Violences conjugales :
Première cause de mortalité chez les femmes

 

Par SAMINT

La probabilité qu’une femme soit assassinée par son partenaire, son conjoint, son concubin ou son ex est beaucoup plus élevée pour celle-ci que d’être tuée par un inconnu. Le domicile, de par son huis clos est le lieu où les femmes sont le plus en danger à savoir une « zone de non-droit ». Cet isolement de la victime de violences conjugales est amplifié par l’évidente tolérance des violences masculines de notre société, l’absence de formation adéquate pour TOUS les maillons de la chaîne (éducation, santé, police, justice, médias etc…) ainsi que par les successives coupes budgétaires de l’Etat allant jusqu’à la suppression du Ministère des Droits des Femmes.

Pour toutes ces raisons, la reconnaissance du féminicide dans le Droit pénal demeure une nécessité absolue, tout comme l’établissement de statistiques fiables sur ces assassinats de femmes parce qu’elles sont des femmes. Les violences conjugales ne sont pas des « cas isolés » ou le quelconque fruit d’une tragédie grecque, comme le relatent les journalistes qui parlent de « drame familial », de « drame de la séparation » et même de « crime passionnel » – alors qu’il s’agit d’un MEURTRE. D’autant plus que la séparation et/ou le divorce ne mettent pas fin aux violences machistes : une proportion importante de femmes sont assassinées par leur ex dans l’année qui suit la rupture, voire plusieurs années après. Les violences conjugales sont un véritable fléau et une réelle question d’ordre sociétal, humain et même économique tant les conséquences de la domination masculine sur la société sont nombreuses et à tout point de vue. Les hommes violents ont un sentiment de toute puissance et s’octroient le droit de vie et de mort sur tous les membres de la famille. Les enfants ne sont donc pas épargnés et doivent être considérés comme des victimes à part entière et non pas comme de simples « témoins » – ces hommes violents n’hésitent pas à commettre des enlèvements, des viols ou des infanticides. En outre, il faut également remarquer qu’un nombre élevé de femmes âgées sont tuées par leur conjoint sous le prétexte d’ « euthanasie » alors que l’inverse est rarissime.

 

 

Le déni

Les violences conjugales sont genrées et demeurent la première cause de mortalité chez les femmes bien avant les accidents de la route ou les maladies. Parmi les rares femmes qui apparaissent dans les statistiques comme « auteures » de violences au sein du couple, les institutions patriarcales prennent souvent soin d’occulter les nombreuses situations de légitime défense – lorsque les femmes sentent un danger imminent pour l’enfant ou réagissent pour leur propre survie. A noter qu’une femme meurt tous les 2,5 jours sous les coups de son (ex-)partenaire, conjoint ou concubin, soit 134 féminicides conjugaux en 2014 – sachant que les suicides forcés suite au harcèlement moral dans le couple ne sont pas répertoriés dans les statistiques officielles et qu’à cela s’ajoutent les 35 enfants tués par le « père » ou le beau-père. Les chiffres de 223 000 femmes victimes de violences conjugales chaque année et de 84 000 femmes de plus de 18 ans s’ajoutant au 124 000 filles mineures ayant subi un viol (sans parler de celles qui ont subi une tentative de viol) sont une estimation basse et loin de la réalité des choses – cela ne couvre pas l’ensemble des violences au sein du couple. L’Observatoire National de la Délinquance (OND) a mis en évidence un « très faible taux de révélation, de l’ordre de 9 %, ce qui signifie que 91 % des affaires restent impunies. », alors que plus de 8 victimes sur 10 sont des femmes. Pour rappel, les agresseurs sont dans leur extrême majorité de sexe masculin, et pas seulement pour les violences conjugales, puisque 97 % de la population carcérale est au demeurant masculine.

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La hausse de 28 % du nombre d’appels au numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences (3919) ainsi qu’une augmentation du taux de dépôt de plaintes sont des indicateurs à prendre en compte dans – l’analyse sociétale des violences conjugales – de même que la nécessité de mettre en œuvre rapidement des moyens financiers et matériels pour éradiquer ce fléau. En 2014 le Ministère de l’Intérieur a publié les résultats d’une « Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple » qui affirme que les statistiques actuelles des violences conjugales sont une « estimation minimale », et que pour ce qui concerne les viols et tentatives de viols dans « 37 % des cas c’est le conjoint qui est l’auteur des faits ».

