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L’empan de la mémoire et l’image aux rencontres d’Arles…

21 Juil
L’empan de la mémoire et  l’image aux rencontres d’Arles…

Hier j’ai passé la journée à Arles, je n’ai pas voulu tout voir,  l’exposition dure jusqu’au 18 septembre j’aurais le temps peut-être de jouer les prolongations, peut-être!.

 j’ai choisi trois lieux, en fait soyons honnête le hasard a aussi présidé à cette élection,  dans chaque lieux une ou plusieurs découvertes. D’abord l’espace Van Gogh, la documentation et l’historiographie révolutionnaire mexicaine et Graciela Iturbide:

Une exposition est consacrée à des vintages de la Révolution mexicaine (1910). Le  tirage vintage désigne un tirage photographique qui date du temps de la prise de vue et a été effectué par le photographe lui-même ou sous son contrôle. Un des premiers moments de la photographie documentaire moderne saisi dans l’instant, restitué. C’est ma préoccupation actuelle: à partir d’un film, interroger la mémoire historique, le témoignage de l’image la manière dont a été construite une interprétation de l’histoire à partir de ce qui selon la vulgate ne saurait mentir puisque je le vois. A la seule question près que comme dans les autoportraits, celui qui est représenté et qui me regarde droit dans les yeux est un menteur comme lui et moi…Une manière de retour aux sources pour remettre en cause la manière dont la Révolution de 1910 a été captée par une historiographie officielle qui lui a ôté sa charge véritablement révolutionnaire, l’a instrumentalisé au profit d’un Parti devenu Révolutionnaire Institutionnel. L’exposition revendique un pluralisme du regard c’est-à-dire non seulement la fin des possédants et de leur monopole mais plus scandaleux encore le pluralisme dans l’interprétation de la révolution et de ses dynasties au pouvoir.

Imaginez que quelqu’un ait des doutes sur l’image de Sarkozy méditant devant le cercueil des soldats tombés en Afghanistan, qu’il nous sorte de derrière les fagots des images qui montre à quel point la guerre c’est moche, l’assassinat par exemple d’enfants menottés. Tiens au fait, ce devait être l’année du Mexique, d’ailleurs ce 14 juillet, un groupe de jeunes communistes mexicains a manifesté devant l’ambassade de France à Mexico pour protester contre la politique impérialiste de la France en Afrique et ailleurs…   

A côté de moi un homme feuillette le livre de cette histoire quelque chose entre l’illustration, Paris Match et l’histoire positiviste radicale d’un Lavisse. Un livre posé sur une table, écrit en espagnol, la bible de l’historiographie.  Je proteste parce qu’il change la page en le  feuilletant machinalement. Le livre  était ouverte sur les photos et le récit d’une manifestation ouvrière à la Chambre des députés mexicains. Je proteste parce que c’est justement cette présence ouvrière en 1920, une manifestation de soutien à  la Révolution bolchevique, qui a été effacée… Et cet homme qui  en resté au meilleur  des cas à la folklorisation de la révolution de 1910, sans le savoir, une fois de plus, par son geste inattentif ferme ce que cette exposition prétendait ouvrir.Il est vrai que l’exposition est peu bavarde et son propos a toute chance de passer par dessus la tête du plus grand nombre… 

    Je retourne alors dans le cloitre de Saint Trophime.Chaque coin de rue réactive le passé… Le coup de la madeleine… Quand j’ai commencé mes recherches d’historienne en 1960,  mon mémoire de maîtrise portait sur l’étude des chapiteaux, avec Duby comme directeur de recherche,  l’histoire des mentalités ,l’imaginaire historique, le dimanche de Bouvine, la place des femmes ?…Je fais le tour du cloître en retrouvant les thèmes, les sculptures, j’effleure le bord d’un puit poli à force d’avoir été caressé.  J’avais dix huit ans quand  j’ai scruté l’énigme de ces chapiteaux, c’était la guerre d’Algérie, j’ai manifesté alors contre De gaulle sur la place de la mairie d’Aix, j’ai sorti de mon manteau une banderolle sur laquelle était inscrit « Paix en Algérie », les CRS ont paru voler sur la foule, ils nous ont littéralement cueillis et j’ai été conduite d’abord dans leur car puis dans le local de la garde à vue du Commissariat de la place Jeanne d’Arc, nous y avons passé la nuit. le lendemain matin interrogatoire, nous étions 5… J’ai volé un tampon des flics, je me croyais communiste j’étais une parfaite anar… Dans le hall d’entrée Duby, le doyen Guyon étaient venus réclamer notre libération, en fait nous courrions joyeux dans les escaliers et Duby en riant nous a dit : « C’est l’univers concentrationnaire »…  Et je travaillais sur l’iconographie des chapiteaux, j’ai vu le soir même le tombeau hindou de Fritz Lang, ce fut un éblouissement mais j’étais amoureuse et cela faisait briller toute chose.

