RSS

Guide de la Russie soviétique : « Le sentiment encore intact d’œuvrer ensemble à quelque chose de juste »

06 Déc

publié Samedi 6 décembre 2014

« Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur ; celui qui souhaite sa restauration n’a pas de tête » : la formule de Vladimir Poutine est célèbre. L’Union soviétique demeure l’objet de tous les fantasmes et clichés : entre utopie et enfer. L’époque soviétique est proche encore, elle a formé les mentalités de ceux qui dirigent et façonnent la nouvelle Russie, et son ombre continue de planer sur les lectures des relations géostratégiques internationales ; mais elle est aussi assez lointaine pour, par exemple, constituer le décor de bars vintage branchés des capitales. Ce mois-ci, c’est dans un voyage non plus spatial mais temporel que vous emmène Le Courrier de Russie – à travers plusieurs lieux de Moscou, à la recherche du parfum, des couleurs et des mélodies du temps soviétique perdu.

http://www.lecourrierderussie.com/2014/12/guide-russie-sovietique/

Pour Babylone

Le grand pavillon des réalisations soviétiques, gigantesque vitrine d’objets n’ayant jamais existé que pour la galerie. La vaste exposition païenne dans une Russie qui méprise le quotidien, n’a pas ou si peu de rapport aux affaires courantes, au matériel et à la chair. À la grande époque du VDNKh, seul le pavillon du Cosmos avait une réalité et du sens – inébranlable rêve du Ciel. Le VDNKh, c’était toute l’illusion de la parade soviétique, toutes ses démonstrations formelles auxquelles, d’ailleurs, personne n’a jamais cru. Et puis, le site des expositions a pris la couleur de son temps dans les impitoyables années 1990 : défraîchi, dégradé, le VDNKh est devenu une vaste ruine, un bazar géant à bibelots chinois. Aujourd’hui, la mairie de Moscou, après les grands chantiers des jardins historiques de la capitale, s’est attelée à l’entreprise de transformation du parc et des pavillons d’expositions. Le VDNKh sort de son abandon et devrait devenir un nouveau lieu d’attractions – loisir et divertissement. Dans l’air du temps : une patinoire géante et des vélos en location en lieu et place du Palais de l’amitié des peuples. Et table rase !

Les 75 ans de l’Exposition des réalisations de l’économie nationale. Centre pan-russe des expositions.
www.vdnh.ru

Pour leurs chants

Musée d’État d’Histoire du GOULAG

La mémoire du Goulag se refuse au repentir. Il serait trop simple d’ériger un Nuremberg de l’URSS, de décréter l’existence de victimes et de bourreaux, de lire l’Histoire – comme l’Occident s’y complaît depuis quelques décennies – en blanc et noir. Le Goulag, c’est une infinité de nuances de gris. L’évidence : les répressions et les grandes purges, les faux procès, toutes les possibilités de douce réforme tranchées au vif. Oui, mais : deux siècles de révolution industrielle à rattraper en trente ans, des territoires de toute façon impraticables, une révolution à faire par le haut au pays de l’immense inertie. L’exil et le bagne ne sont pas nés dans la tête des commissaires du peuple : ils sont une partie intégrante – nécessaire ? – de l’histoire du vaste Empire. Le Goulag et ses « routes sur les os » des prisonniers-bâtisseurs que l’on n’avait même pas le temps d’enterrer comme un symbole du revers de l’utopie. Mais faut-il renoncer au rêve ? Et ne vous y trompez pas : si la Russie a si peu de musées physiques de ses camps, ce n’est pas qu’elle se cache les yeux – simplement sa littérature, l’immense Chalamov en tête, lui en tient lieu. Et ô combien !

Musée d’État d’Histoire du GOULAG, oul. Petrovka, d. 16.
www.gmig.ru

Pour Stalingrad

Mémorial de la Mère-Patrie, Kourgane Mamaïev. Volgograd.

Mémorial de la Mère-Patrie, Kourgane Mamaïev. Volgograd.
www.stalingrad-battle.ru

