Lundi matin à la Havane, est décédé à l’âge de 85 ans, le combattant révolutionnaire Jorge Risquet Valdés-Saldaña, victime d’une longue et grave maladie. Jorge Risquet que j’ai connu en 1994, à Chandighar où nous représentions tous deux lui le parti communiste Cubain, moi le parti communiste français, était un homme plein d’humour, un vrai Cubain, mais surtout un révolutionnaire qui avait consacré sa vie à des valeurs qui nous étaient communes, celles du communisme, et il était attaché à son peuple, à son indépendance face à l’impérialisme. On peut résumer Jorge Risquet à ces quelques traits essentiels et pourtant c’était un homme subtil, romantique et d’une courtoisie de grand seigneur. Il a joué un rôle déterminant dans mon amour pour le peuple cubain, ce peuple magnifique, cette île superbe qui restera à jamais dans mon cœur comme une écharde.
Il est né le 6 mai 1930 à la Havane. Il m’a souvent raconté son enfance dans un solares, l’habitat collectif des plus pauvres, comment lui et sa sœur, très bons élèves allaient alternativement à l’école et après donnaient des cours aux autres enfants du quartier qui n’avaient pas les chaussures nécessaires pour être acceptés à l’école. Ses parents étaient déjà des révolutionnaires, des ouvriers du tabac, sa mère était espagnole métissée africaine et son père chinois. Il se moquait en disant qu’il lui manquait seulement d’avoir un océanien pour regrouper en lui tous les peuples, toute l’humanité. Il m’expliquait aussi comment sa sœur née le jour de l’assassinat de Melia, le dirigeant communiste cubain n’avait jamais pu fêter son anniversaire tant sa famille pleurait ce romantique dirigeant. En 1943, il a occupé différentes responsabilités, chez les Jeunesses socialistes et le parti socialiste populaire, entre autres, comme directeur du journal « Mella », Secrétaire de l’organisation et Secrétaire général du Comité national de la Jeunesse socialiste, organisation à laquelle il appartenait depuis l’âge de quinze ans, quand il rejoint le mouvement de la jeunesse révolutionnaire. C’est dans cette organisation du parti socialiste Cubain, le premier parti communiste, qu’il devint l’ami de Raoul Castro, dont il fut jusqu’au bout un proche et un conseiller.
Pour son attitude révolutionnaire, il a subi plusieurs arrestations et des procès sous les différents gouvernements. Il avait été torturé par Batista, frappé, les ongles arrachés il n’avait pas parlé… Sa vie entière était vouée à ses combats, j’ai rarement rencontré un individu aussi engagé, totalement engagé, il se moquait parfois de lui-même en disant d’un air réprobateur: « je suis si sectaire »… Ce n’était pas totalement faux… En effet il n’y avait ni amour, ni amitié capable de le détourner de ses engagements, rien ni personne ne l’aurait pu, ce que nous avions en commun, selon son mot, c’était notre âme, nos combats… C’était un grand seigneur, un enfant du peuple devenu un hidalgo à la mode cubaine, rude et pourtant raffiné, ainsi il m’avait offert le livre que lui avait dédicacé son ami le grand poète cubain, Nicolas Guillen, en me disant: je tiens énormément à ce livre, c’est pour cela que je te l’offre… Il était moqueur mais jamais cynique, homme d’honneur et fin diplomate, guerrier et plein d’idéal. Il se moquait de mes naïvetés, en me disant « tu manques de ‘picaresque’, ce qu’un pauvre apprend en naissant dans un solares.
Il était le représentant de Cuba et le chef de l’Amérique latine dans la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique et il avait à ce titre rempli la Mission internationaliste au Guatemala en 1954. Il y croisa le Che. Ils furent tous deux rapatriés au Mexique après l’assassinat d’Arbentz par les USA, grâce à l’intervention des peintres muralistes… Il était Cuba, mais comme une sentinelle de nuestra america selon les mots de José Marti, l’écrivain prophète, le révolutionnaire patriote dont il ne se lassait pas de lire et de relire les œuvres. Il m’expliquait souvent qu’il fallait que je le traduise et fasse connaitre ce géant dans mon pays.
Au cours de la tyrannie Batista il a été enlevé, torturé et emprisonné. Puis dans l’organisation « Frank País », il s’est joint à l’armée rebelle en 1958 dans le Front de l’Est II.