C’est dans ce cloître saint Trophime qu’est exposé Chris Marker. Encore un  contemporain, sa vision lave les mensonges accumulés Il ne manifeste pas la moindre complaisance pour nos engagements mais n’a pas plus de complaisance pour  la morale hypocrite des vainqueurs : il y a son regard sur la Corée du Nord en 1957, il peut encore aller dans les marchés, surprendre des attitudes des regards avant que lui soit reproché d’être allé là-bas alors même que la représentation un tantinet ubuesque des kim il Song se referme sur tout témoignage, résultat le regard de Chris Marker n’est accepté de personne et c’est pourtant un des rares témoignages historiques qui a eu l’opportunité de passer sous toutes les propagandes. Un peu comme les visages des révolutionnaires mexicains nous hantent comme des présences réelles diparues désormais.  Est-ce un hasard si aujourd’hui lui aussi travaille à la décomposition de tableaux de Durer(2005-2007), si, comme pour moi, il y a pour lui la nécessité de ce retour à la guerre de Trente ans où a disparu la moitié du continent européen? Notre génération fut celle de la croyance naive en l’amitié pour les être humains. Il continue, il va dans le métro traquer « les pétales de la nuit », les visage d’une humanité ordinaire si belle que les tableaux de Delacroix, de Vinci, de Ingres semblent être sortis de leurs musée pour s’asseoir sur les sièges usés du métro… Et au fond d’un couloir, j’ai failli le rater, est projeté un chef d’oeuvre un moyen métrage qui est la fois mystérieux et proche du travail de Straub et hulliet, une série d’images fixes, la jetée, un momument.  Qu’est-ce qui reste? Un bouquet fané, une photo passée non celle-ci continue à nous solliciter, l’objet petit a dirait Lacan… le photographe comme un messager d’un au-delà dans lequel je disparais peu à peu parce qu’il n’existe que parce que comme tous les morts il vivra tant que ma pensée lui donnera vie… Même la photo n’est pas une garantie, un vestige qui nous interroge, nous fixe, un culte des ancêtres noyé sous la consommation… sous le kitsh…

Savoir ce qu’il reste d’un homme a été  le projet de Sartre quand il a écrit l’idiot de la famille. Que peut-on exhumer? C’est ce que je tente à partir d’un événement l’assassinat du Bourreau de Prague, le promoteur de la solution finale, je tente d’exhumer ce que l’on peut savoiret ce qui se construit de la réalité par chaque génération.

Quand je sors du cloître et de l’exposition sur Chris Marker, je croise Cohn Bendit, cet individu m’irrite au plus haut point sans doute parce qu’il y a pour moi de l’escroquerie dans la manière dont on tente  de limiter la mémoire de mai 68 à ce trublion médiatique, comme on a effacé de la Révolution mexicaine sa charge ouvrière et révolutionnaire…

Décidemment je suis devenue une sorte de Golem, un gardien du cimetière juif de Praque,  en train de errer avec à la taille un trousseau de clé générationnel. Je peux encore ouvrir des portes qui se sont fermées pour la jeune Constance avec qui  je vais  de salle d’exposition en lieux plus ou moins balisés . Elle  prend de magnifiques photos mais  elle ignore tout de cette archéologie dans laquelle je suis engloutie.

Nous regardons ensemble l’oeuvre de Graciela Iturbide, nous sommes contente qu’une femme ait ce parcours. Peut-être est ce que cela sera ma dernière fierté, ce que nous avons accompli nous les femmes de cette génération:  Graciela Iturbide a photographié à partir des années 1970 les Indiens du Mexique, les femmes, les oiseaux, mêlant dans ses images rêve, rituel, symboles, elle est photographe mais aussi anthropologue, elle guette peut-être la parole des « vaincus » ou plutôt la manière dont ils façonnent leur résistance, des gens apparement dépolitisés mais qui ont fait de l’imaginaire le lieu de leur survie.