Pas de voyage au temps de l’URSS sans la mémoire de la Grande Guerre patriotique. Le souvenir profondément complexe, probablement la plus grande gloire et la plus grande tragédie du siècle pour le vaste pays. La capitale a bien ses musées et mémoriaux, mais c’est à Volgograd que bat le souvenir du conflit – au Kourgane Mamaïev. Sur la colline où l’herbe n’a longtemps pas repoussé, où la terre regorge encore d’os et d’éclats d’obus. Sur le monument à cette jeunesse sacrifiée, innombrables héros malgré eux. Car les Russes aussi auraient pu rester terrés chez eux, après l’Europe foulée aux pieds. Mais il fallait bien que quelqu’un ait le courage de résister – pour la survie de la terre, mais aussi de valeurs. Une certaine idée de la bonté – chrétienne – et de la dignité de l’être. Le souvenir bat dans l’épée de la statue – la plus grande du monde à l’époque de son érection – au visage de Méduse, à la fois terrifié et redoutable. Son glaive, elle ne le lance pas dans un défi aux cieux – elle s’efforce simplement, en réalité, de le tenir le plus éloigné possible des hommes. « Si tu veux la paix, prépare la guerre », disait l’adage. Défendre sa vérité intérieure, coûte que coûte.

 
 
https://www.youtube.com/watch?v=qifMz3Zhicw&feature=player_embedded

Pour le grand bouleversement

S’il n’en restait que deux. Avant-garde par-ci, avant-garde par-là : l’école sert à toutes les sauces, et sa mémoire se perd dans les célébrations. Côté clair, s’il ne fallait conserver qu’un apport de l’Union soviétique au monde, il serait incontestablement artistique – dans le sens où l’idée de l’art pour tous, de l’art au service de la vie quotidienne et concrète, cette idée qui continue de diriger l’ensemble de nos représentations aujourd’hui, si elle ne s’est pas développée exclusivement en URSS, y coïncidait avec une volonté du pouvoir révolutionnaire et y a donc trouvé son plus large – et libre – espace de déploiement. Et de ces artistes qui ont renversé les perceptions et éjecté la quête de beauté hors des salons pour l’envoyer à l’usine, le couple Rodtchenko-Stepanova est parmi les plus représentatifs. L’exposition « En visite chez Rodtchenko et Stepanova », de par son caractère monumental et total, a l’intérêt, par le biais d’une approche personnelle de ces pères fondateurs du design soviétique, de rendre tout le bouillonnement de leur époque : les ateliers Vkhoutemas et la collaboration avec Maïakovski, l’Exposition universelle de 1925 à Paris et les décors des mises en scène de Meyerhold… : tous les grands moments de la naissance et de l’évolution de l’avant-garde soviétique, cette matrice universelle de tous nos arts contemporains.

En visite chez Rodtchenko et Stepanova, exposition – du 26 novembre au 8 mars. Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Volkhonka, 12.
www.arts-museum.ru

Pour le rêve

L’enfance soviétique comme une enfance idéale – épargnée par la politique sinon par la vie même. Le musée de Moscou ouvre une exposition de chair. Entre objets et photographies, on plonge dans l’univers de ces enfants soviétiques, des années 1960 aux années 1980, dans un monde dont la première caractéristique est peut-être l’uniformité. D’un appartement à l’autre des capitales et même d’un bout à l’autre du vaste pays-continent, à peu de choses près les mêmes références – les mêmes livres, jouets, vêtements, emplois du temps. La littérature enfantine et les dessins animés d’abord – refuge de nombreux poètes géniaux lassés par la censure stupide et qui trouvaient là un espace libre – en oblique – de création. Les organisations collectives, ensuite, et le sentiment encore intact d’œuvrer ensemble à quelque chose de juste. Ramassage du maïs et des patates, premiers bals lycéens, explosion de liberté individuelle dans les datchas qui mettaient du beurre dans les épinards et sauvaient le moral des contraintes des appartements communautaires… L’enfance de l’URSS : la période vue sous un angle inédit – et renversant.

Enfance soviétique, exposition – du 28 novembre au 15 mars. Musée de Moscou, Zoubovski bulvar, 2.
www.mosmuseum.ru
 
Publicité
 
1 commentaire

Publié par le décembre 6, 2014 dans HISTOIRE

 

Une réponse à “Guide de la Russie soviétique : « Le sentiment encore intact d’œuvrer ensemble à quelque chose de juste »

  1. moret

    février 12, 2015 at 7:51

    Merci pour ce texte, c’est l’image que j’ai de l’Union Soviétique et de la Russie d’aujourd’hui. J’y ai voyagé en 1973, nous avons fait la grève dans le bus pour aller dans les Kolhoses et les usines après une semaine de musées Lénine et de la Révolution, et ca a marché, nous avons eu droit à 2 semaines dans différentes usines et kolkhoses… Beaucoup d’entre nous ont pris la carte du PCF en rentrant, dans le groupe il y avait beaucoup d’ouvriers, de salariés et des étudiants en langue russe qui nous servaient d’interprètes directs… 1/3 de chaque…

     

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

 
%d blogueurs aiment cette page :