Lors du triomphe de la révolution, il a eu les responsabilités de chef du département politique et chef des opérations de l’armée dans l’ancienne province d’Oriente ; Il demeurait très attaché à cette province d’oriente dont il fut Secrétaire provincial à l’organisation du parti unifié de la révolution socialiste cubaine au moment des fusées de Cuba, encore un moment historique dont il me fit le récit et il me racontait ce jour où les protagonistes se réunirent pour rejouer l’affaire, me décrivant les exclamations des américains découvrant jusqu’où les Cubains étaient prêts à aller. C’était une élucidation de l’histoire mais aussi une mise en garde aux adversaires de toujours: Cuba payera n’importe quel prix pour son indépendance.
Cuba toujours mais avec des responsabilités internationalistes ; Ainsi il fut Chef de bataillon internationaliste « Patrice Lumumba » au Congo Brazzaville, là encore il m’expliquait comment Fidel les avait envoyés là pour veiller sur le Che en expédition au Congo. Il me montrait la montre que Fidel lui avait offert avant son départ en lui recommandant : ‘Sacrifiez votre vie mais protégez le Che ». Ils s’installèrent au Congo Brazzaville, y déjouèrent un coup d’Etat et ce fut le début de l’intervention cubaine, la plus désintéressée en Afrique ; Ministre du travail, il me montrait son ancien ministère dans le Vedado en indiquant en particulier la crèche qu’il avait fait construite pour les employés du ministère ; Responsable de la Mission internationaliste cubaine civile dans la République populaire d’Angola entre 1975 et 1979, il a travaillé avec l’historien Piero Gleijeses avec comme seule ambition de faire connaitre le rôle joué par Cuba dans l’émancipation africaine.Il taisait son propre rôle et me disait: « il suffit que les amis me connaissent ». Et effectivement les amis africains savaient son rôle.
Il présida la délégation cubaine aux négociations quadripartites (Cuba-Angola-USA-Afrique du Sud) en 1988. C’est un grand diplomate, il m’a dit à quel point Henry Kissinger lui paraissait surfait. Les amis Vietnamiens qui avaient déjà négocié avec lui, Lê Đức Thọ en particulier lui avaient expliqué comment prendre ce vaniteux personnage. Moqueur, il disait: « Kissinger a écrit ses mémoires jusqu’à l’Angola, mais il n’est pas allé plus loin tant il a été mis à genoux » Il savait feindre la colère, mais celle-ci était bien réelle quand il me parlait de Mobutu qui avait trahi l’Afrique et son peuple. Il aimait Sankara et les révolutionnaires de la grenade, il les avait pleurés comme sa mère me disait-il avec de gros sanglots.
Membre du Comité Central du parti depuis sa création ; du Secrétariat de 1973 à 1990 ; Depuis sa fondation jusqu’en 1993, il fut élu membre du Politburo de 1980 à 1991 et membre de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire.
Il était diplômé en journalisme, fondateur de différentes publications et auteur de nombreux articles et a conseillé le processus de création et publication d’ouvrages importants, notamment relatives à la lutte de libération des peuples de l’Afrique. Un autre lien nous unissait, notre passion commune de l’histoire et notre volonté de voir restituer la vérité sur le combat des communistes.
C’est un des hommes qui m’a le plus appris sur le plan politique. Souvent quand le parti m’envoyait dans un pays qu’il s’agisse du Mexique ou de Haïti, il faisait venir le responsable du Comité central chargé dudit pays et celui-ci me faisait un exposé. il a accompli pour moi le même travail lors de la venue de jean paul II à Cuba. Il était à la fois d’une grande finesse et d’une extraordinaire lucidité, allant toujours à l’essentiel et dans le même temps jamais il ne renonçait à la pureté révolutionnaire de ses engagements. C’est lui qui m’a expliqué qu’il y avait quelques fondamentaux qu’aucun politique digne de ce nom ne pouvait ignorer, ainsi Cuba ne pouvait jamais oublier qu’il avait à quelques encablures le plus puissant des ennemis attaché à sa perte et la Chine qu’elle avait un milliard et trois cent mille de Chinois à nourrir…
Il était peu à peu devenu pour ses compatriotes l’ancêtre fondateur du parti communiste de Cuba, celui qui faisait le lien avec les racines prolétariennes, qu’il s’agisse des syndicats ou de l’armée rebelle, avec les combats, son amour de l’Histoire tenait aussi de cela. Pour services rendus, il a reçu plusieurs prix et reconnaissances mais ce à quoi il aspirait était la victoire de ses idéaux..
Son corps va être incinéré et ses cendres seront exposées demain mardi, entre 09:00-12:00 m, dans le Panthéon des vétérans du cimetière Colon. Plus tard, à une date qui sera fixée, il sera transféré au mausolée du deuxième front Oriental Frank País. j’aurais tant aimé lui dire adieu une dernière fois.
Danielle Bleitrach