Nous aimons Constance et moi les mêmes photographies en particulier les dernières qu’elle a consacré à la salle de bain de Frida Khalo. Une salle de bain qui ressemble à une morgue aux carreaux blancs avec tous les instruments de torture, corsets, béquille, jambe artificielle et le portrait de Staline. Constance sent la douleur mais ne voit pas Staline. Je pense que Graciela Iturbe a fait un film sur José Luis Cuevas, encore une autre génération celle de Vlady, de Rufino Tamayo, des artistes qui sortent du corset de la génération précédente, celle des grands muralistes Séqueiros, Diego Rivera. Vlady qui est le fils de Viktor serge et dont toute l’oeuvre est pleine de questionnement sur le stalinisme, que signifie ce retour à Frida Khalo? Cette salle de bain que Diego Rivera, l’époux de Khalo avait voulu close. Constance ignore tout de ces gens-là, je crois qu’elle ne sait pas qui est Trotsky, elle aime et perçoit autrement. Devant une photo où un homme avance dans un envol d’oiseaux, je ne puis m’empêcher de lui parler d’un texte de Walter Benjamin où le pas d’un homme provoque un envol de macreuses qui font dans le ciel une calligraphie… Les être humains ont pratiquement disparu des photos d’Iturbide actuellement, il ne reste plus que ces silhouettes comme un Giacommetti avançant dans un siècle où le nazisme a été moins que jamais éradiqué et où le flot des images tente de nous le faire oublier.  Constance et moi avons terminé la journée d’une manière totalement ludique, dans un espace magnifique d’usine désaffectée nous nous sommes fait tirer le portrait, de gigantesques affiches qui tombaient du plafond, un projet de JR, il fallait attendre, passer dans une boîte et on se retrouvait avec une immense affiche que l’on nous conseillait d’aller coller sur les murs de l’usine désaffectée…

Etrange sensation que je veux goûter pleinement que celui où je me sens sur le départ d’un siècle en train de s’effacer tandis que Constance et moi nous disons notre joie qu’une femme en l’occurrence Graciela Iturbide ait mené cette aventure : aller à la rencontre de tous nos contemporains, proposer de renouer les fils d’une humanité, refuser que nous nous soyons cotoyés sans que nous n’en aillons retiré rien de commun nous et ses indiens détruits de l’intérieur, les victimes d’un autre génocide. Oui mais voilà aujourd’hui je crains que génocide gagne du terrain  puisque l’être humain disparait de la photo et qu’il ne reste plus que des traces du bouleversement de son passage.

Comment se fait-il que nos mots aient un sens l’une pour l’autre et à partir de quoi est ce que nous nous comprenons Constance et moi? Que reste-t-il de ma vie qui rejoigne ce qu’elle ressens, je l’ignore mais cette journée à été  étrangement  paisible, comme le repas sur cette terrasse où nous contemplions les toits d’Arles et où nous mangions le repas frugal mais délicieux que Serge nous avait préparé. Nous étions à côté les uns des autres en train de boire un petit rosé jeune et frais, une cohabitation polie sans véritable partage parce que nous n’avons rien à construire ensemble, rien sinon le plaisir de l’instant. Serge me raconte une anecdote sur le responsable de l’école d’architecture de Marseille, mon premier poste comme sociologue… Je ne puis m’empêcher de lui dire que si les profs de l’Ecole ont un statut c’est parce que ces années là nous avions fondé le SNESup, et qu’avec des gens comme Joly nous avons mené le combat, les architectes adhéraient tous ils confondaient le syndicat et l’ordre et il suivaient toutes les consignes… Totalement inutile, décidemment je suis incorrigible…  Je ris intérieurement en pensant que partout où il allait en France, en Espagne, à Cuba mon grand père a fondé une synagogue hyper-orthodoxe, toutes les autres lui paraissant impies… Moi j’ai fondé partout des syndicats et des cellules…  Et au bout de la course j’ai été rejointe par l’antisémitisme tandis que cellules et syndicats se vidaient de leurs adhérents décidemment au vu de la façon dont la plupart des juifs retrouvent leur identité mon grand père avait une vue nettement plus prospective que la mienne…

Constance me confie qu’elle n’arrive plus à lire c’est un effort qu’elle a du mal à faire… Pour me faire plaisir elle m’explique qu’elle a des copains qui ont fondé une librairie militante… Puis elle me parle d’un stage dans un orphelinat en Israêl, d’un petit palestinien abandonné sur la plage et recueilli, d’un restaurant dans un coin perdu où un couple d’amoureux, elle juive lui palestinien font de la cuisine palestino-juive et crée un lieu sans guerre… je pense à l’assassinat de Juliano Mer-Khamis… Constance ne sait pas ce qu’est un juif… mais pour me faire plaisir encore elle me dit que « ça ne se voit pas que je suis juive »… Mais elle est si pure, si dénuée d’a priori que je ne me sens pas blessée.

Le téléphone a sonné: Alain Chenu, celui avec qui j’ai travaillé pendant plus de quinze ans, écrit de nombreux livres se manifeste… Il m’explique qu’il ne prend pas encore sa retraite à sciences Po, je le supplie de rester parce que le jour où il part il n’y a plus aucun prof de Sciences Po qui votera NOn à la Constitution européenne, nous rions…  Il m’ancre à nouveau dans le présent. Primo Levi expliquait qu’une manière de survivre dans le camp de concentration était d’avoir des relations avec quelqu’un pour qui vous restiez un individu et pas un numéro.

Danielle Bleitrach

 
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Publié par le juillet 21, 2011 dans expositions, HISTOIRE

 

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