Par ailleurs, même pour les rares victimes qui maintiennent leur plainte, le viol conjugal est très peu reconnu devant les tribunaux – ce qui est dans la continuité du faible nombre de condamnations pour viol – lorsqu’il n’est pas qualifié entre-temps d’«agression sexuelle» pour éviter la juridiction pénale. Par conséquent, l’agresseur bénéficie souvent d’un procès en correctionnelle et de réduction de peines. Les femmes victimes de violences conjugales ont généralement subi différents types de violences : « 7 femmes sur 10 déclarent avoir connu plusieurs épisodes de violences physiques autres que sexuelles » et, selon l’INSEE, « 70 % de ces victimes ont subi des violences répétées ». Les femmes enceintes paient également un lourd tribut à ce déni des violences conjugales. D’après l’UNICEF, les femmes enceintes sont « fréquemment victimes de violences et courent 2 fois plus de risques de faire une fausse couche. Lorsqu’une femme est victime de violences durant sa grossesse, son enfant a 4 fois plus de risques d’avoir une insuffisance pondérale à la naissance et risque 40 fois plus qu’un autre de mourir au cours de ses 5 premières années ».

L’absence de volontarisme politique pour lutter contre les violences conjugales est tellement manifeste qu’il est aisé de constater que les droits des animaux sont mieux dotés que ceux des droits des femmes avec un budget de 45 millions d’€ pour la SPA (Société Protectrice des Animaux) et celui de 20 millions d’€ pour les droits des femmes, soit moitié moins. L’arbitrage budgétaire de nos impôts en dit long sur le désintérêt des politiques en ce qui concerne l’égalité femmes/hommes. Ainsi, les femmes victimes de violence conjugales sont souvent obligées de chercher des places d’hébergement tout en étant confrontées au non-paiement de la pension alimentaire et au besoin de trouver une solution de garde d’enfant pour certaines d’entre elles. Les « survivantes » de violences conjugales se trouvent dans toutes les couches de la société, peu importe leur revenu, leur diplôme, leur religion, leur couleur de peau ou même qu’elles soient célèbres ou de parfaites anonymes. Ces femmes qui vivent un enfer dans leur foyer, sachez que vous les côtoyez au quotidien que ce soit au travail, dans la rue, dans une boutique, à l’école, à l’hôpital, au restaurant etc… .

Le déni de la société en matière de violences conjugales est tel que les institutions refusent de faire un travail sur les agresseurs (qui sont le plus souvent remis en liberté) et demandent aux victimes de fournir tous les efforts possibles et imaginables sans bénéficier d’un quelconque accompagnement. La violence institutionnelle succède alors à la violence conjugale, l’agresseur a le droit à une consultation médicale, à la présence d’un-e avocat-e et même à l’accès du dossier ce qui n’est pas le cas de la victime. Le traumatisme subi et la sidération des victimes au moment de l’acte de violence sont méconnus par les autorités policières et judiciaires : la victime doit fournir une multitude d’éléments ou de documents et ceci sans aucune aide matérielle ou psychologique notamment lors de l’organisation d’une confrontation avec l’agresseur. La prise en charge de la parole des victimes nécessite une formation adaptée ainsi qu’une connaissance des états post-traumatiques pouvant expliquer certaines imprécisions des victimes n’ayant parfois pas le recul nécessaire pour témoigner (ce qui se retourna contre elles et sera utilisé par la partie adverse lors de la procédure judiciaire).

Il est également demandé aux femmes violentées, abusées, harcelées, violées de surtout ne pas faire usage de la LÉGITIME DÉFENSE. Le procès de Jacqueline Sauvage est une parfaite illustration de cette justice patriarcale qui préfère s’acharner sur une victime au lieu de reconnaître les multiples « dysfonctionnements » des services publics – incapables de protéger les femmes et les enfants – en présence d’hommes pervers et violents. Son conjoint l’a battu pendant 49 ans et a violé leurs filles. Le suicide de son fils lui a permis de trouver la force de protéger sa famille en abattant ce monstre avec un fusil de chasse. Cet appel au secours pour s’extirper de ce climat de terreur que son conjoint exerçait, n’a pas été entendu par les institutions qui l’ont condamnées à dix ans de prison ferme. La société qui « savait » ne s’est guère souciée de leur sécurité et a permis au conjoint de jouir d’une totale impunité et au vu et au sus de tou-te-s. Les juges vont jusqu’à lui refuser son statut de victime en affirmant qu’elle aurait une « part de responsabilité dans le fonctionnement pathologique de son couple » et lui reproche de ne pas se sentir assez coupable – alors que la « justice » ne se soucient pas du sentiment de culpabilité des hommes qui tuent leur compagne. La violence institutionnelle s’exprime au travers d’une diversion, celle de reprocher à Jacqueline Sauvage la « médiatisation » de son affaire comme si elle l’avait orchestrée du fond de sa cellule. D’après le tribunal, Jacqueline Sauvage serait également coupable de l’émotion et du débat que cet acharnement judiciaire a suscité dans l’opinion publique qui ne la perçoit pas comme une « vulgaire meurtrière » ou comme un danger potentiel pour la société.

