Franco) un statut d’autonomie a été promulgué. Il comprenait les provinces qui composent « Euskadi » actuel mais pas la Navarre.
Après le bombardement nazi de la ville capitale culturelle et symbolique du Pays basque Guernica et la défaite REPUBLICAINE, le gouvernement est parti en exil en 1937. C’était un gouvernement dirigé par Aguirre du PNV gouvernement nationaliste basque plutôt de droite mais républicain et il y avait des ministres socialistes et même un ministre communiste. (Dolorès Ibarruri était basque de naissance d’ailleurs même si elle vivait aux Asturies ,pays de son époux). Au Pays basque et c’était une spécificité: le clergé dans sa masse était Républicain et c’était une des régions industrielles et productive de l’Espagne avec une classe ouvrière importante.
Cette classe ouvrière était plutôt sensible à la conception antifasciste de la démocratie chrétienne et à la doctrine sociale de l’Eglise plutôt qu’à la conception marxiste, cela leur a pourtant permis pendant la dictature de survivre (voir les usines de Mondragon)
Donc il faut se garder de notre représentation Française de la République unifiée et indivisible. L’Espagne a toujours été multiple (le Roi était roi de « toutes LES Espagnes ») et c’est le franquisme qui a aboli les autonomies, la République catalane cela a signifié et peut être signifie encore avec les deux mots « République » et « Catalogne » pour beaucoup.
La devise de Franco était « una ,grande, libre » mais c’était l’Espagne fasciste et non la République et les autonomies qui prônait l’unité sans Autonomies mais avec des régions provinciales.
Le Bombardement sur Guernica a donc à voir aussi avec la question de l’autonomie comme structure interne de la République espagnole par opposition avec les Caudillos et les rois de droit divins …
etoilerouge
octobre 12, 2018 at 10:29
Comme vous le dites très bien la République espagnole a accordé l’autonomie à la Catalogne et d’autres anciens royaumes d’Espagne. Autonomie pas INDEPENDANCE ce que réclament les européistes d’aujourd’hui, INDEPENDANCE au sein de l’Union Européenne( qui est un ensemble militaire, politique et financier-OTAN USA, commission européenne non élue pouvoir total et euro de nature a faire s’esclaffer de rire face aux les partisans de cette soi disant indépendance laquelle rejette l’unité nationale, qui existe sous la République espagnole et pose la définition de cette nationalité catalane et de ceux qui en seront exclus tout en vivant là depuis maintenant ou toujours.
C’est le système des sudètes nazis où l’on cherche sous prétexte d’indépendance l’origine physique, biologique d’une prétendue nation. C’est typiquement nazi et provient d’ailleurs de l’idée nationale non civique mais de sang.
Vous me permettrez de défendre le point de vue des lumières donc et de la République, unité humaine et égalité des droits et libertés.
Quant à se demander si l’œuvre de PICASSO au delà de ses qualités plastiques dénonce ou pas le nazisme ( bien présent en Espagne par sa collusion de l’église , ses massacres massifs de Républicains pendant et après la guerre dite civile ( alors que des forces européennes y participent et que sans elles jamais FRANCO n’eut vaincu et que celui-ci était présent avec les nazis en URSS, son anticommunisme lié à la haine des droits et libertés ouvrières. Qui s’assemble se ressemble et même des jumeaux peuvent avoir des différences. Que pèsent-elles face aux points communs? Le fascisme d’ailleurs se matérialise avant la Révolution d’Octobre en ITALIE.
PICASSO avait toujours sa carte au PCF en 1971 lors de sa mort et vous vous demandez sila dimension politique est bien présente dans ce tableau? Revoyez celui consacré à la guerre de COREE.
etoilerouge
octobre 12, 2018 at 10:41
Qui s’assemble se ressemble vous pourriez me rétorquer qu’en 1939, le « pacte de non agression germano soviétique.. Mais même en ce cas l’armée soviétique n’a pas combattu avec l’armée nazi ce que fit l’armée franquiste. L’URSS est entrée dans la partie polonaise 15 jours après les combats menés par les nazis contre l’armée polonaise lors de leur prisse de pouvoir de Pologne. Aucun soldat ou policier ne combattit avec aucun nazi. Les franquistes OUI.
Donc la responsabilité des démocraties bourgeoises , de plus principales puissances d’Europe est totale. Aucun antifasciste, aucun Républicain , aucun citoyen attaché à la liberté et l’indépendance de la France ne peut accepter la trahison de BLUM et des gouvernements anglais au demeurant grouillant de pro nazi. L’actuelle reine d’Angleterre faisant la salut nazi et le Roi Georges qui abdiqua était une famille allemande et pro nazi. Car le nazisme a d’immenses points communs , souvent tus avec le colonialisme capitaliste, le maintien de classes inégales en droit et en fait, le refus des libertés et droits ouvriers, l’anticommunisme toujours enseigné de manière permanente dans l’actuelle Allemagne réunifiée et reprenant son cours pan germaniste.