En Europe, la France reste en tête de peloton en matière de violences conjugales. En 2015, 1 femme sur 5 est victime de violences physiques au niveau européen. Selon les données de la Banque mondiale, « le viol et la violence conjugale représentent pour une femme âgée de 15 à 44 ans un risque plus grand que le cancer, les accidents de la route, la guerre et le paludisme réunis ». A l’échelle mondiale, les chiffres font également froid dans le dos. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) fait état dans un rapport qu’« 1 femme sur 3 dans le monde est victime de violences conjugales » soit 30 % des femmes qui subissent quotidiennement des violences de la part de leur partenaire. L’étude de l’OMS nous relate également des statistiques inquiétantes concernant le féminicide et la notion de santé publique puisque « 38 % des femmes assassinées ont succombé à la violence de leur partenaire intime et le risque de contracter des maladies telles que la syphilis, la chlamydiose ou la gonorrhée est 1,5 fois plus élevé chez les femmes victimes de violences physiques ou sexuelles de leur partenaire ».

 

 

La domination

Sandra Barnes qui fut chargée par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de suivre l’élaboration de la (première) convention du Conseil de l’Europe contre « les violences à l’égard des femmes et la violence domestique » avait rappelé que « la violence domestique est la première cause de mortalité chez les femmes âgées de 19 à 44 ans dans le monde, devant la guerre, le cancer et les accidents de la route ». La Convention d’Istanbul fut ratifiée par la France le 4 juillet 2014.

Le Conseil de l’Europe évoque également une évidence, à savoir « qu’il s’agit d’une forme de violence sexiste dans la mesure où elle est exercée sur les femmes parce qu’elles sont des femmes », il est donc question d’égalité femmes/hommes. Par ailleurs, en 1993, l’ONU avait reconnu que « la violence à l’égard des femmes traduit des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes, lesquels ont abouti à la domination et à la discrimination exercées par les premiers et freiné la promotion des secondes, et qu’elle compte parmi les principaux mécanismes sociaux auxquels est due la subordination des femmes aux hommes ». Les violences conjugales ne peuvent décemment pas être considérées comme une simple et banale « affaire privée » où les un-e-s et les autres s’autoriseraient alors à détourner le regard et du coup à ne pas porter assistance à ces femmes en danger qui risquent la mort.

Les inégalités femmes/hommes sont criantes face à l’existence de telles violences machistes à une aussi grande échelle, elles sont inévitablement une atteinte grave aux droits humains. Cette manifestation de la domination masculine doit être étudiée, tant sur le plan sociétal, individuel que familial, car elle vise à établir un rapport de dominant/dominée par la force, le harcèlement, la menace ou la pression psychologique. L’inexistence de programmes éducatifs sur le sujet ainsi que le refus de créer une « culture » de l’égalité filles/garçons y sont bien entendu pour quelque chose… comme nous avons pu le constater lors de l’abandon des « ABCD de l’égalité » (alors que la convention d’Istanbul exige justement la mise en place de ces programmes par les Etats membres).

 

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Le comportement violent à l’encontre des femmes au sein du couple a pour objectif le contrôle des femmes afin d’imposer sa volonté par les coups, l’humiliation, le dénigrement, les insultes, les menaces, le chantage, la séquestration, la mutilation, le « mariage » forcé, le mépris, les éclats de voix, les « ordres » contradictoires, les sarcasmes, le harcèlement moral, les sévices sexuels, la torture, la menace, la privation de liberté, la contrainte, l’atteinte à l’intégrité de la victime, l’enlèvement ou le meurtre de l’enfant etc… . Ainsi, l’agresseur souhaite volontairement nuire à sa partenaire (ou son ex) en exerçant un tel abus de pouvoir et de confiance – il s’agit d’un acte intentionnel mûrement réfléchi et non pas d’un « accident » de parcours. Les violences dites « domestiques » sont tout sauf de l’ « amour » ou de la « passion », mais une volonté d’entretenir les inégalités femmes/hommes. De ce profond et cruel irrespect des femmes qu’ils plongent dans l’isolement, la honte, le silence et le « stress conjugal », les hommes violents en tirent un sentiment de toute puissance. L’auteur de violences ose même transférer la responsabilité vers la victime qui finit paradoxalement par avoir un sentiment de culpabilité et d’échec face à cette situation d’incompréhension et/ou de confusion provoquée par l’agresseur. Un climat de terreur s’installe insidieusement, en crescendo, dans la vie de la victime et affecte ses moindres faits et gestes, ce qui l’empêche d’agir ou de lutter contre cette aliénation. Les femmes violentées, quel que soit leur milieu social, trouvent difficilement en elles les ressources suffisantes pour mettre un terme à cette souffrance causée par les violences masculines qui ne sont pas un comportement individuel mais faisant partie intégrante du système oppresseur qu’est le patriarcat.

Les violences conjugales ne sont pas des « actes isolés », des « accidents » ni un banal « conflit » ou encore moins les « symptômes » d’une relation « compliquée » mais un comportement totalement inadmissible censé être puni par la loi – quand la « justice » daigne faire son travail. Le partenaire violent souhaite établir une situation d’« abus de pouvoir » dans la relation intime qui le lie à la victime en utilisant continuellement le rapport de force pour mieux la contrôler, tout en alternant de rares moments d’apaisement. Ces comportements violents, dans la durée, ne cesseront alors de se multiplier et d’augmenter en termes d’intensité à tel point que la mort reste parfois le seul moyen d’échapper à ce climat de terreur permanent. Au delà de l’intention de nuire, les violences conjugales n’ont qu’un seul but, celui de dominer en faisant souffrir la partenaire par le biais de l’isolement, du harcèlement, du dénigrement, de l’humiliation, de l’intimidation, de la menace, du chantage, des injures, du viol, de l’agression physique etc… . L’homme violent cherche aussi à enlever toute autonomie financière à sa partenaire ou carrément à s’approprier ses revenus. L’emprise psychologique s’exerce ensuite par le contrôle de ses paroles tout en surveillant ses moindres faits et gestes afin de déstabiliser la victime, qui se heurte de plus à l’incompréhension de son entourage. L’agresseur porte délibérément atteinte à la dignité et à l’intégrité de sa partenaire qui se retrouve prise au piège dans l’engrenage des violences conjugales du fait de son conditionnement psychologique.

Le rapport de domination induit une exploitation, qu’elle soit économique, sociale et/ou sexuelle des femmes que l’emprise sur les victimes favorise amplement. Une dépendance affective fera le jeu de l’agresseur – dans sa volonté de possession de l’autre – qui n’est plus un être humain mais une chose. Notons que les hommes violents envers leur (ex-)partenaire ne le sont pas forcément en société et arrivent même à cultiver l’image d’une personne sympathique voire même joviale, d’où la difficulté de les identifier en tant que tels pour l’entourage ou le voisinage. Ces hommes violents savent être « charmants » dans la vie sociale tout en étant de véritables bourreaux dans leur relation de couple, avec le recours aux six formes de violences conjugales (verbale, psychologique, physique, sexuelle, économique et administrative) qui fait partie de leur stratégie de contrôle du partenaire.

Il n’y a pas de mode opératoire unique dans l’usage des différentes formes de violences conjugales puisque l’agresseur s’adapte en fonction des réactions de sa partenaire ou affine sa stratégie selon le contexte. Cependant, nous pouvons affirmer qu’il existe bien quatre phases dans le cycle dangereux des violences conjugales : le climat de tensions, la crise, la justification et la « lune de miel ». L’agresseur n’hésite pas invoquer des prétextes tels que le stress, la prise de drogues ou de médicaments par exemple et utilise aussi la manipulation pour justifier ses actes de violences (punis par la loi rappelons-le !). Le partenaire violent va même jusqu’à inverser la charge de la responsabilité sur la victime elle-même. Les violences conjugales ont clairement pour objectif de dominer l’autre, les hommes violents sont tout à fait conscients de leurs actes : la violence conjugale n’est pas une maladie mentale.

 

 

Les violences conjugales doivent être considérées comme un sujet éminemment politique, qui concerne cette moitié de la population que sont les femmes, et il est de la responsabilité des pouvoirs publics d’assister des personnes en danger de mort. Le foyer est paradoxalement l’endroit où les femmes sont le moins en sécurité et où l’agresseur bénéficie d’une grande impunité du fait de l’inaction des politiques ou bien de la passivité du voisinage, de l’entourage ainsi que des institutions elles-mêmes. La société patriarcale tolère tout naturellement les violences masculines et encourage les hommes violents à dominer, assassiner, harceler, violer, battre leur partenaire qui n’ont pas le droit de faire usage de la légitime défense. Cette tolérance donne aux hommes un « permis de tuer » et accentue les évidents et inégaux rapports sociaux de sexe. Les violences conjugales ont un coût important sur le plan humain mais aussi économique et social pour toute la collectivité. Le déni de la société tue. Et le silence profite toujours à l’agresseur.

 

 

 

Sources :

 

 

 

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